Au Royaume-Uni, les compteurs d’eau intelligents pourraient pénaliser les familles

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Rendre les factures d’eau plus justes et plus abordables ? C’est ce qu’assurent les compagnies britanniques, mais en réalité, tout dépend pour qui. Les nouvelles structures tarifaires qu’elles voudraient tester d’ici à 2030 et pour lesquelles elles font pression sur les ministres, prévoient une adaptation des tarifs en fonction de la consommation. L’idée est d’une part de récupérer des subsides, au nom d’une écologie économique (les compagnies sont en réalité surendettées) et de l’autre de redistribuer aux ménages les plus modestes. Sauf qu’en définitive, cela pourrait bien retomber, une fois de plus, sur les familles de la classe moyenne. Les conservateurs ont d’ailleurs évoqué une « guerre des classes en action », « une taxe sur les bains des enfants… »

Tout cela reposerait, bien sûr, sur le déploiement, archi-réclamé par les dites compagnies, des compteurs d’eau intelligents qui permettraient une facturation idoine. Un plus grand contrôle pour un socialisme étendu : c’est tout l’objectif des « smart cities », rêvées par tous – ou presque.

 

Réduire la consommation d’eau, tel est le but affiché par les compagnies

La peur est toujours le levier premier qu’on active : l’Angleterre va « manquer d’eau potable d’ici au milieu des années 2030 », arguent les politiques et en particulier le parti travailliste au pouvoir, très partant pour introduire de nouvelles réglementations. Il faut faire de efforts sans que cela nuise aux plus pauvres… Une étude du secteur de l’eau commandée par le gouvernement appelle ainsi à mettre en place un dispositif national permettant aux familles les plus modestes de bénéficier de réductions importantes sur leurs factures : un « tarif social national » a été présenté ce lundi à Keir Starmer, selon The Telegraph.

Il existait déjà des programmes de subventions mis en place par les différents fournisseurs pour aider les consommateurs les plus démunis. Mais ils reposaient sur la base du volontariat, les plus riches acceptant de payer pour les plus pauvres. Ce nouveau dispositif unifierait, cette fois, l’ensemble, le systématiserait en le rendant obligatoire, et toucherait donc davantage de foyers (environ deux millions supplémentaires).

La facture montera donc forcément pour les consommateurs les moins démunis. Surtout que, la crise aidant, la proportion de ménages bénéficiant de tarifs sociaux qui a déjà explosé ces dernières années ne pourra qu’augmenter. Les chiffres d’OFWAT (le régulateur britannique) montrent qu’à l’échelle du pays, une personne sur dix bénéficie désormais de ce type d’aide, les subventions croisées qui en résultent coûtant 26 livres par client non bénéficiaire.

Cela soulève plusieurs réflexions, dont une formulée par le secrétaire d’Etat au Logement du cabinet fantôme : « Le gouvernement devrait défendre ceux qui créent, et non ceux qui prennent. » Et qui trinquera en premier ? Les familles de la classe moyenne qui élèvent des enfants, mais sont considérées comme « riches ».

 

Un renforcement du système de tarifs sociaux sur le dos des familles ?

C’est d’autant plus le cas quand on avise l’autre « bonne idée » mise en avant par le Parti travailliste en mars dernier : mettre en place un modèle de tarification progressive où les familles les plus consommatrices d’eau se verront facturer les prix les plus élevés. Dans le cadre de ce système, également appelé tarification par tranches croissantes, selon The Telegraph, le tarif par litre augmente par intervalles en fonction de la consommation.

Alors oui, il y a ceux qui ont des piscines et de jolis parcs à arroser, mais il y a aussi les familles… la différence est parfois ténue. Par exemple, Thames Water prévoirait de faire payer « deux fois le tarif actuel » aux clients qui consomment plus de 685 litres par jour, soit l’équivalent de 13 cycles de lavage ou de huit bains. Les foyers avec des enfants seront facilement confrontés à une augmentation disproportionnée des coûts liés à leur consommation d’eau supplémentaire. Les familles nombreuses font décidément de moins en moins partie de la société idéale de demain.

Et s’il fait chaud, ce sera pire ! Les compagnies ont proposé d’augmenter les prix en fonction des températures. Des essais de tarification dynamique sont en cours comme le souligne The Telegraph, pour augmenter les prix en été, « en cas de pénurie d’eau ». Les clients seront ainsi incités à réduire leur consommation d’eau. Des mesures similaires sont déjà en place dans certaines régions d’Australie et des Etats-Unis.

 

Les compteurs d’eau intelligents, au Royaume-Uni comme ailleurs, sont un outil de contrôle

Autant de perspectives qui, à grande échelle, nécessitent le déploiement uniforme, dans tous les foyers, des compteurs d’eau dits intelligents. Ces fameux compteurs, connectés à Internet, fournissent les données directement à la compagnie des eaux et permettent de connaître la consommation des ménages quasiment en temps réel. Le secteur de l’eau presse le gouvernement de l’imposer. Actuellement seuls 7 % des foyers britanniques en sont équipés (par comparaison, 20 % le sont déjà en France).

Ces données granulaires peuvent favoriser ces innovations tarifaires, plaident les compagnies. Elles peuvent aussi se transformer en un véritable outil de surveillance et même de pénalisation, par exemple pour ceux qui ne respectent pas les interdictions d’arrosage. Il existe déjà des pénalités, mais les entreprises les appliquent rarement et jamais sur l’observation des compteurs. Un député réformiste a évoqué le risque d’« un système de crédit social à la chinoise » : comportez-vous (écologiquement) bien et vous n’aurez pas d’ennuis.

Ce qui est certain, c’est que les compagnies des eaux sont déjà lourdement endettées et doivent, de plus, réduire leurs fuites de canalisations, ainsi que leurs eaux usées. Il leur faut trouver de l’argent et donc augmenter les factures (qui ont déjà augmenté de 26 à 47 % au 1er avril de cette année). Reste qu’elles pourraient très bien faire de cette bonne raison ou de ce prétexte, de concert avec le gouvernement de gauche, un véritable « outil d’ingénierie sociale ». Et ça, les conservateurs britanniques l’ont dénoncé.

Tous ces programmes « novateurs » rentrent également, bien évidemment, dans le souci de décroissance globale : consommer vert, consommer moins. L’année dernière, le Royaume-Uni a mis sur la table un projet de modulation des tarifs de l’électricité en fonction de la demande. Personne n’aura le choix quoi qu’ils en disent. C’est une question d’idéologie, pas d’économie.

 

Clémentine Jallais