Un homme de haute taille et de paroles claires : Mgr Thomas Gullickson, originaire du Dakota du Sud et ancien nonce apostolique dans les îles Caraïbes, en Ukraine et en Suisse jusqu’à sa démission en 2020 a volontiers fait le voyage de Chartres pour célébrer la messe pontificale de clôture du 41e Pèlerinage de Chrétienté, ce Lundi de Pentecôte. Son homélie centrée sur le thème du pèlerinage, L’Eucharistie, salut des âmes, s’est appuyée sur une phrase de Benoît XVI en 2008 : « Rien ne remplacera jamais une messe pour le salut du monde. » Il a achevé son homélie sur un propos radical, en appelant les pèlerins à se tenir prêts au martyre pour la messe dominicale comme le fit, il y a plus de 1.800 ans, saint Justin Martyr, refusant de révéler le lieu où les chrétiens se rassemblaient pour le saint sacrifice.
« Saint sacrifice » : les mots reviennent souvent dans l’homélie de Mgr Gullickson et ce n’est certes pas par hasard. Ils sont au cœur de la lutte pour le droit de cité de la messe traditionnelle, qui est elle-même au cœur du pèlerinage de Chrétienté (mais aussi du pèlerinage de la Pentecôte de Chartres à Paris, organisé par la Fraternité Saint-Pie X). La liturgie réformée à la suite du concile Vatican II insiste beaucoup moins sur l’aspect sacrificiel de la messe pour se concentrer sur le « mystère pascal » culminant avec la Résurrection. De l’homélie de Mgr Gullickson, qu’il prononça pour la plus grande part en français, les pèlerins de Chartres ont dû retenir ces mots : « Tenir au saint sacrifice de la Messe est chose absolue pour les catholiques. C’est votre présent et ce sera votre seul avenir. »
Au pèlerinage de Chartres, Mgr Gullickson affirme qu’il faut être prêt à mourir pour la messe
Dans le contexte de la « guerre liturgique » rallumée par Traditionis custodes, cette exhortation résonne avec une force toute particulière.
« Sans dimanche, nous ne pouvons pas vivre ! » C’est encore avec des mots forts que le prélat américain a souligné les raisons du sacrifice de sa vie consenti par saint Justin.
Et il est notable qu’il ait choisi, pour renforcer son propos, de citer Dom Gaspar Lefebvre, auteur de missels pour tous âges au début du XXe siècle, et droite figure de la défense et de l’illustration d’une liturgie théocentrique, sans les scories du modernisme liturgique qui allait arriver à maturité peu de temps après sa mort en 1966.
Voici la retranscription intégrale de cette homélie (hormis le passage en anglais qui en reprend les derniers paragraphes) avec quelques rectifications minimes par rapport au texte prononcé. – J.S.
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Texte intégral de l’homélie de Mgr Gullickson en la cathédrale de Chartres lors du Pèlerinage de Chrétienté 2023
Je pense que le passage de l’évangile de la Pentecôte, saint Jean, chapitre III, peut très bien nous aider à enrichir et à centrer notre méditation sur le thème choisi pour le pèlerinage de cette année : l’Eucharistie, salut des âmes. Lorsque j’ai été invité à prendre la place de notre cher défunt, le cardinal Georges Pell, il m’a été suggéré de m’inspirer pour cette homélie de ce que le pape Benoît XVI avait dit lors de son passage à Paris en 2008 sur la place centrale de la Sainte Messe dans nos vies : « Rien ne remplacera jamais une messe pour le salut du monde. »
L’année 2008, pour un vieil homme comme moi, cela semble être hier, mais même pour les plus jeunes d’entre vous, les paroles du pape Benoît n’ont rien perdu de leur pertinence : rien ne remplacera jamais une messe pour le salut du monde. Oui, c’est une grande revendication. On pourrait même dire que les paroles du pape Benoît XVI sont prétentieuses : « Rien ne remplacera jamais une messe pour le salut du monde. »
Ces paroles du pape en 2008 peuvent ou non correspondre à votre expérience de la sainte messe jusqu’à aujourd’hui. Je suppose qu’il est plus facile d’accepter son affirmation à l’occasion d’une grande célébration comme la nôtre aujourd’hui, à la fin d’une longue marche de Paris à Chartres. Des gens racontent souvent comment leur vie a été changée par la messe de clôture d’un grand pèlerinage comme le nôtre, ou peut-être par une messe papale à l’occasion d’une Journée mondiale de la jeunesse. Mais les paroles du pape Benoît XVI sont plus simples que cela. Il parle simplement d’une messe, de n’importe quelle messe.
« Rien ne remplacera jamais une messe pour le salut du monde »
En ce sens, il peut être plus difficile d’appliquer ces mots à nos simples messes paroissiales ou à la messe silencieuse d’un bon prêtre. Pourtant les paroles sont vraies : elles s’inspirent de ce que nous croyons au sujet de la sainte messe et elle donne le sens du terme de notre pèlerinage : l’Eucharistie, salut des âmes. Rien ne remplacera jamais une messe pour le salut du monde.
En l’an 165 après Jésus-Christ, le martyr saint Justin s’est retrouvé face à son juge païen pour répondre de sa profession de foi catholique contre la religion d’État de la Rome antique. Notre martyr Justin a tenu tête à son juge et a insisté sur la nécessité de la célébration du saint sacrifice de la messe comme seul moyen pour un disciple de Jésus-Christ de sanctifier le dimanche. Il a dit très clairement que sans dimanche, nous ne pouvons pas vivre. Sans sainte messe, nous ne pouvons pas vivre ! L’Eucharistie, salut des âmes…
Objectivement, le christianisme était une réalité assez minuscule dans le monde encore majoritairement païen de l’époque de Justin. Cependant, que le christianisme fût grand ou petit n’était pas, et ne sera jamais le sujet. Le témoignage de saint Justin face à la mort n’était pas une stratégie mais plutôt une vérité avec laquelle lui et les premiers chrétiens ne voulaient pas, et ne pouvaient pas transiger. Il a dit que sans dimanche, nous ne pouvons pas vivre. Il doit en être de même pour nous aujourd’hui : tenir au saint sacrifice de la messe est chose absolue pour les catholiques. C’est votre présent et ce sera votre seul avenir.
« L’œuvre par excellence des catholiques »
Comprenons ce que veut dire notre thème et énonçons-le le plus clairement, le plus fièrement, de la façon la moins équivoque possible. Saint Justin, martyr de l’an 165 de notre ère, me comprendrait parfaitement quand je dis que la messe est l’œuvre par excellence des catholiques. C’est une question de bonté, c’est une question de vérité, c’est tout simplement la source de la vraie lumière. Rien ne remplacera jamais une messe pour le salut du monde. Tout le reste, sauf Jésus-Christ, est ténèbres, et son sacrifice sanglant sur la croix est accompli une fois pour toutes. Ce sacrifice était nécessaire pour notre salut, pour le salut du monde. Le vrai bonheur, la lumière et la vie ne se trouvent nulle part ailleurs qu’en lui. Rien d’autre ne compte, mais seulement ce qui peut être trouvé en lui. Personne d’autre que le Seigneur ne comble tous nos besoins.
En ce sens, pour comprendre ces jours de marche, on pourrait dire que le week-end de la Pentecôte, en tant que pèlerinage, représente l’ensemble de notre vie. Elle est, ou peut être pour nous une intense expérience religieuse. Nous n’avons pas seulement voyagé de Paris ou depuis le lieu où nous avons commencé notre voyage vers la cathédrale de Chartres. Notre pèlerinage représente le cheminement de notre vie vers Dieu. Israël a marché hors d’Égypte à travers la mer Rouge, se déplaçant par étapes à travers le désert jusqu’à la terre promise. Par le baptême, nous sommes appelés à tout abandonner et à nous lier au Christ, et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi le Fils de l’homme doit-il être élevé afin que tout homme qui croit en lui ait la vie éternelle : le Christ élevé sur la croix et attirant tout à lui, voilà ce que nous sommes.
« En Jésus-Christ il n’y a rien de plus grand que son sacrifice »
J’attire spécifiquement votre attention sur les derniers mots de l’évangile d’aujourd’hui : « Car quiconque fait le mal hait la lumière, et ne vient point à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient condamnées, mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière afin que ses œuvres soient manifestées parce que c’est en Dieu qu’elles sont faites. » Tout récemment, j’ai eu la joie de lire l’édition réimprimée et complétée en anglais du livre du moine bénédictin français, donc Gaspar Lefebvre : Catholic liturgy, its fundamental principles, initialement traduit en 1924 à partir de son ouvrage de 1920, Liturgia – ses principes fondamentaux. Au chapitre 6, intitulé « Le saint sacrifice de la messe », dom Gaspar écrit ceci : « Dans tout l’univers, dit Bossuet, il n’y a rien de plus grand que Jésus-Christ, et en Jésus-Christ il n’y a rien de plus grand que son sacrifice, et dans son sacrifice il n’y a rien de plus grand que le moment de sa mort quand le Sauveur, criant d’une voix forte, dit : “Père, entre tes mains je remets mon esprit.” Quand nous nous souvenons de ce que l’Eglise est la continuation de la vie du Christ sur la terre, et que la messe est la continuation du Calvaire, nous pouvons aussi dire que dans le monde entier, il n’y a rien de plus grand que l’Eglise, dans l’Eglise il n’y a rien de plus grand que la messe, et dans la messe il n’y a rien de plus grand que la transsubstantiation. Saint Thomas s’écrie : “Peut-il y avoir quelque chose de plus merveilleux que ce sacrement ? En lui il se produit que le pain et le vin ne sont plus du pain et du vin mais à leur place le Corps et le Sang du Christ, c’est-à-dire que le Christ lui-même est là, Dieu parfait et homme parfait sous l’apparence d’un peu de pain et de vin.” »
J’espère et je prie pour que ce pèlerinage et que ce saint sacrifice de la Messe en particulier, puissent vous fortifier, vous inspirer, oui, vous encourager sur votre chemin vers Dieu par le Christ, car en effet, la question pour nos vies semblerait être : comment parvenir à Dieu ? Et la réponse est très simple : soyez prêt à vous tenir au côté de saint Justin. Pourriez-vous finir comme saint Justin, mourant en martyr pour la messe dominicale ? Il ne s’agit pas de réclamer le martyre, tenez-vous juste prêts avec Justin, si on vous appelle, et peu importent les conséquences.
L’Eucharistie, salut des âmes ! Rien ne remplacera jamais une messe pour le salut du monde.