La société Artisan fait parler d’elle à Londres depuis qu’elle multiplie les panneaux publicitaires pour promouvoir l’embauche de robots fonctionnant à l’intelligence artificielle. L’idée ? Montrer que les humains ne posent que des problèmes, eux qui demandent des choses aussi insupportables que l’équilibre entre le temps de travail et les loisirs ou la famille. Des messages défilants accueillent désormais les banlieusards et qui prennent le métro pour aller au bureau dans le centre de la capitale britannique : « Arrêtez d’embaucher des humains », proclament carrément les bandeaux numériques. Sans surprise, des travailleurs en chair et os se sentent agressés et stressent face à l’avenir. Les avancées de l’IA étaient pourtant écrites, mais voilà : la réclame agressive d’Artisan, qui présente des robots au « physique » parfait, agit comme un réveil des consciences.
Artisan est une start-up qui joue délibérément la carte de la personnalisation de ses robots IA. Ils ont des noms et des visages : Aria, Ava, Aaron… et des spécialités, comme le fait d’interagir automatiquement avec les correspondants d’une entreprise pour – comme l’annonce le site – libérer les intervenants humains pour des tâches plus nobles de contact personnalisé. Ils adoptent un ton direct, professionnel ou sincère, au choix. Ils sont capables de créer des courriels « hyper personnalisé » en même temps qu’ils récoltent des données – des millions de données – pour repérer certaines recherches sur Google, diverses sortes d’annonces et joindre de manière ciblée des clients potentiels parmi plus de 300 millions de contacts B2B (business to business) enregistrés dans sa base.
Artisan incite les entreprises à ne pas augmenter leurs effectifs
Outre les capacités de leurs logarithmes qui donnent à ces entités virtuelles une forte longueur d’avance sur les employés humains, elles coûtent évidemment moins cher à acquérir et à entretenir, et elles sont présentées comme « de futurs collègues » qui dispenseront les entreprises « d’augmenter leurs effectifs ».
Jusqu’au jour où les dits effectifs se verront montrer la porte…
Le fondateur d’Artisan, Jaspar Carmichael-Jack, n’a que 23 ans. Son souci actuel est de faire disparaître les préjugés négatifs sur les chatbots qui sont très loin de satisfaire les clients dans le cadre du service après-vente et autres interactions des entreprises avec le monde extérieur. Ce qu’il cherche à faire, c’est automatiser, mais en les personnalisant, toutes les tâches extrêmement répétitives de premier contact ou de sollicitation de la clientèle potentielle à grande échelle, qui sont actuellement assurées par des employés « juniors ». S’agissant d’interactions réelles avec des consommateurs effectifs, « le taux d’erreur est généralement trop élevé ; c’est pour cela que les gens ont un sentiment anti-IA », assure-t-il.
De fait, certaines sociétés qui avaient déjà pris le virage IA sont revenus aux méthodes classiques parce que « la qualité souffre », comme le reconnaît le PDG de Klarna, la société suédoise d’affacturage en ligne, qui avait sous-traité son service de relation-clientèle à des robots de la trempe de ChatGPT.
Les humains n’aiment pas les robots IA
Pendant ce temps, des sondages montrent que la plupart des gens n’apprécient pas du tout d’être en relation avec un robot IA dans le domaine du service après-vente : 64 % des personnes interrogées rejettent l’idée totalement et 60 % craignent que la présence d’un robot dans la boucle des interactions ne les empêche définitivement d’avoir la possibilité de parler avec un être humain.
Mensonges, langage grossier, invention pure et simple de politiques d’entreprise inexistantes pour justifier des erreurs comme c’est arrivé pour Air Canada l’an dernier ne sont que quelques exemples de ratages dans le domaine. Si bien que la tendance actuelle est de renoncer au projet en ce sens : un sondage réalisé par Gartner cette année ainsi montré que la moitié des entreprises qui comptaient passer au service automatisé des interactions avec les clients ont finalement décidé d’en rester aux humains – ne serait-ce que parce que les clients ont clairement fait comprendre qu’il privilégieraient des sociétés où ils seraient assurés d’avoir affaire à des interlocuteurs véritables.
Bientôt des agents IA, annonce Artisan : pour singer l’homme ?
Mais l’intelligence artificielle se développe à grande et même à très grande vitesse : aujourd’hui on parle d’« agents » IA qui vont pouvoir rapidement assumer des tâches de plus en plus complexes, et même prendre des décisions : par exemple, mettre en place un remboursement au profit d’un client mécontent.
Chez Artisan, on cherche à équiper les robots IA de la capacité de « raisonnement » – ce qui n’est pas, loin s’en faut, équivalent à une véritable intelligence, mais pourrait assurer des résultats moins aberrants et des services plus complets.
Carmichael-Jack est assez sûr de lui pour prédire que d’ici à quelques années, les clients aimeront mieux être en contact avec une IA ou qu’avec des employés de centres d’appel « offshore » : « Ils préféreront parler avec un agent IA et s’agaceront d’être mis en relation avec un être humain. »
Vous avez dit grand remplacement ?