L’effondrement de la livre turque face au dollar, signe avant-coureur de la déroute des économies émergentes ?

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A la faveur de la dévaluation spectaculaire de la livre turque par rapport au dollar américain jeudi dernier – un effondrement qui atteint 35 % par rapport au taux de la mi-février – la Turquie risque une importante crise de sa balance des paiements alors que les fonds étrangers fuient le pays. Effet collatéral des sanctions édictées par les Etats-Unis à l’encontre de deux ministres turcs qui refusent de libérer un pasteur américain détenu sous prétexte d’« espionnage », la crise révèle la vulnérabilité des économies émergentes lourdement endettées en dollars et en euros, et qui n’ont rien fait pour sécuriser leurs emprunts en cas de montée de la valeur de ces derniers.
 
La livre turque fait face à un « tournant dangereux », observe Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph de Londres, alors que sa dette en devises étrangères représente 60 % de son PIB et que le déficit actuel de la Turquie, de 6,1 %, contraint le pays à une importation continue de capitaux par des emprunts à court terme. Ceux-ci représentent déjà 180 milliards de dollars pour les emprunts à moins d’un an. Sans stabilisation du taux de change, la situation s’annonce de plus en plus tendue. Elle est encore aggravée par le refus de la Banque centrale turque d’augmenter ses propres taux en juin : « C’était une évidence absolue, et cela dépasse l’entendement qu’elle n’ait pas voulu s’y résoudre », commente Tim Ash de BlueBay Asset Management.
 

L’effondrement de la livre turque révèle la vulnérabilité de l’endettement en dollars

 
Dans le même temps, l’investissement étranger direct dans les usines et l’économie réelle turques se tarit peu à peu.
 
Pour Evans-Pritchard, ce qui se passe aujourd’hui pour la Turquie pourrait bien être un signe avant-coureur de ce que connaîtront les autres pays émergents lourdement endettés en « dollar offshore » en phase de resserrement monétaire. Selon la Bank of International Settlements, la banque centrale des banques centrales, cette dette atteint désormais plus de 7.000 milliards de dollars US (ou dérivés équivalents). Un volume sans précédent.
 

Les économies émergentes menacées de déroute par un endettement sans précédent

 
Ce resserrement monétaire concerne aussi bien la Fed, la Banque du Japon que la Banque centrale européenne : « Cela augmente le risque d’une vente massive et synchronisée d’obligations, très mauvaises pour les marchés émergents », constate Brooks de l’Institute of International Finance, organisme de veille sur les économies émergentes. Les effets s’en font ressentir, alors que l’augmentation des taux dans les pays développés reste pour l’heure modeste. Ces effets sont d’ores et déjà comparables à ceux de 2013, lorsque les hausses avaient été bien plus importantes. « C’est un avertissement qui révèle le degré de vulnérabilité d’un système fatigué et surendetté », renchérit Ambrose Evans-Pritchard.
 
La Turquie a en outre lourdement fait pression sur le système après que le gouvernement a artificiellement favorisé la croissance et imposé à la Banque centrale de maintenir les taux bas pendant la période préélectorale. Erdogan a dès lors beau jeu de fustiger « le lobby du taux d’intérêt » présenté comme coupable d’usure anti-islamique.
 

Anne Dolhein