Comme souvent, l’homme par qui le référendum sur le Brexit est arrivé, Nigel Farage, fait le bon diagnostic : « C’était complètement fou de nommer au poste de Premier ministre un politicien de carrière qui avait fait campagne contre la sortie de l’UE. » Et il applaudit la décision de David Davis et de Boris Johnson de démissionner du gouvernement de Theresa May, tout en annonçant qu’il cherchera à reprendre la direction de l’UKIP si « la grande trahison » des électeurs continue sur sa lancée. Son diagnostic est partagé par Jacob Rees-Mogg, le leader au Parlement des députés conservateurs favorables à un vrai Brexit. Rees-Mogg faisait en effet remarquer lundi que « les rênes du Brexit ont été confiées à ceux qui n’ont jamais voulu partir ». Farage espère d’ailleurs que Rees-Mogg et la soixantaine de députés de son European Research Group auront le courage de faire tomber le Premier ministre. Lundi, plus de 80 députés ont assisté à la réunion de ce groupe de frondeurs pro-Brexit à l’issue de laquelle Jacob Rees-Mogg a affirmé que Boris Johnson ferait un excellent Premier ministre.
Pourquoi avoir confié les rênes du Brexit à Theresa May alors que celle-ci avait fait campagne contre la sortie de l’UE ?
Plus encore que Theresa May qui n’avait pas soutenu le Brexit avant le référendum, le véritable traître au sein du gouvernement « conservateur » n’est autre que l’actuel ministre de l’Environnement, Michael Gove, affirme Nigel Farage. En effet, si Michael Gove avait fait campagne au côté de Boris Johnson en faveur du Brexit, Theresa May n’a dû sa nomination à la tête du Parti « conservateur » et du gouvernement, après la démission de David Cameron, qu’à la trahison de Gove – celui-ci, on s’en souvient, avait retiré à la dernière minute son soutien à la candidature du pro-Brexit Boris Johnson. Le fait que Gove reste aujourd’hui au gouvernement et soutienne la base de négociation avec l’UE présentée vendredi par Theresa May est une deuxième trahison, accuse Farage.
Cette base de négociation est, comme on le sait, à l’origine de la démission du ministre pour la sortie de l’UE et du ministre des Affaires étrangères. Si Gove a appelé les députés à conserver leur soutien au Premier ministre, ce n’est pas le cas de Boris Johnson. Au contraire, celui-ci accuse dans sa lettre de démission Theresa May de se laisser étouffer par le doute de soi et de vouloir envoyer ses négociateurs batailler à Bruxelles en agitant des drapeaux blancs. Ce que propose Mme May, c’est de conférer au Royaume-Uni post-Brexit un statut de colonie de l’UE, ajoute l’ex-ministre des Affaires étrangères : « Nombreux sont ceux qui auront du mal à percevoir les avantages économiques et politiques d’un tel accord. »
Un sabotage concerté des anti-Brexit britanniques et des eurocrates bruxellois ?
On aurait presque envie de voir dans l’approche des négociations par Theresa May, et même dans le choix de Mme May à la tête du Parti conservateur et du gouvernement en juillet 2016, comme une stratégie coordonnée avec les intraitables « négociateurs » bruxellois en vue de saboter le Brexit. Comme pour dire aux peuples d’Europe : « Vous voyez bien que sortir de l’UE ne peut déboucher que sur un échec ou une catastrophe. » Bien entendu, il n’y aura pas eu de véritable sortie de l’UE, et donc personne n’aura vérifié le scénario-catastrophe annoncé.
Si ce n’est pas un sabotage concerté entre les anti-Brexit britanniques et les eurocrates bruxellois, il s’agit au minimum d’une entente tacite visant à trahir les promesses faites au peuple britannique comme quoi leur vote serait respecté. Boris Johnson l’explique dans sa lettre : « Le peuple britannique a voté pour quitter l’Union européenne sur la base d’une promesse catégorique et sans ambiguïté selon laquelle, s’il faisait ce choix, il reprendrait le contrôle de sa démocratie. Il lui a été dit qu’il pourrait gérer sa propre politique d’immigration, rapatrier l’argent du Royaume-Uni actuellement dépensé par l’UE et surtout qu’il pourrait adopter ses lois en toute indépendance et dans l’intérêt des habitants de ce pays. » Or, dénonce Johnson, avec les nouvelles propositions de Theresa May pour Bruxelles, le compte n’y est pas.
Il sera plus facile d’obtenir un vote de défiance contre Theresa May que de faire voter la confiance pour Boris Johnson.
Le remplaçant de Boris Johnson choisi par le Premier ministre pour diriger le ministère des Affaires étrangères, c’est Jeremy Hunt qui avait, comme Theresa May, soutenu la campagne pour rester dans l’UE avant le référendum, même s’il prétend qu’il voterait aujourd’hui pour le Brexit. Parions qu’aucun Brexit digne de ce nom ne se fera sans renverser le gouvernement britannique actuel.
Le problème, c’est que si les 48 lettres de députés nécessaires pour imposer un vote de défiance peuvent en théorie être réunies sans grande difficulté, il sera plus difficile aux pro-Brexit de faire voter la confiance à un Premier ministre de leur camp, qu’il s’agisse de Boris Johnson, de Jacob Rees-Mogg ou d’un autre. Les pro-Brexit n’ont en effet pas la majorité à Westminster et Theresa May pourra compter sur le soutien d’une partie des Travaillistes hostiles au Brexit et qui ne souhaitent pas de nouvelles élections, de peur de les gagner et de voir leur leader d’extrême gauche Jeremy Corbyn prendre la tête du pays. Pour cette même raison, il y a des chances que la Commission européenne pousse maintenant son avantage de manière mesurée afin de rendre l’abdication proposée par Theresa May encore un peu plus complète, mais sans trop exagérer afin qu’elle puisse faire accepter l’accord signé par la majorité anti-Brexit de son Parlement et qu’elle reste encore un moment à la tête du pays.
Reste à voir comment réagira le peuple britannique face à cette trahison de leurs députés qui leur avaient majoritairement promis de respecter le résultat du référendum, y compris lorsqu’ils s’étaient présentés aux élections anticipées convoquées par Theresa May en 2017.