Identification de deux Russes dans l’attentat au Novitchok contre les Skripal : GRU accusé, May indignée, Corbyn déconsidéré

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L’identification de deux hommes, affichant les noms d’Alexander Petrov et Ruslan Bochirov, comme les deux auteurs présumés de la tentative d’assassinat au Novitchok de Sergeï et Ioulia Skripal à Salisbury le 4 mars, renvoie la Grande-Bretagne aux heures les plus glacées de la Guerre froide. Le Premier ministre Theresa May, indignée, a précisé devant la Chambre des Communes que les deux suspects étaient des agents du renseignement militaire russe, le GRU. Le parquet estime avoir réuni suffisamment d’éléments à charge contre ces Alexander Petrov et Ruslan Bochirov pour les poursuivre de tentatives de meurtre pour l’attaque au Novitchok de l’ancien agent double russe et sa fille Ioulia. Même la chaîne russe RT a rapporté l’information. Le chef travailliste et palestinophile Jeremy Corbyn, qui avait pris la défense des Russes, est déconsidéré.
 

Theresa May : « Opération approuvée au-dessus du GRU, au plus haut niveau »

 
« L’opération n’avait rien à voir avec un règlement de compte de voyous, elle a certainement été approuvée, au-dessus du GRU, à un niveau élevé de l’Etat russe », a affirmé Theresa May. Scotland Yard a précisé que l’agent neurotoxique militaire avait été introduit au Royaume-Uni dans une fausse bouteille de parfum Premier Jour de Nina Ricci. Elle aurait été découverte par Charlie Rowley avant que lui-même et son amie, Dawn Sturgess, ne soient à leur tour victimes indirectes du poison. Seule personne décédée dans l’affaire, Dawn Sturgess a succombé la semaine dernière du fait de l’intoxication.
 
Neil Basu, de la Metropolitan Police, estime que les suspects, âgés d’une quarantaine d’années, voyageaient probablement sous de faux noms et que Petrov et Bochirov n’étaient peut-être pas leurs véritables patronymes. Ils seraient retournés en Russie. Les magistrats auront fort à faire pour les retrouver, Moscou ne permettant pas l’extradition de ses ressortissants. Les enquêteurs pensent que la porte d’entrée du domicile de M. Skripal à Salisbury avait été contaminée par le Novitchok. Des images de vidéosurveillance montrent les deux suspects à proximité de la propriété à cette date. Quelques heures plus tard, les deux hommes quittaient le Royaume-Uni en embarquant sur un vol Heathrow-Moscou.
 

Les deux suspects étaient à Londres un an avant l’attentat au Novitchok contre les Skripal

 
Selon des médias russes qui suivent l’affaire, Bochirov, né au Tadjikistan, est le nom d’un diplômé d’hydrologie de l’Université d’Etat de Moscou, qui vit dans la capitale. Petrov est un nom renvoyant à un employé d’un laboratoire d’immunobiologie lié au ministère de la Santé. Les deux hommes portant ce nom (d’emprunt ?) auraient voyagé plusieurs fois depuis septembre 2016, année où leurs faux passeports auraient été confectionnés. Outre Paris, ils auraient séjourné à Londres, selon un site russe, un an exactement avant l’empoisonnement des Skripal.
 
L’annonce d’une inculpation pour crime va creuser un peu plus le fossé entre le Royaume-Uni et la Russie, alors que l’affaire a déjà entraîné une vague d’expulsion de diplomates russes par Londres et ses alliés. Réagissant à l’annonce de Theresa May, le ministère russe des Affaires étrangères a publié une vidéo montrant le Premier ministre britannique dansant lors de sa visite en Afrique du Sud, qui lance une politique de racisme anti-Blancs, puis a fait savoir que les noms publiés par la justice britannique « n’évoquaient rien ».
 

Theresa May, qui vise le GRU, accuse les Russes de « mensonges »

 
Theresa May a jugé que les Russes répondent par « des faux-fuyants et des mensonges » et vise particulièrement le GRU. Retour aux heures les plus sombres de la Guerre froide ? L’affaire Skripal renvoie à la tentative d’assassinat de Nikolaï Khokhlov, transfuge du KGB en 1954, qui survécut de justesse à une dose de thallium radioactif versée dans son café à Francfort. L’usage du Novitchok évoque aussi à le pistolet à gaz de cyanure développé par le KGB que Bogdan Stachinsky utilisa dans les années 1950 pour éliminer des nationalistes ukrainiens, ou celui à air comprimé camouflé en parapluie utilisé contre Georgi Markov en 1978.
 
Le GRU est le successeur direct du IVe département de l’état-major de l’Armée soviétique, créé par Trotski en personne, basé dans le même bâtiment, surnommé l’Aquarium. Un de ses rares transfuges, Vladimir Rezun, explique que les nouvelles recrues doivent visionner un film montrant l’exécution d’un déserteur : attaché à un brancard, il est jeté dans un incinérateur.
 
Après que Zelimkhan Iandarbiyev, ancien dirigeant tchétchène, périt en février 2004 dans l’explosion d’une bombe placée sous son SUV à Doha, la police du Qatar arrêta trois hommes, dont deux officiers du GRU, qui furent condamnés pour assassinat. Dans leurs aveux, qu’ils affirmèrent avoir été obtenus sous la torture, ils accusaient le ministre russe de la Défense, Sergueï Ivanov, d’être l’auteur de l’ordre. Six mois plus tard ils furent renvoyés en Russie pour y purger leur sentence, furent reçus en héros et restèrent libres. Le Kremlin, qui plaida la mission antiterroriste, leur avait payé les meilleurs avocats, dont ceux du cabinet fondé par un proche de Poutine.
 

Discrédité, le travailliste Corbyn épargne les Russes par sympathie pour les Palestiniens

 
En politique intérieure britannique, les nouveaux développements de l’affaire Skripal embarrassent grandement le travailliste Jeremy Corbyn. Le chef de l’opposition britannique, lesté de sa complaisance pour l’antisémitisme, avait critiqué les premières déclarations de Theresa May accusant l’Etat russe. Pourquoi un type réglo comme Poutine donnerait-il un tel ordre ?, argumentait-il en substance. Corbyn avait même suggéré que Londres envoie un échantillon de l’agent neurotoxique pour que Moscou l’analyse et indique si c’était bien la Russie qui l’avait fabriqué… Le seul reproche qu’il adressait à Moscou concernait son refus de coopérer à l’enquête.
 
Cette position tragi-comique embarrasse les députés modérés du Labour et leur faire répéter que Corbyn n’a pas l’étoffe d’un Premier ministre. Depuis hier, elle menace l’avance d’un demi-point des travaillistes sur les conservateurs dans les sondages. Mais Corbyn voit en la Russie un ferme soutien des Palestiniens contre Israël. Or Israël est le diable. CQFD.
 

Matthieu Lenoir