La première chose qui saute aux yeux dans le document préparatoire pour le synode spécial sur Amazonie est son caractère horizontal – qui fut déjà la marque de celui destiné au synode des jeunes qui se tiendra en octobre à Rome. Un an plus tard, en octobre 2019, les évêques invités devront notamment se pencher sur la « conversion pastorale et écologique » dont ils sont appelés à discerner les contours, mais il ne s’agit pas de réfléchir à la meilleure manière d’apporter le salut et la rédemption aux peuples autochtones du bassin « pan-amazonien » : non, il s’agit avant tout de déterminer comment l’Eglise peut contribuer à sauvegarder leur environnement, la biodiversité, et au-delà prendre en compte leurs « cosmovisions » et spiritualités propres. On navigue sans cesse entre le mythe du bon sauvage – ces Amérindiens d’Amazonie ont décidément toutes les qualités – et la dénonciation de la colonisation passée et présente – sous la forme de la mondialisation néo-libérale – dont l’Eglise serait en quelque sorte appelée à panser les plaies.
Le document préparatoire du synode Amazonie est sorti en la Fête du Sacré-Cœur
Nous avons déjà décrypté le substrat théologique du document préparatoire pour le synode sur l’Amazonie, tout imprégné de « théologie indienne » qui consiste essentiellement à prendre en compte la vision autochtone du cosmos des peuples natifs de la forêt amazonienne dans l’affirmation du message chrétien. Ce regard spécifique sur Dieu et la nature aboutit à une forme d’immanentisme comme le montre de manière plus ou moins explicite le document préparatoire avec ses multiples références à Laudato si’.
Cela est manifeste dans ce premier extrait particulièrement révélateur :
« Pour les peuples autochtones d’Amazonie, le “bien vivre” existe lorsqu’ils sont en communion avec les autres personnes, avec le monde, avec les êtres qui les entourent, et avec le Créateur. Les peuples autochtones, en effet, vivent dans la maison que Dieu lui-même a créée et leur a donnée en cadeau : la Terre. Leurs diverses spiritualités et croyances les incitent à vivre en communion avec la terre, avec l’eau, avec les arbres, avec les animaux, avec le jour et la nuit. Les anciens sages, appelées indifféremment payés, mestres, wayanga ou chamanes – entre autres – encouragent l’harmonie des personnes entre elles et avec le cosmos. Tous sont “la mémoire vivante de la mission que Dieu nous a donnée à tous : sauvegarder la Maison Commune”. »
Où l’on perçoit un deuxième élément qui saute aux yeux par son absence dans le document préparatoire au synode sur l’Amazonie : outre l’absence de la notion du salut, il y celle de la perception d’une réalité païenne, préchrétienne, fortement marquée par des pratiques spiritistes et donc diaboliques propres aux payés, mestres, wayanga ou chamanes qui prétendaient commander à la nature en invoquant les forces surnaturelles.
Qu’on me permette ici d’invoquer le souvenir – tel que raconté il y a bien des années à mon père par un missionnaire néerlandais qui avait vécu cela dans ces terres hostiles – d’un prêtre sans cesse confronté à l’hostilité du sorcier local, aux pouvoirs étonnants. Celui-ci était capable de se déplacer de manière incompréhensible, quittant le bon père qui s’en allait sur le fleuve pour le retrouver à son arrivée, loin en aval, pour l’insulter copieusement dans son dialecte brabançon natal… Ce missionnaire n’avait absolument aucun doute par rapport à l’existence du démon. Et il savait à quel mal il cherchait à arracher les Indiens en les convertissant…
Anticolonialisme et spiritualités païennes
Les pères synodaux d’octobre 2019 auront, s’ils s’en tiennent à ce document et au questionnaire qui le complète en vue de leur réunion, d’autres préoccupations. Cela est exprimé d’emblée :
« Dans la forêt amazonienne, d’une importance vitale pour la planète, une crise profonde a été déclenchée par une intervention humaine prolongée où prédomine une ”culture du déchet” (Laudato si’ 16) et une mentalité d’extraction. L’Amazonie est une région possédant une riche biodiversité ; elle est multiethnique, multiculturelle et multireligieuse, un miroir de toute l’humanité qui, pour défendre la vie, exige des changements structurels et personnels de tous les êtres humains, des Etats et de l’Eglise. »
Révolutionnaire, n’est-ce pas ? Il va falloir changer tout le monde et même l’Eglise du Christ, et ce à grande échelle puisque le texte ne cache pas que l’Amazonie est exemplaire, et que ce qui est bon pour elle sera bon pour la planète.
Dire que le texte est jargonnant est une litote. Lui qui rappelle la simplicité de l’approche de Jésus-Christ pose la question :
« Comment pouvons-nous collaborer à l’édification d’un monde qui doit rompre avec les structures qui ôtent la vie et avec les mentalités de colonisation pour construire des réseaux de solidarité et d’interculturalité ? »
Cette « interculturalité » passe par l’admiration sans bornes du regard porté sur la nature par les Indiens d’Amazonie dont le texte adopte le vocabulaire et les réflexes païens :
« Dans ce contexte, c’est l’eau, à travers ses cours d’eau, ses rivières et ses lacs, qui constitue l’élément articulateur et intégrateur, dont l’axe majeur est l’Amazone, le fleuve mère et père de tous. »
Et plus loin :
« C’est ainsi que les paysans (campesinos) et leurs familles d’Amazonie utilisent les ressources des terres inondables en respectant, comme toile de fond, le mouvement cyclique de ses fleuves – inondation, reflux et période de sécheresse – en un rapport de respect qui sait que “la vie mène au fleuve” et “le fleuve mène à la vie”. De plus, les peuples de la forêt, cueilleurs et chasseurs par excellence, survivent avec ce que la terre et la forêt leur offrent. Ces populations veillent sur les rivières et prennent soin de la terre, de la même manière que la terre prend soin d’eux. Elles sont les gardiennes de la forêt et de ses ressources. (…) Cependant, la richesse de la forêt et des fleuves de l’Amazonie est aujourd’hui menacée par les grands intérêts économiques qui s’installent sur diverses parties du territoire. »
« La terre prend soin d’eux » : c’est la notion fondamentale de la spiritualité immanentiste qui attribue à la nature un pouvoir, et surtout une « maternité » qui n’a rien à voir avec la paternité divine et surnaturelle qui de toute façon n’est pas en odeur de sainteté chez les adorateurs de la « Pachamama », la Terre-Mère…
Le synode sur l’Amazonie s’intéressera à la Terre-Mère
Le mal amazonien que décrit le document est social, institutionnel, fruit de l’exploitation des richesses de cette « forêt primale » souffrant de cette « mentalité d’extraction » décrite plus haut. Qu’il y ait eu des injustices n’est pas en question. Mais ce qui frappe dans les solutions proposées est leur coloration gauchiste :
« Les villes sont également caractérisées par les inégalités sociales. La pauvreté qui s’est développée tout au long de l’histoire a engendré des rapports de subordination, de violence politique et institutionnelle, l’augmentation de la consommation d’alcool et de drogues – aussi bien dans les villes que dans les petites communautés – et représente une blessure profonde dans le corps des différents peuples amazoniens. »
Ainsi les inégalités sociales et la subordination, qui sont des réalités mais pas nécessairement des maux, sont-ils dénoncés pêle-mêle dans le document avec la prostitution, la misère, les spoliations.
Ce qui fascine les rédacteurs (leurs noms ne sont pas donnés, on imagine qu’il s’agit du secrétariat du synode avec l’inévitable cardinal Baldisseri à sa tête), c’est la diversité de ces peuplades primitives aux croyances rudimentaires :
« 390 peuples et nationalités distincts (…) Chacun de ces peuples représente une identité culturelle particulière, une richesse historique spécifique et une façon particulière de voir le monde et ce qui l’entoure et d’entretenir avec lui une cosmovision et une territorialité spécifiques. »
Le mal qui les frappe ne porte qu’un nom : colonisation. Comme dans la théologie de la libération, mais sous sa variante moins marxiste que populiste (c’est la fameuse théologie du peuple chère au pape François), il s’agit de considérer ces peuples, ces communautés porteuses d’une valeur en tant que telles, comme dépositaires d’une richesse qui fait défaut aux pays civilisés par des siècles de christianisme :
« Aujourd’hui, malheureusement, des vestiges du projet de colonisation demeurent, créant des représentations d’infériorisation et de diabolisation des cultures indigènes. Cela affaiblit les structures sociales autochtones et permet de les déposséder de leurs connaissances intellectuelles et de leurs moyens d’expression. Ce qui est effrayant, c’est qu’aujourd’hui, 500 ans après la conquête, plus ou moins 400 ans de mission et d’évangélisation organisées et 200 ans d’indépendance des pays qui forment la Panamazonie, des processus similaires continuent de s’étendre sur ce territoire et ses habitants, victimes aujourd’hui d’un néocolonialisme féroce “sous couvert de progrès”. »
Superbes amalgames !
On apprend ensuite, dans un curieux raccourci :
« Au long de son histoire missionnaire, l’Amazonie a été un lieu concret de crucifixion, avec de nombreux lieux de martyre. L’Eglise a également appris que les nombreux et différents peuples qui habitent ce territoire depuis dix mille ans ont bâti leurs cultures en harmonie avec le milieu environnant. »
Faut-il comprendre que les missionnaires martyrs, rapidement salués au passage, auraient dû percevoir la richesse écologique de ces peuples adorateurs d’idoles, pour certains cannibales, pour d’autres, réducteurs de têtes, toujours sous la coupe de sorciers qui soufflaient la pluie et le beau temps ?
Un paragraphe-clef du document préparatoire au synode sur l’Amazonie
Vient plus loin un paragraphe-clef du document préparatoire du synode sur l’Amazonie (paragraphe 5, dans la section « Voir ») :
« La culture dominante de la société de consommation et du déchet transforme la planète en une grande décharge publique. Le Pape dénonce ce modèle de développement anonyme, asphyxiant, sans mère, dont les seules obsessions sont la consommation et les idoles de l’argent et du pouvoir. De nouveaux colonialismes idéologiques s’imposent sous le mythe du progrès et détruisent les identités culturelles spécifiques. François en appelle à la défense des cultures et à la réappropriation de l’héritage qui provient de la sagesse ancestrale, qui suggère un mode de relation harmonieuse entre la nature et le Créateur. Il affirme clairement que “la défense de la terre n’a d’autre finalité que la défense de la vie” (François, discours à Puerto Maldonado). Elle doit être considérée comme une terre sainte : “Cette terre n’est pas orpheline! C’est la terre de la Mère”. » (François, salut à la population de Puerto Maldonado).
Qu’est-ce qu’un « développement sans mère » ? Confusion de deux plans… Il faut noter ici que la traduction française officielle du document est défaillante puisque le texte italien (et espagnol) ne dit pas « c’est la terre de la Mère » : mais « Elle a une Mère ! ». Erreur de citation tirée de ce salut de Puerto Maldonado dont il faut dire que la tonalité était tout autre, puisque le pape parlait explicitement et longuement de la maternité de Marie, Mère de Dieu. Tout le contraire de l’étrange impression laissée par le document.
Au chapitre II, « Discerner » – celui qui appelle à « une conversion pastorale et écologique », le document entretient cette idée de confusion entre le naturel et le surnaturel, citant notamment Laudato si’ :
« Dans le mystère pascal du Christ, la création tout entière tend vers son accomplissement final, quand “les créatures de ce monde ne se présentent plus à nous comme une réalité purement naturelle, parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux, qu’émerveillé il a contemplés de ses yeux humains, sont maintenant remplis de sa présence lumineuse” (LS 100). »
Plus loin, il gratifie les Amérindiens d’avoir compris cette « interconnexion », sans souligner qu’elle peut être une confusion :
« Cette dimension sociale – et même cosmique – de la mission évangélisatrice, est particulièrement importante en terre amazonienne, où l’interconnexion entre la vie humaine, les écosystèmes et la vie spirituelle fut et continue d’être très claire pour la grande majorité de ses habitants. »
Tout cela sert de prélude à la recommandation de changements – pour ne pas dire révolutions – à la fois politiques et religieuses. Et s’il ne fait pas de doute que le monde est malade, on n’apprend pas ici que c’est du fait de son rejet de Dieu :
« Changer de cap ou se convertir intégralement ne se réduit pas à une conversion au niveau individuel. Une transformation profonde du cœur, exprimée par un changement de nos habitudes personnelles, est aussi nécessaire qu’une transformation structurelle, exprimée par un changement des habitudes sociales, des lois et des programmes économiques. Pour parvenir à réaliser ce changement radical dont l’Amazonie et la planète ont besoin, les processus d’évangélisation ont beaucoup à apporter, surtout en raison de la profondeur avec laquelle l’Esprit de Dieu pénètre la nature et les cœurs des personnes et des peuples. »
Cela se traduit notamment ainsi, selon le document :
« L’Encyclique Laudato si’ (cf. n. 216 sq.) nous invite à une conversion écologique qui implique un style de vie nouveau. L’horizon est mis sur l’autre. Il faut pratiquer la solidarité globale et dépasser l’individualisme, ouvrir des chemins nouveaux de liberté, de vérité et de beauté. La conversion signifie nous libérer de l’obsession de la consommation. Acheter est un acte moral, pas seulement économique. La conversion écologique consiste à assumer la mystique de l’interconnexion et de l’interdépendance de toute la création. La gratuité s’impose dans nos attitudes quand nous concevons la vie comme don de Dieu. Vivre sa vie dans une solidarité communautaire suppose un changement de cœur. »
« Mystique de l’interconnexion » : revoici la confusion entre le Créateur et le créé, la dimension « mystique » donnée à la matière et finalement la perspective holistique du Nouvel Age maçonnique…
On en arrive enfin au troisième chapitre, intitulé « Agir », qui cherche à trouver de « nouveaux chemins pour une Eglise au visage amazonien ».
Le synode sur l’Amazonie au service des prêtres mariés, et du rôle des femmes dans l’Eglise
Vient d’abord la question des prêtres mariés (les viri probati évoqués par le cardinal Beniamino Stella en janvier à propos de ce synode) et du rôle des femmes qui a retenu l’attention des médias. Que l’accès à l’Eucharistie soit considéré comme une urgence serait plutôt rassurant si l’on ne craignait y voir une manipulation pour obtenir des changements révolutionnaires dans l’Eglise. C’est un passage qu’il faut citer dans son ensemble :
« Pour passer d’une présence précaire à une présence plus large et incarnée, il faut établir une hiérarchie des urgences en Amazonie. Le document d’Aparecida mentionne le besoin d’une “cohérence eucharistique” pour la région amazonienne, à savoir que non seulement tous les baptisés puissent participer à la messe dominicale, mais que puissent aussi grandir des cieux nouveaux et une terre nouvelle comme anticipation du Royaume de Dieu en Amazonie.
« En ce sens, le Concile Vatican II nous rappelle que le Peuple de Dieu tout entier participer au sacerdoce du Christ, même s’il faut distinguer le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel (cf. LG 10). D’où l’urgence d’évaluer et de repenser les ministères nécessaires aujourd’hui pour répondre aux objectifs d’“une Église avec un visage amazonien et une Église avec un visage indigène”. Une priorité est de préciser les contenus, les méthodes et les comportements en vue d’une pastorale inculturée, capable de répondre aux grands défis de ce territoire. Une autre est de proposer de nouveaux ministères et services pour les différents agents pastoraux qui correspondent aux tâches et aux responsabilités de la communauté. Dans cette ligne, il convient de discerner le type de ministère officiel qui peut être conféré aux femmes, en tenant compte du rôle central joué aujourd’hui par les femmes dans l’Église amazonienne. Il est également nécessaire de promouvoir le clergé autochtone et natif de ce territoire, en affirmant son identité culturelle propre et ses valeurs. Enfin, il faut repenser de nouveaux chemins pour que le Peuple de Dieu ait plus fréquemment un meilleur accès à l’Eucharistie, centre de la vie chrétienne. »
Donc, faciliter la distribution de l’Eucharistie, même en l’absence de prêtres ou en créant des prêtres (voire des prêtresses ou prêtresses auxiliaires) selon des normes nouvelles, au nom du « sacerdoce commun » ? Vu le déclin dramatique du nombre de prêtres dans de nombreux pays, c’est une expérience – en soi inacceptable – qui risquerait d’être vite reprise dans l’ensemble de l’Eglise.
On apprend au passage que :
« Dans l’Eucharistie, la communauté célèbre un amour cosmique, où les êtres humains, unis au Fils de Dieu incarné et à toute la création, rendent grâces à Dieu pour la vie nouvelle du Christ ressuscité. »
Où l’amour cosmique annule et remplace le sacrifice propitiatoire qui incorpore les baptisés en état de grâce dans le Corps mystique du Christ…
J’ai longuement évoqué déjà tout ce qui sous-tend ce 15e paragraphe du document préparatoire : il est essentiel d’en saisir la portée puisqu’il annonce les changements profonds qui sont recherchés à travers ce synode :
« Dans le processus consistant à penser une Eglise au visage amazonien, nous rêvons de poser les pieds sur la terre de nos ancêtres et, les yeux ouverts, nous imaginons comment sera l’Eglise à partir de l’expérience de la diversité culturelle des peuples. Les nouveaux chemins auront une incidence sur les ministères, la liturgie et la théologie (théologie indienne). »
Un nouveau chantier s’ouvre dans l’Eglise, un nouveau chantier voulu par le pape François… Il s’annonce tout aussi révolutionnaire que celui du synode sur la famille et celui sur les jeunes, fonctionnant avec les mêmes méthodes et la même vision anthropocentrique. Il vaut mieux en être conscient dès le départ.