Après les fake news un fake braquage : la vraie faillite de l’école de la république

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Le président de la république a jugé « inacceptable » le braquage d’une enseignante à l’école par un élève. L’arme de celui-ci était aussi factice que des fake news et il s’agit d’une « plaisanterie », selon le lycéen. Ce qui est réel, c’est la faillite des politiques menées depuis cinquante ans.
 
Le lycée Branly à Créteil est réputé tranquille. Un professeur qui y donne cours depuis 25 ans, Didier Sablic, l’explique : « Ce n’est pas un lycée qui est habitué à ce genre de choses ». Entendez qu’à l’ordinaire nul braquage ne s’y exerce sur le corps enseignant. C’est bien. Même, Sablic nous l’assure, on y fait « beaucoup de travail avec les élèves sur la communication et le respect ». Voilà qui est net. Il est tout aussi sûr que la première victime du braquage, vrai ou fake, aura été la langue française. Didier Sablic aurait montré le bon exemple aux lycées en disant : ce n’est pas un lycée où ce genre de choses est habituel.
 

Vraies news ou fake braquage ?

 
Voyons maintenant les faits, les news comme on dit en américain. Est-ce du vrai, du fake ? Un grand bambin noir de quinze ans braque sa prof assise avec une réplique de pistolet de type airsoft, un autre le rejoint, un jeune blanc au fond fait des doigts d’honneur, un quatrième fait forcément office de cameraman et filme la scène. Aujourd’hui tout se filme, les viols, le lynchage des policiers, pourquoi pas le braquage des enseignantes ? L’homme qui a transformé le téléphone en télévision portable a créé notre société.
 
La jeune femme discute brièvement avec son braqueur puis se détourne sans s’émouvoir. Elle assure aujourd’hui après avoir porté plainte qu’elle ne savait pas que l’arme était factice. Si c’est vrai, l’antigang ne tardera pas à la recruter avec au moins le grade de commissaire. Mais est-ce vrai ou est-ce fake ?
 

Vrai faux pistolet pour un faux vrai braquage à l’école

 
Ou est-ce entre les deux, dans la zone grise des demi-mensonges, des complicités, des flous et des ambiguïtés que cultive l’école ? L’airsoft est un jeu de plein air où de jeunes idiots, et de moins jeunes, s’amusent à se faire la guéguerre en se tirant dessus. Ils se servent pour cela d’imitations d’armes fonctionnant à l’air comprimé, chargées de billes de plastique, avec une énergie maximale de deux joules. C’est de la fake guerre, du Paintball qui ne tache pas, c’est mieux pour la ménagère. Ils portent des lunettes, ça peut faire mal. L’un de mes frères avait tiré jadis sur le genou de ma grande sœur un fruit de sureau avec sa carabine à air comprimé, ce n’est pas très dur mais elle avait quand même piaillé. 
 
Si l’enseignante se tourne sereinement, c’est qu’elle sait que le seul danger réel vient de face, pour les yeux. Elle sait donc que c’est un airsoft, tout ce qu’il y a de plus classique dans l’école de la république, c’est un vrai faux pistolet de marque, pas factice pour un sou. 
 
Ça donne à la scène une sorte de nonchalance amicale : le braqueur continue sa mise en scène tranquillement avec ses copains. C’est tellement cool de mettre en pratique ce dont on parle avec les copains et ce qu’enseignent les séries télévisées !
 

Le braquage entre dans les enfantillages de l’école

 
Le lycéen s’est présenté à la police avec son père, il a été entendu en garde à vue, mis en examen. Il assure qu’il a voulu plaisanter. Le contexte lui donne raison. L’objet, le but du braquage aussi. Sa maîtresse d’école (quoi qu’il ait quinze ans et que l’on soit au lycée biotechnologique, c’est le niveau) ne voulait pas l’inscrire comme présent au cours parce qu’il y était arrivé en retard. Cela prouve qu’on est sérieux au lycée Branly, côté administration, et que notre braqueur l’est aussi, puisque la mention présent lui tient tant à cœur qu’il est prêt à faire un braquage pour l’obtenir. D’autres auraient demandé de l’argent, les charmes de la maîtresse. Lui, non. Juste une mention qui lui permette d’avoir une bonne note en conduite.
 

Les braquages c’est fini, ta prof mérite mieux que ça

 
Après les faits, les protagonistes, les suites policières et judiciaires, au tour des réactions politiques. Elles sont grandioses. Le président de la république n’a pas mâché ses mots. C’est « inacceptable ». Il faut que de tels faits soient « définitivement proscrits ». Un peu plus il se propulsait à Créteil, faisait mettre le jeune braqueur torse nu, l’enlaçait, et lui disait, comme à Saint Martin : « Les braquages, c’est fini, ta prof mérite mieux que ça ». Il connaît l’importance, pour un ado immature, de briller aux yeux d’une pédagogue plus âgée.
 
Depuis, un « comité stratégique » a été composé et le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a solennellement promis de « rétablir l’ordre » dans l’école de la république : c’est vraiment la faillite de Mai 68.
 

Vols, viols, rackets, armes blanches ou à feu : où en est l’Ecole ?

 
Tout le monde « condamne très fermement » le braquage et demande que soient prises « les mesures les plus rigoureuses ». L’opposition est « scandalisée » et le ministre de l’intérieur Christophe Castaner « apporte tout son soutien à la professeure» (lui aussi est fâché avec la grammaire). 
 
La fonction des pleureuses est de pleurer, le chœur doit exprimer l’angoisse de la Cité. Mais quand même, ce brave braqueur, avec sa gestuelle hip hop, son rap dans la tête et ses complices rigolards, n’a rien fait de grave par rapport à ses petits copains de France et de Navarre qui volent et violent à l’école, en réunion ou non, leurs copines ou leurs maîtresses, aux rackets, aux attaques à l’arme blanche ou à feu, aux enseignants menacés, frappés.
 
J’avais un copain comme ça, tout le monde faisait les pires chahuts sans se faire prendre, et lui, dès qu’il lançait un avion en papier, c’était pour sa pomme, on l’envoyait chez le censeur.
 

La faillite de l’Ecole est la faillite de la république

 
L’indignation pompeuse et les menaces de sanctions exemplaires que manifestent les représentants de l’Etat me semblent aussi factices que la plus fausse des fake news. Blanquer promet des « sanctions disciplinaires ». Qu’est-ce qu’il va nous mettre ? Dix fois l’imparfait du subjonctif du verbe contraindre en cas de tournante ? Et pour un braquage ? Deux jeudis de suite en retenue ?
 
L’excès de verbe actuel répond à cinq décennies d’actes insuffisants. La faillite de l’école, c’est la faillite de la politique, la faillite de la république. Cela fait cinquante ans que l’école de la république s’est déglinguée carreau cassé après carreau cassé. La grande sœur dont je vous ai parlé, se mettait encore en rang avant d’entrer en classe, en première, en 1967 (on a toutes de très vieilles grandes sœurs). Puis des profs dépassés ou complices ont laissé s’installer l’irrespect, et d’incivilités en incivilités, on en arrive à la faillite de l’autorité et du bon sens. Braquer sa prof devient une bonne blague.
 

Pauline Mille