La Russie s’apprête à effectuer ses manœuvres militaires les plus importantes depuis une trentaine d’années. Cet exercice dénommé Vostok-2018 (Vostok signifie Est) inclura, du 11 au 15 septembre, des éléments de l’Armée populaire de libération chinoise et de l’armée de Mongolie, illustrant le rapprochement entre Pékin et Moscou qui contestent la puissance américaine sur l’ordre mondial libéral. Converties par réalisme à l’économie de marché, quoique sous haute surveillance étatique, la Russie – depuis la Perestroïka lancée par Gorbatchev à partir de 1987 – et la Chine – depuis les « quatre modernisations » lancées par Deng Xiaoping fin 1978 –, accompagnent leur émergence dans le commerce international d’armes nouvelles susceptibles de damer le pion aux forces américaines : missile nucléaire russe Sarmat, sous-marin robot chinois… Après la guerre économique, la guerre tout court.
Vostok-2018, les manœuvres les plus importantes depuis 1981
« Vostok-2018 seront les plus importantes manœuvres depuis Zapad-1981 » (Zapad signifie Ouest), en pleine guerre froide, a expliqué à l’agence Tass le ministre russe de la défense Serguei Choïgou, qui affirme qu’elles seront « sans précédent en termes d’étendue géographique, de puissance de commandement, de centres de contrôles et de forces impliquées ». Vostok-2018 inclura des actions contre-terroristes, anti-piraterie et des missions de secours après catastrophe. Mais elle ira bien sûr jusqu’à des exercices de combat et des opérations de contre-attaque. « Le président russe Vladimir Poutine suivra de près ces manœuvres », a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
Michael Kofman, chercheur au Centre américain d’analyses navales et spécialiste de l’armée russe, nuance toutefois : « Choïgou affirme que ce seront les manœuvres les plus importantes depuis Zapad, mais pas nécessairement à cette échelle, et le ministre a tendance à gonfler les effectifs impliqués ». Il ajoute, pour étayer son propos, qu’après les dernières manœuvres Vostok, les Russes avaient affirmé y avoir fait participer 100.000 personnels puis avaient fait grimper le nombre à 155.000. « Cette statistique n’était pas crédible », juge Kofman.
Quoi qu’il en soit, Vostok-2018 sera une opération bien plus importante que Zapad-2017 qui, l’année dernière, avait semé l’inquiétude dans toute l’Europe de l’Est. D’autant que Chinois et Mongols seront de la partie. Aux forces des districts militaires russes de l’Est et du Centre, à la Flotte du Nord, aux troupes aéroportées et aux transports aériens à longue distance « s’ajouteront des centres de commandement et des forces chinoises et mongoles », précise Serguei Choïgou. La Chine vient d’opérer une restructuration massive de ses armées et pourra ainsi les tester.
La Russie veut lever toute appréhension côté Chine et développer un partenariat stratégique
Pourquoi la Chine ? Pour Kofman, il s’agit pour le pouvoir russe de lever toute appréhension côté chinois. Pékin a confirmé sa participation à Vostok-2018 au centre d’entraînement de Tsugol, dans la région du Transbaïkal, avec 3.200 militaires, 900 pièces d’artillerie, 30 aéronefs. Si Pékin prend soin de préciser que « ces exercices ne sont pas tournés contre une tierce partie », personne n’ignore qu’après le défi économique lancé par ces deux émergents, l’industrie chinoise et l’énergie russe, le défi militaire ne peut que viser la suprématie états-unienne.
Le Global Times, organe anglophone du parti communiste chinois, souligne que « le partenariat global Chine-Russie concerne désormais les domaines militaires et sécuritaires ». La Russie et la Chine avaient déjà organisé l’année dernière des exercices militaires conjoints en Mer de Chine méridionale et en Baltique. Vostok-2018 interviendra moins d’un mois après les manœuvres de l’OTAN en Géorgie qui ont suscité la colère de Moscou.
L’analyste chinois Zhou Chenming, basé à Pékin, estime que l’armée chinoise était désireuse de renforcer ses échanges avec l’armée russe, plus expérimentée, car ses troupes n’ont pas été confrontées au combat depuis la guerre du Vietnam à la fin des années 1970. Zhou Chenming ajoute que « la Chine entend aussi montrer son soutien au président russe Vladimir Poutine, confronté à de nombreux défis diplomatiques, particulièrement de la part du secrétaire d’Etat américain sur l’annexion de la Crimée ». Pour autant, analyse Zhou Chenming, « Si Poutine veut montrer ses muscles avec l’armée chinoise, il n’entend pas trop irriter les Etats-Unis en choisissant la région du Transbaïkal dans l’Extrême-Orient russe, très éloignée des troupes alliées stationnées en Europe ».
Russie et Chine développent des armes nouvelles en cas de prochaine guerre mondiale contre la puissance américaine
Côté américain, Michael Snyder, analyste conservateur, est beaucoup moins serein. Il estime au contraire que la Russie et la Chine « se préparent à gagner la prochaine grande guerre mondiale » alors que « l’armée américaine s’est concentrée sur la lutte contre le terrorisme » dans « un environnement supposément “post-guerre froide” ». Or, pour lui, « la vérité c’est qu’une nouvelle guerre froide a éclaté, la Russie et la Chine l’ont compris et développent tous les deux de nouveaux systèmes d’armes impressionnants ». Il déplore que les forces nucléaires américaines « utilisent encore la technologie des années 1960 et 1970, y compris les téléphones à cadran et les énormes disquettes de 8 pouces ».
La Russie vient de lancer le bombardier supersonique de nouvelle génération Tu-22M3M à rayon de frappe de 2.200 km, doté du missile de croisière antinavire Kh-32. Elle « a mis au point des armes nucléaires de troisième génération, telles que des ogives Super-EMP, qui pourraient paralyser les forces nucléaires américaines, y compris les C3 stratégiques nécessaires pour que tout sous-marin américain puisse riposter », explique Snyder, qui note que « La Russie a au moins dix fois plus d’armes nucléaires tactiques et au moins deux fois plus d’armes nucléaires » que les Etats-Unis. Le nouveau missile russe Sarmat, surnommé « Satan 2 » par l’OTAN, transporte 16 ogives nucléaires capables d’anéantir la totalité du Texas (696.000 km2). Les Chinois de leur côté développent, pour 2020, des sous-marins robots capables d’atteindre une cible partout sur le globe et particulièrement en mer de Chine et dans le Pacifique, zone de tension avec les Etats-Unis.