Le transfert de Mgr Shen Bin, sans l’approbation du Saint-Siège, depuis le diocèse de Haimen vers le diocèse voisin de Shanghai, le 4 avril dernier, signe l’échec de l’accord secret conclu entre la Chine et le Vatican en 2018. La nomination a été faite d’autorité par le « Conseil des évêques chinois » (de « l’Eglise patriotique » contrôlée par le Parti communiste chinois), dont Mgr Shen Bin se trouve être le président, et les prêtres du diocèse de Shanghai ont fait comprendre qu’ils n’étaient pas d’accord, laissant entrevoir des problèmes de gouvernement pour l’évêque « du Parti ». Un catholique chinois ayant demandé à garder l’anonymat a commenté l’affaire pour le Catholic Herald britannique, exprimant au nom d’un groupe de coreligionnaires la demande que le Saint-Siège dénonce la nomination illicite de Mgr Shen Bin, qu’il révèle le contenu de cet accord et qu’il ne le renouvelle pas dans les conditions actuelles.
C’est la deuxième fois depuis la signature de l’accord qu’une nomination d’évêque a ainsi été faite sans l’accord de Rome, et donc de manière illicite. On se souviendra de la première, qui plaça l’évêque clandestin John Peng Weizhao évêque auxiliaire du diocèse de Jiangxi en novembre dernier. Il avait été ordonné en secret par le pape François en 2014 et nommé à la tête du diocèse de Yugiang, puis incarcéré par les autorités chinoises pendant six mois au cours d’une série de persécutions visant à éliminer l’Eglise clandestine, fidèle à Rome. Finalement, John Peng Weizhao, bénéficia du redécoupage de plusieurs circonscriptions ecclésiastiques, dont Yugiang, par les autorités chinoises, toujours sans l’accord du Saint-Siège, et se retrouva évêque auxiliaire de Jiangxi, non sans prêter serment, au moment de prendre ces fonctions, d’adhérer au principe de « l’indépendance et de l’auto-gestion de l’Eglise », de se conformer à la mise en place de la « sinisation de l’Eglise » et de « conduire activement le catholicisme vers son adaptation à la société socialiste ».
Chine et Vatican liés par un accord secret qui n’a rien arrangé
On peut supposer que Mgr Peng Weizhao a fait l’objet d’énormes pressions, facilitées d’une certaine manière par l’existence d’un accord entre le Vatican et la Chine, cette dernière pouvant s’en prévaloir pour imposer sa loi. Cela dit, et pour autant qu’on sache, l’accord prévoyait un accord entre les autorités chinoises et vaticanes.
Avec la nomination de Mgr Shen Bin, cette clause a de nouveau été contredite, et à son tour, cet évêque nommé par le pouvoir communiste a juré d’adhérer au principe d’indépendance et d’autonomie de l’Eglise, et de participer aux efforts de « sinisation » de la religion catholique en Chine.
L’accord de 2018 était censé, selon la plus bienveillante des interprétations, mettre fin aux « ambiguïtés » de la situation chinoise. D’une part (et ce n’était pas ambigu du tout) les évêques de l’Eglise clandestine reconnaissaient l’autorité du pape ; en face, « l’Association patriotique catholique », contrôlée par le PCC, comptait des évêques validement ordonnés et qui même, pour certains d’entre eux, ont fait des déclarations publiques ou privées de loyauté envers le pape.
L’appel d’un catholique chinois à plus de fermeté de la part du Saint-Siège
L’Association patriotique et ses nominations d’évêques illicites avait été fortement dénoncée en 1958 par Pie XII dans Ad Apostolorum principis, avec l’annonce de l’excommunication automatique des consécrateurs épiscopaux et des évêques concernés. Par la suite, le Vatican devait entretenir une certaine confusion, sans doute dans l’espoir d’un rapprochement futur. Le catholique anonyme s’exprimant dans le Catholic Herald assure en tout cas que les laïcs catholiques chinois « se sentaient généralement libres d’assister aux services organisés sous l’autorité des deux groupes d’évêques ».
Il ajoute : « Il peut être surprenant de constater que les évêques de l’APC et leurs prêtres ne sont pas nécessairement à l’abri des persécutions – la saisie d’églises, par exemple, ou les arrestations arbitraires – et qu’un grand nombre de diocèses sont délibérément dépourvus d’évêques. »
En 2007, Benoît XVI adressa une lettre à l’Eglise catholique de Chine, sans faire de distinction, rassurant les laïcs quant à la validité – à défaut de la licéité – des ordinations dans l’Eglise patriotique, signifiant notamment aux clandestins qu’ils pouvaient valablement recevoir les sacrements de la part de ces évêques. Un très grand nombre de ces évêques avaient finalement été reconnus par Rome.
L’accord de 2018 visait (mais à quel prix ?) à garantir que tous les évêques de l’Association patriotique seraient consacrés « par mandat pontifical », et à intégrer l’Eglise clandestine dans l’APC… toujours sous contrôle du parti communiste, ce qui provoqua nombre de contestations.
Son échec est désormais patent.
L’échec de l’accord du point de vue des autorités vaticanes qui l’ont voulu
« Le Saint-Siège n’a toujours pas le dernier mot sur la nomination des évêques en Chine. Les observateurs optimistes pensaient que l’unité de l’Eglise en Chine serait favorisée en mettant fin aux ordinations épiscopales sans l’autorisation du Saint-Siège. En réalité, l’APC (ou le gouvernement communiste chinois, puisqu’il s’agit de la même chose) a suspendu les ordinations épiscopales sans mandat en bonne et due forme, mais a décidé de transférer des évêques d’un diocèse à l’autre sans l’approbation du pape. Cela semble être un moyen de contourner l’interdiction des ordinations épiscopales non autorisées », observe l’auteur de l’analyse du Catholic Herald.
« Il y a encore plusieurs évêques excommuniés en Chine continentale. Selon le droit canonique, en cas de consécration épiscopale illicite, les consécrateurs et les ordinands sont excommuniés latae sententiae. (…) A une certaine époque, il y avait de nombreux cas d’ordination épiscopale sans mandat pontifical, et tous les consécrateurs (y compris les co-consécrateurs) ainsi que les ordinands devaient tomber sous le coup de ce canon. En 2018, le pape François a levé l’excommunication de huit évêques (parmi lesquels, bizarrement, un évêque décédé qui s’est éteint en insistant sur son indépendance vis-à-vis de l’Eglise universelle) qui avaient été consacrés de manière illicite, mais il n’en a pas fait autant pour les évêques qui les avaient consacrés. Il est difficile de savoir s’il s’agit d’un oubli ou d’une tentative de prétendre qu’aucune excommunication latae sententiae n’a eu lieu », note-t-il encore.
Quant aux évêques légitimes qui coopèrent avec l’accord, ils continuent d’être persécutés. En 2018, à peine l’encre de l’accord séchée, Mgr Peter Zhuang Jianjian, évêque de Swatow, avait ainsi été prié de démissionner de ses fonctions à l’âge de 87 ans ; il n’avait fini par le faire que sous pression d’un « prélat étranger » qui était venu faire pression sur lui à Pékin. La même chose arriva au même moment à son confrère, Mgr Vincent Guo Xijin du diocèse de Mindong ; ce fut le Vatican qui le contraignit de devenir évêque auxiliaire de son propre diocèse, tandis que son auxiliaire de naguère, membre de l’Association patriotique, prenait sa place comme évêque. Mgr Guo finit en 2020 par être chassé de sa cathédrale et de son domicile par les autorités locales, tout comme plusieurs prêtres de paroisses.
L’Eglise sous surveillance étroite en Chine : l’accord l’a entériné
On peut rappeler ici que les catholiques chinois doivent montrer patte blanche – par la présentation d’un QR-Code – pour assister aux offices religieux, et que ceux-ci sont interdits aux mineurs sous peine de sanctions.
Il est grand temps, affirme l’auteur de l’article, que le Saint-Siège déclare le transfert de Mgr Shen Bin « illicite et sans effet », qu’il divulgue le contenu de l’accord que les catholiques de Chine ont le droit de connaître, et qu’il « réexamine le renouvellement de l’accord avec le PCC et ajuste sa politique diplomatique en vue d’obtenir de véritables concessions pour le bien de l’Eglise ».
Et il conclut : « Un vieux dicton chinois dit qu’“un gentleman préfère mourir que d’être humilié” (士可殺不可辱). Les catholiques chinois ne veulent pas de concessions sans fin qui n’apportent que douleur et souffrance à l’Eglise. Même au prix d’un malaise diplomatique, nous préférerions que le Vatican sorte de son silence et réponde à ce transfert illicite avec courage et dignité, plutôt que de fermer les yeux. »