L’émigration des juifs dans un contexte de montée de l’antisémitisme liée à l’immigration musulmane n’est pas seulement un phénomène français. Jusqu’ici, le Royaume-Uni a toutefois été relativement épargné. Cela pourrait changer en cas de victoire des Travaillistes et d’arrivée de Jeremy Corbyn au pouvoir, selon l’ancien grand rabbin Jonathan Sacks. Car au Royaume-Uni, plus évidemment encore qu’en France, le véritable antisémitisme est à gauche, à la frontière entre l’anticapitalisme, l’antisionisme pro-palestinien et l’islamo-gauchisme. Chose curieuse, mais plutôt caractéristique de l’aveuglement délibéré de certaines élites juives des deux côtés de La Manche, Jonathan Sacks fait un parallèle entre les remarques antisionistes de Corbyn et le célèbre discours du conservateur Enoch Powell de 1968 mettant en garde contre l’immigration de masse, appelé depuis « Discours des fleuves de sang ». En effet, si tant de juifs d’Europe occidentale sont aujourd’hui tentés de faire leur alya (émigration vers Israël), c’est justement parce que les prévisions avancées par Powell en 1968, qui lui ont valu à l’époque d’être exclu du cabinet fantôme du Parti conservateur, sont aujourd’hui devenues réalité, non seulement au Royaume-Uni mais dans l’ensemble de l’Europe occidentale.
L’émigration des juifs, un phénomène qui pourrait bientôt se développer outre-Manche
Il n’empêche que le Parti travailliste britannique a un sérieux problème avec l’antisémitisme, même si l’on choisit une définition plus restrictive de cette notion que celle retenue récemment par l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA), selon laquelle comparer les politiques contemporaines de l’Etat d’Israël aux politiques des nazis – comparaison certes outrancière – est aussi de l’antisémitisme. Le Labour est d’ailleurs attaqué sur le refus du militant d’extrême gauche Jeremy Corbyn de faire adopter cette définition par son parti et sur sa dénonciation du parti-pris de la BBC lorsque le média public affirme le droit d’Israël d’exister en tant qu’Etat, ce qui tombe aussi sous le coup de la définition de l’antisémitisme retenue par l’IHRA.
Les déclarations de l’ancien grand rabbin, également membre de la Chambre des Lords, ont été faites sur la BBC. « Les juifs sont présents en Grande-Bretagne depuis 1656 », a-t-il déclaré, « Je ne connais pas d’autre occasion au cours de ces 362 années où les juifs, la majorité de notre communauté, se seraient demandé : “Ce pays est-il sûr pour y élever nos enfants ?” » « Les juifs quittent la France depuis maintenant 16 ans, depuis qu’il y a eu des attaques terroristes contre des juifs. Pas contre des cibles israéliennes, soyons clairs, mais contre des cibles juives : des synagogues, des supermarchés juifs, des écoles juives. Et quand les gens ici entendent le type de langage qui sort du Labour et qui refait surface à partir des anciens discours de Jeremy Corbyn, ils ne peuvent que ressentir une menace existentielle. »
Le grand rabbin Jonathan Sacks pensait que l’antisémitisme épargnerait le Royaume-Uni
« J’aime ce pays », a encore ajouté Jonathan Sachs, « et même quand l’Europe dérivait au cours des dix dernières années vers une résurgence de l’antisémitisme, je croyais que cela ne pouvait pas arriver ici. » C’est pourquoi, estime Lord Sacks à propos de Jeremy Corbyn, « Tant qu’il n’aura pas exprimé des regrets clairs pour ce qu’il a dit et pour ce que son parti a fait aux sympathisants juifs, il représente un danger aussi grand qu’Enoch Powell avant lui. »
Corbyn à la tête d’un parti travailliste au bord de la scission
Les réactions au Parti travailliste sont de deux sortes. D’un côté, John McDonnell, chancelier de l’Échiquier du cabinet fantôme de Corbyn et allié proche de ce dernier, estime que le rabbin a tort et l’invite à venir discuter avec les leaders du Labour. Il reconnaît toutefois qu’une partie des membres du Labour risquent fort de quitter prochainement le parti à cause de la polémique sur son antisémitisme. D’un autre côté, Frank Field vient de renoncer à sa fonction de whip (chargé de la discipline de vote) du groupe travailliste à la Chambre des communes car, estime-t-il, son parti est en train de devenir une « force pour l’antisémitisme ».