Que l’attaque à la voiture piégée par laquelle Daria Douguine, fille d’Alexandre, a été tuée, samedi soir, soit un crime abominable et lâche, je ne le contesterai pas un instant. Ne comptez pas sur moi pour me réjouir de la mort violente de cette jeune femme de trente ans, quasiment sous les yeux de son père. On ne souhaite pas cela à son pire ennemi.
En revanche, je suis stupéfaite et scandalisée de voir le concert de louanges d’une certaine « droite » à l’égard de cette journaliste engagée – concert qui rejaillit sur son père, Alexandre Douguine, dont elle partageait largement les idées, et qui était vraisemblablement la cible de l’attentat. Idéologie fortement marquée par une eschatologie instrumentalisée, et qui développe un anti-catholicisme véritablement spectaculaire.
C’est sa voiture à lui qui a explosé dans la banlieue de Moscou, et il aurait été à bord s’il n’avait décidé, à la dernière minute, de rentrer d’un festival de « Tradition » aux abords de Moscou avec des amis, laissant le volant de son SUV Toyota à Daria.
Il est intéressant à cet égard de constater que le FSB (version contemporaine de la Guépéou, de la NKVD, du KGB…) dit avoir bouclé son enquête sur l’attentat en moins de 48 heures, assurant que la coupable est probablement une femme liée au régiment d’Azov, et que celle-ci a « pisté » Daria (et non son père) pendant un mois à Moscou avant de passer à l’acte, et de s’enfuir aussitôt vers l’Estonie. Cette « néo-nazie » aurait-elle donc depuis le début visé la fille plutôt que le père ? Ou compté sur la chance pour que Daria lui offre une occasion de perpétrer un attentat contre Alexandre ? On comprend mal.
La mort de Daria Douguine agit comme un révélateur
Mais quel que soit l’auteur du crime, quel que soit le but recherché, la mort tragique de Daria Douguine agit en Occident, et en particulier en France, comme un révélateur : soit de l’ignorance largement partagée (et qui n’a rien d’invincible) à l’égard des ressorts réels de la pensée de la fille et de son père, soit d’une complicité qui doit être mise au jour.
Avant d’en donner un aperçu forcément bref, il faut s’interroger sur le poids idéologique réel de la nébuleuse Douguine. Non sans rappeler le tweet de François Bousquet, rédacteur en chef d’Eléments : « Rien de pire ne pouvait arriver à son père, Alexandre #Dugin : la mort de sa fille. Elle et lui, c’était un couple intellectuel, fusionnel. Les deux hémisphères d’un même cerveau. Quand on parlait à l’un, on entendait l’autre. Paix à votre âme, chère Daria. »
La grande presse occidentale affirme volontiers qu’Alexandre est le « Raspoutine de Poutine », son maître à penser, un proche. Cette idée est balayée par des personnalités comme Jacques Sapir, Alexandre del Valle» Christian Bouchet, spécialiste de l’occultisme et proche de Douguine, affirme aujourd’hui à Breizh-Info :
« Ces médias le présentent comme le « Raspoutine de Vladimir Poutine », comme le « cerveau de Poutine », etc. Or, en réalité, je crois bien qu’il n’a jamais rencontré le président Poutine et, il y a quelques années, il a perdu sa chaire à l’Université de Moscou car ses prises de position radicales gênaient le gouvernement Poutine alors favorable à la signature des accords de Minsk.
« Contrairement à ce qui peut être écrit, il n’est pas celui qui murmure ses conseils à l’oreille de Vladimir Poutine. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il n’a pas d’influence, mais celle-ci s’exerce différemment : par ses livres, ses articles, ses conférences, ses interventions télévisées, ses prises de position sur la toile. Et cette influence est importante, même si elle est bien différente de celle qu’on nous présente. Si je peux faire une comparaison, il est plus proche, en Russie, du statut qu’a en France Bernard-Henri Levy que de celui qu’a pu avoir Jacques Attali avec François Mitterand. »
Alexandre et Daria Douguine : appels « métaphoriques » à la violence ?
Gênant pour le régime de Poutine, Douguine ? Critique à l’égard du président russe ? On veut bien le croire, mais dans une certaine mesure seulement, car comme sa fille, il soutient fortement l’invasion de l’Ukraine. Il a effectivement perdu sa chaire de sociologie à l’Université de Moscou en 2014 parce qu’il avait appelé à « tuer, tuer, tuer » les Ukrainiens – affirmation qu’il a par la suite qualifiée de « métaphorique ». C’est d’ailleurs à peu près ainsi qu’il minimise ses appels à la « destruction » des libéraux, de l’Amérique et j’en passe.
Si Douguine semble avoir été mis à l’écart des médias officiels russes, il est néanmoins libre, dans ce pays très surveillé, de diffuser son abondante prose au service de l’» eurasisme » qu’il a théorisé, et dont il faut bien reconnaître que Poutine le met – toujours dans une certaine mesure – en pratique. L’Union eurasiatique (calquée sur l’UE…), le grand rapprochement entre la Russie, la Chine, l’Iran, la Turquie… (avec ses heurts et ses contradictions internes) se joue sous nos yeux, et désigne un ennemi, voire une cible : l’Occident. Leur vocabulaire est voisin, les idées se recoupent. Sans cesse revient le mot : « multipolarité ».
Vladimir Poutine a d’ailleurs adressé ses condoléances à la famille de Daria, en des termes chaleureux, saluant son patriotisme et la qualifiant de « personne brillante, talentueuse avec un vrai cœur russe ». Lors de la cérémonie d’hommage qui eut lieu ce mardi en présence de son cercueil, la jeune femme a reçu l’Ordre du courage à titre posthume par décret de Poutine : » Pour le courage et le dévouement dont elle a fait preuve dans l’accomplissement de son devoir professionnel, je décerne l’Ordre du courage à Daria Aleksandrovna Dugin, correspondante de la société par actions non publique Tsargrad Media, Moscou. » Cela ne désigne pas les Douguine comme idéologues du régime, mais signifie bien qu’il s’agit de tout sauf d’opposants…
L’idéologie de Douguine n’a pas empêché ses interventions diplomatiques
Sur un plan plus pratique, Douguine se vante d’avoir, grâce à une diplomatie informelle fondée sur les relations personnelles, facilité le rétablissement de l’amitié entre Poutine et Erdogan en 2017 après l’incident au cours duquel la Turquie avait abattu un chasseur russe à la frontière syrienne. L’enjeu était de taille : le maintien au pouvoir de Bachar el Assad, la conservation d’une place militaire contrôlée par la Russie en Méditerranée, la consolidation de l’alliance russe avec une partie du monde islamique.
Douguine est également intime d’un oligarque réputé très proche de Poutine, Konstantin Malofeev. D’une part, après en avoir été brièvement le rédacteur en chef, Douguine a continué à collaborer avec la télévision fondée par Malofeev, Tsargrad (le nom donné par les Orthodoxes à Constantinople dont la reconquête est un vieux rêve russe). Tsargrad a consacré de nombreux articles à la mort de Daria Douguine et c’est Malofeev qui, à la demande de Douguine, a diffusé la première réaction publique de ce dernier sur son propre compte Telegram, appelant à la « victoire » dans la guerre menée en Ukraine pour que le sacrifice de sa fille ne soit pas vain…
Par ailleurs, Alexandre Douguine figure à la deuxième place de l’organigramme du « think tank » Katehon (attention, seulement dans la version russe) présidé par Malofeev, et y collabore fréquemment. On retrouve d’ailleurs des articles du site geopolitika.ru, qui développe largement les idées de Douguine et publie ses analyses, sur Katehon.com.
La fréquentation de ces sites est extrêmement instructive, mais j’ai peine à croire que nombre de nos amis catholiques de la droite de conviction s’y soient beaucoup aventurés. Bien sûr, on y condamne l’idéologie du genre, le « wokisme », le mondialisme, le « grand Reset », mais il faut regarder plus loin. On y trouve une rhétorique fortement anti-occidentale, le désir de créer un empire « terrien » dont la Russie serait le « Heartland » – le cœur – englobant toute l’Europe occidentale, en lien avec la Chine (communiste) et son réseau de communication terrestre.
Multipolarité et syncrétisme : la haine de l’universalisme
Au titre de la « multipolarité », c’est le respect de toutes les civilisations qui est prôné, et de leurs religions, attachées à des territoires dans une sorte de déterminisme historique. L’universalisme de l’Europe occidentale est présenté comme l’ennemi à abattre, car il n’y a pas de vérité, seulement des « peuples » à la valeur quasi mystique, plongeant tous leurs racines historiques dans une religion originelle qui a donné naissance aux religions sur le fondement d’une révélation multiforme (dont les Orthodoxes russes sont assurément, dans cette optique, les plus proches). Cela aboutit forcément à un syncrétisme et à un relativisme. L’Occident est présenté comme s’étant exclu de cet héritage, en choisissant un « matérialisme » libéral et hégémonique qu’il faut combattre à tout prix.
Cela explique la fascination de Douguine – qui se réclame de l’ésotériste René Guénon, de Julius Evola, de la gnose – pour l’hindouisme ou l’islam. La « Tradition » défendue ici n’est pas celle de la transmission de la vérité révélée : elle est celle du « temps long », des archétypes, de la mémoire primordiale. Elle rejette le dogme (à la manière des francs-maçons). Elle dénonce l’idéologie des droits de l’homme, non en que celle-ci rejette les droits de Dieu, mais en ce qu’elle proclame les droits des personnes en tant qu’individus et non de manière « collective » (car le « peuple » prévaut sur les personnes). Elle déteste l’Europe catholique qui a traversé les océans.
Quelques exemples significatifs (mais on pourrait remplir des pages) donneront une idée.
Au nom de son idéologie, Douguine justifie le départ des troupes françaises du Mali
En septembre dernier, sur son site geopolitika.ru, Alexandre Douguine publiait une charge violente contre la présence française au Mali, terre dont il saluait au passage la civilisation historiquement très forte sur le plan culturel, politique et économique, « société belle et raffinée à part entière » :
« L’ère coloniale a réduit les Africains au statut de misérables esclaves. En raison du manque de technologie de pointe et de la couleur de la peau, les Européens ont inscrit les Africains dans la catégorie des sous-humains. Et cette civilisation cruelle, cynique et cupide nous apprendra ce que sont les droits de l’homme ? Jamais en Russie l’État et la société n’ont sombré dans une méchanceté aussi inhumaine que les peuples de l’Europe éclairée. En témoignent les terribles siècles de leur domination en Afrique. Les Européens du Siècle des Lumières ont créé le mythe ignoble selon lequel toutes les races ne sont pas égales et que ceux qui ont obtenu de grands succès dans la technologie et les appareils matériels ont le droit de régner sur ceux qui sont censés avoir pris du retard dans leur développement. L’idée de progrès elle-même était à l’origine des fondements racistes et esclavagistes : les plus développés ont parfaitement le droit de régner sur les moins développés. (…)
« La France, par inertie, essaie toujours de gouverner son ancienne colonie, mais elle ne peut pas résoudre les problèmes économiques, de séparatisme ou d’extrémisme, ou peut-être ne le veut-elle pas. Tout est affecté par l’inertie de l’arrogance occidentale. Le président pro-français Ibrahim Boubacar Keita a été évincé en 2020. Au Mali, même les drapeaux russes peuvent être vus lors des rassemblements, le peuple exige que les nouveaux dirigeants se tournent vers la Russie dès que possible.
« Dans un monde multipolaire, la Russie a une chance de venir en Afrique avec une toute nouvelle mission. La Russie n’a pas d’histoire coloniale en Afrique. Et Moscou a une longue histoire, généralement positive, de liens traditionnels avec les pays africains et les mouvements anticoloniaux.
« Il est temps que la Russie vienne au Mali. En ce qui concerne son histoire ancienne, sa culture, son identité. Sans la moindre trace de supériorité ou d’intentions cupides.
« La Russie peut venir au Mali comme un ami, comme un soutien, comme une force capable d’agir de manière transparente et prévisible. Les succès de la Russie dans la lutte contre l’extrémisme islamique sont clairement visibles dans la même Syrie. Il est tout à fait possible de répéter. L’Afrique française ou britannique est une ombre honteuse du passé colonial. La Russie se présente comme un empire libérateur qui, en fait, n’a besoin de rien des peuples d’Afrique. C’est un rôle très intéressant et assez traditionnel pour une personne russe – aider les opprimés, les humiliés et les offensés. »
Oui, en effet, la Russie a été présente en Afrique pour hâter la décolonisation : ce fut tout le travail de subversion mené par l’URSS qui affaiblissait ainsi l’Occident et instaurait la misère communiste dans tant de pays décolonisés…
La profession de foi gnostique de Douguine
Je ne me lasse pas non plus de cette profession de foi gnostique de Douguine, que j’avais rapidement commentée ici, tirée de : Le prophète de l’eurasisme, Partie IV – Essais philosophiques, Le gnostique, pp. 217-220, Avatar éditions, Collection Heartland. Extraits (le texte complet est ici) :
« Maintenant vient le temps de révéler la vérité, de dévoiler une essence spirituelle que les lèche-bottes ordinaires définissent comme de l’» extrémisme politique ». Nous les avons embrouillés, changeant les registres de nos sympathies politiques, la couleur de nos héros, passant du chaud au froid, du droitisme au gauchisme et inversement. Tout cela n’était qu’une préparation intellectuelle, une sorte de réchauffement idéologique.
« Nous avons effrayé et séduit à la fois l’extrême droite et l’extrême gauche, et maintenant toutes deux ont perdu leurs lignes directrices, toutes deux ont été attirées hors des sentiers battus. C’est merveilleux. Comme le grand Evgueni Golovin aimait à le répéter : « Celui qui marche face au jour ne doit pas craindre la nuit. » Il n’y a rien de plus agréable que de sentir le sol se dérober sous vos pieds. C’est la première expérience de vol. Cela tuera la vermine. Cela endurcira les anges.
« Qui sommes-nous en réalité ? Ceux dont le visage menaçant apparaît plus clairement, jour après jour, derrière le courant politique radical paradoxal qui répond au nom effrayant de national-bolchévisme ?
« Aujourd’hui il est possible de répondre à cette question sans équivoques ni définitions évasives. Cependant, avec cette fin en vue, il est nécessaire de faire une brève digression dans l’histoire de l’esprit.
« L’humanité a toujours eu deux types de spiritualité, deux votes – la « Voie de la Main Droite » et la « Voie de la Main Gauche ». La première est caractérisée par une attitude conciliantz envers le monde environnant qui est vu comme harmonie, équilibre, bien, paix. Tout le mal est considéré comme un cas particulier, une déviation par rapport à la norme, quelque chose d’inessentiel, de passager, sans raisons transcendantales profondes. La Voie de la Main Droite est aussi appelée la « Voie du Lait ». Elle ne blesse pas la personne, elle la préserve de toute expérience radicale, de l’immersion dans la souffrance, du cauchemar de la vie. C’est une fausse voie. Elle conduit à un rêve. Celui qui la suit n’arrive nulle part.
« La seconde voie, la « Voie de la Main Gauche », voit tout selon une perspective inverse. Pas de tranquillité laiteuse, mais une sombre souffrance» pas de calme silencieux, mais le drame torturant et ardent de la vie déchirée. C’est la « Voie du Vin ». Elle est destructrice, terrible, ne connaît que la colère et la violence. Pour celui qui suit cette voie, toute la réalité est perçue comme un enfer, comme un exil ontologique, une torture, une immersion au cœur de quelque catastrophe inconcevable tombée des hauteurs des cieux. Dans la première voie tout semble bon, dans la seconde tout paraît funeste. Cette voie est monstrueusement difficile, mais seule cette voie est vraie. Celui qui la suit trouvera gloire et immortalité. Celui qui l’endurera conquerra et recevra la récompense, qui est plus élevée que la vie. (…)
« La Voie de la Main Gauche est appelée « gnose », « connaissance ». Elle est amère, en tant que connaissance elle engendre la douleur et froide tragédie. Jadis, dans l’Antiquité, quand l’Humanité attachait encore une signification décisive aux aspects spirituels, les gnostiques développèrent leurs théories à un niveau philosophique, comme une doctrine, comme des mystères cosmologiques, comme un culte. Graduellement les êtres se dégradèrent, cessèrent de prêter attention au royaume de la pensée, tombèrent dans la physiologie, dans la recherche de la vie privée, de la vie personnelle. (…) Les fils de l’ancienne connaissance conduisirent Marx, Netchaïev, Lénine, Staline, Mao, Che Guevrara… Le Vin de la Révolution socialiste, le plaisir de la révolte contre les forces du destin, la passion furieuse et sacrée de la destruction totale de tout ce qui est sombre pour l’amour de trouver une nouvelle Lumière non-terrestre… (…)
« Ils ne souriaient jamais. C’est le signe de l’élection particulière, la trace de la monstrueuse expérience qui était commune à tous les « voyageurs de la Voie de la Main Gauche ». Un gnostique survole notre monde avec un regard sévère. Le même regard qu’avaient ses précurseurs, maillons d’une ancienne chaîne des élus, choisis par l’Horreur. La marque répugnante lui est visible. L’Occident perdu dans sa psychose de consommation, l’Orient dégoûtant par sa lenteur d’esprit et son obéissance misérable. Un monde en train de se noyer, une planète touchant le fond. (…)
« Mais le gnostique continuera à l’œuvre de la vie. Il n’abandonnera jamais. Ni aujourd’hui, ni demain. Au contraire, il a toutes les raisons de triompher intérieurement. N’avons-nous pas dit aux naïfs optimistes de la « Voie de Main Droite » où leur excessive confiance ontologique les conduirait ? N’avons-nous pas prédit la dégradation de leur instinct créatif dans cette grotesque parodie, représentée par les conservateurs modernes qui se sont abandonnés à tout ce qui horrifiait leurs précurseurs les plus séduisants (mais non moins hypocrites) deux mille ans auparavant ? Ils ne nous ont pas écoutés… Maintenant qu’ils ne s’en prennent qu’à eux-mêmes et qu’ils lisent les livres du New Age ou les manuels de marketing. (…)
« Nous avons une très bonne mémoire, nous avons de très « long bras ».
« Nous avons une très sévère tradition.
« Labyrinthes de vie, spirales d’idées, tourbillons de colère… »
Alexandre Douguine est partisan du Chaos : Chaos contre Logos, le « chaos éternel qui coexiste éternellement avec le temps ». Ce Logos qui est à la racine de la civilisation européenne, il le dénonce et le combat. Or le Logos est par essence le Verbe de Dieu…
Il écrit :
« La philosophie européenne moderne a commencé par le concept de Logos et d’ordre logique de l’être. Pendant deux mille et quelques centaines d’années, ce concept a été entièrement épuisé. Toutes les potentialités et les principes posés dans cette forme de pensée logocentrique ont maintenant été explorés, exposés et abandonnés de manière exhaustive.
« Le problème du Chaos et la figure du Chaos ont été négligés, mis de côté dès le début de cette philosophie. La seule philosophie que nous connaissons actuellement est la philosophie du Logos. Mais le Logos est quelque chose d’opposé au Chaos, son alternative absolue. (…) »
L’idéologie du Chaos : Alexandre et Daria Douguine en partageaient le symbole
Il rejette explicitement la philosophie réaliste, le principe de non-contradiction, vantant le Chaos « féminin » d’où l’ordre peut naître face au Logos, « phallocrate ». Ordo ab chao : c’est une devise maçonnique. Et c’est ce Chaos que Douguine appelle de ses vœux, afin que de l’horreur, de la destruction, puisse naître une nouvelle ère, une nouvelle lumière, après le Logos qui a fait tout dégénérer… Douguine écrit encore :
« Le chaos est donc toujours absolument nouveau, frais et spontané. Il peut être considéré comme une source de toute sorte d’invention et de fraîcheur car son éternité a en elle-même toujours quelque chose de plus que ce qui était, est ou sera dans le temps. Le Logos lui-même ne peut exister sans le Chaos comme un poisson ne peut vivre sans eau. Lorsque nous mettons un poisson hors de l’eau, il meurt. Lorsque le poisson commence à insister excessivement sur le fait qu’il est autre chose que l’eau qui l’entoure (même si c’est vrai), il vient sur le rivage et y meurt. C’est une sorte de poisson fou. Quand on le remet dans l’eau, il saute à nouveau. Alors laissez-le mourir cette fois-ci s’il le veut. Il y a d’autres poissons au fond de l’eau. Suivons-les.
« L’ère astronomique qui s’achève est l’ère de la constellation du Poisson. Le Poisson sur le rivage. Celui qui meurt. Nous avons donc maintenant un grand besoin d’eau.
« Seule l’attitude complètement nouvelle envers la pensée, la nouvelle ontologie et la nouvelle gnoséologie peuvent sauver le Logos laissé sur l’eau, sur le rivage, dans le désert qui grandit et grandit (comme Nietzsche l’avait prévu).
« Seuls le Chaos et la philosophie alternative basée sur l’inclusivité pourraient sauver l’humanité moderne et le monde des conséquences de la dégradation et de la décadence du principe exclusiviste appelé Logos. Le Logos a expiré et nous pouvons tous être enterrés sous ses ruines à moins que nous ne fassions appel au Chaos et à ses principes métaphysiques et que nous les utilisions comme base pour quelque chose de nouveau. C’est peut-être « l’autre commencement » dont parlait Heidegger. »
Ce n’est pas un hasard si le symbole de l’eurasisme, le symbole du site geopolitika.ru, celui qui figure sur les drapeaux du mouvement et sur le tee-shirt de Daria Douguine est la « chaosphère », un globe dont partent huit flèches, qui minimise et contredit la Croix autour de laquelle tourne le monde.
Cette pensée n’est pas la nôtre. Elle nous est opposée et hostile. Elle est fondamentalement ennemie de Dieu et de la foi. Elle rejette le commandement du Christ : « Faites de toutes les nations des disciples. »