L’« église » nationale luthérienne de Suède

église nationale luthérienne Suède
 
Le voyage planifié du pape François en Suède à la rencontre de l’« église » nationale luthérienne locale surprend. Il s’agit, nous explique-t-on, de célébrer en tant que telle une communauté protestante séparée de Rome, pour des questions disciplinaires et doctrinales, en 1527. En octobre 2017, l’anniversaire sera celui des 500 ans de l’affichage des thèses de Luther à Wittenberg, en 1517, en Allemagne, marquant la rupture avec Rome. [Lien à faire si possible avec article de Réinformation.tv sur le sujet svp] Cette « église » compterait un peu moins de six millions de fidèles, soit environ 60 % de la population de la Suède.
 

Qu’est-ce qu’une église luthérienne aujourd’hui ?

 
Le terme d’« église » est celui employé par la communion luthérienne de Suède – en suédois Svenska Kyrkan : église de Suède. Cette « église » est membre de la fédération luthérienne mondiale. Cette appartenance n’est pas du tout un label de stricte application de la pensée originale de Luther, mais tient plutôt aujourd’hui du certificat de progressisme avancé, avec un vague humanisme à coloration superficiellement chrétienne.
 
Luther, hérésiarque qui a brisé l’unité de la chrétienté en Europe, et par voie de conséquence dans d’autres continents, avait prononcé des déclarations violentes au sujet de l’homosexualité (il était contre), ou des Juifs (dans les années 1530, après leur refus de se convertir à son christianisme « réformé »), des antitrinitaires, etc. En outre, chose fréquemment oubliée, Luther avait appelé régulièrement à la croisade face au danger d’invasion turque musulmane, menaçant alors, disait-il, l’Allemagne ; cette crainte peut paraître a posteriori exagérée, mais elle n’avait rien d’absurde pourtant, les Ottomans assiégeant Vienne dès 1529. Donc un luthérien orthodoxe (ils existent, même s’ils sont peu nombreux), s’il tente de prendre la parole, est expulsé dans la minute des rassemblements officiels dits « luthériens » d’aujourd’hui, chantres de la « tolérance », et du progressisme en général.
 
Ce progressisme correspond à un engagement politique marqué à gauche, en particulier en faveur d’une immigration sans limite dans les pays dits « riches », y compris une immigration de populations massivement non-chrétiennes et précisément musulmanes. Sur le plan religieux, la notion de « péché » est en pratique évacué, et à peu près tout est permis, à condition de ne pas nuire à autrui : des unions homosexuelles sont ainsi régulièrement célébrées dans les temples, y compris pour le personnel pastoral ; les divorcés sont remariés au temple depuis les années 1960 ; etc.
 
Des femmes pasteurs, ou même « évêques », sont majoritaires dans le personnel religieux. Le terme couramment employé de « clergé » par analogie rapide avec le catholicisme est faux, puisque le prêtre n’existe pas dans le luthérianisme, suivant la théorie originale du « sacerdoce universel » de Luther. Tout fidèle digne et instruit pourrait être pasteur, puis évêque luthérien. Mais les « églises » luthériennes officielles actuelles ont une compréhension de plus en plus large de la dignité requise, tout comme de l’instruction religieuse, de plus en plus indigente à l’évidence.
 

Un passé catholique nié, et un catholicisme revenu de l’étranger et marginal

 
La Suède a été convertie relativement tardivement au catholicisme. La conversion a débuté à partir du Xème siècle. Certains des premiers textes du royaume suédois, alors encore très majoritairement païen et à élite païenne, mentionnent des formules particulières de serments, non fondés sur l’évocation du panthéon germanique nordique mais sur celle du Dieu des chrétiens, attestant ainsi de l’émouvante existence de chrétiens et d’une tolérance légale à leur endroit. Ce qui n’exclut pas des cas de martyrs authentiques.
 
La conversion véritable de la Suède au catholicisme, sous l’influence de l’Empire (Romain-) Germanique et du Danemark voisin a eu lieu aux XIème et XIIème siècle. Le siège archiépiscopal d’Uppsala, métropole religieuse de la Suède, a ainsi été érigé en 1164. Uppsala est le site de la première capitale de la Suède, déplacée plus tard à Stockholm.
 
Cette catholicisation au XIIème siècle a été, semble-t-il, rapide et totale. Au XIIIème siècle, les chevaliers suédois imposent le catholicisme à la Finlande, alors conquête de la Suède. Des croisés suédois ont été présents dans la défense des Etats croisés de Terre Sainte aux XIIème et XIIIème siècle, même s’ils furent peu nombreux. Mais ce fait s’explique parfaitement par la faible densité de la population du pays, au moins relativement au reste de l’Europe, de l’entreprise coloniale et évangélisatrice en cours en Finlande, et de la croisade parallèle en soutien aux chevaliers teutonique contre l’Etat lituanien païen jusqu’au XIVème siècle, sur la rive opposée de la Baltique, beaucoup plus proche de la Suède, croisade permettant en outre d’obtenir des indulgences.
 
Ce catholicisme a pourtant été anéanti en quelques années, suite à l’imposition officielle de la réforme luthérienne en 1527. Ces années 1520 sont un moment d’effervescence nationale, avec la séparation définitive du Danemark, jusque-là dominant dans l’union provisoire des trois couronnes scandinaves – Danemark, Norvège, Suède –, et religieuse, avec la séparation de la réforme et un prétendu retour au « christianisme de l’Evangile » prôné par Luther.
 

La Suède d’aujourd’hui

 
Le catholicisme n’est réapparu en Suède que par l’immigration, phénomène nouveau à l’échelle millénaire en une Scandinavie terre de départ beaucoup plus que d’accueil. Le fait est donc à porter au crédit des immigrés italiens ou croates, à partir des années 1950. Le diocèse catholique de Stockholm a ainsi été ré-érigé en 1953. Les catholiques seraient aujourd’hui un peu moins de 150.000. La pratique n’est pas particulièrement forte. Les conversions restent rares, et ne sont plus encouragées depuis la mode des dialogues interchrétiens.
 
Ce catholicisme reste très minoritaire. La Suède actuelle connaît deux phénomènes religieux majeurs : une apostasie de plus en plus large d’une « église nationale » caricaturale dans son progressisme, et ce au profit de l’athéisme, et une pénétration large de l’islam, causée par une immigration extra-européenne massive. Les musulmans en Suède avoisineraient les 500.000, total qui paraît sous-estimé, avec une tendance à la hausse rapide. Cette dernière est apparue dans les années 1980. La Suède est actuellement submergée, proportionnellement à sa population, plus que l’Allemagne, par les vagues actuelles de « migrants », qui ne semblent pas devoir se tarir ; quant aux expulsions annoncées des fraudeurs massifs au droits d’asile, on se permettra de douter de leur exécution ; elles sont d’ailleurs condamnées par les pasteurs suédois officiels.
 

Une église luthérienne nationale, puis post-nationale

 
La communion luthérienne de Suède a été construite comme « église » nationale de tous les Suédois, dès son origine en 1527. Y être affilié a été obligatoire pour tout citoyen suédois jusqu’au XIXème siècle. Les rois ont été conduits à montrer l’exemple en matière de foi luthérienne, dès Gustave Ier (1523-1560), restaurateur de l’indépendance nationale suédoise et fondateur de la dynastie des Vasa. Il a ainsi appuyé le réformateur suédois, disciple de Luther, Claus Petri (1493-1552).
 
En revanche, le roi catholique Sigismond (1593-1599) a été chassé à la fin du XVIème siècle. Les rois prestigieux Gustave II Adolphe (1611-1632), considéré à tort ou raison comme le sauveur du protestantisme en Allemagne durant la Guerre de Trente Ans (1618-1648) et Charles XII (1697-1718), le « Napoléon » suédois, qui a également fini, malgré des pages de gloire, complètement battu, ont fait preuve d’une piété luthérienne exemplaire. On entend peu parler dans les médias désinformateurs de cette intolérance flagrante, qui était la norme dans les pays protestants de l’époque, contrairement à ce qui se passait dans la France catholique de Louis XIV. Tout au plus est connu en France, du moins des vrais amateurs d’histoire, l’épisode de la conversion obligatoire au luthérianisme suédois de l’intrigant français franc-maçon Bernadotte, prince héritier suédois en 1810 et roi Charles XIV (1818-1844), fondateur de la dynastie actuelle.
 
Mais les effectifs des luthériens officiels sont en chute libre depuis deux décennies. 60 % des habitants en Suède s’en réclament cependant encore. L’estimation est assez sûre puisqu’elle correspond à peu près au nombre des donateurs fiscalement déclarés. Les pasteurs au XXème siècle sont passés d’un patriotisme suédois intransigeant à un socialisme internationaliste. Une « église » nationale est largement devenue depuis les années 1970 une « église » postnationale, et postchrétienne, manifestement indifférente au message du Christ exprimé dans la Bible.
 
En 2000, l’« église » de Suède a été désétablie, perdant son statut officiel et son lien consubstantiel avec l’État suédois, confirmant ainsi son caractère postnational. Depuis le 15 octobre 2013, une femme, Madame Antje Jackelén, préside cette « église », en tant qu’archevêque de l’Église de Suède, résidant à Uppsala. La dimension nationale suédoise tend à se dissoudre dans un progressisme cosmopolite largement postchrétien. Elle permet tout, y compris d’avoir des épiscopesses lesbiennes mariées. Il est intéressant de se rappeler la méthode des progressistes : des unions particulières sauvages ont été massivement célébrées dans les temples, malgré les interdictions théoriques, par des pasteurs militants dans les années 1990, avant le basculement officiel du Synode de l’Église de Suède en 2004 puis 2006, avec une bénédiction de couples au temple, puis un « mariage » strictement équivalent à celui d’un homme et d’une femme.
 
On se demande pourquoi le pape François tiendrait à se compromettre en participant à des cérémonies de cette bien curieuse communauté chrétienne…
 

Octave Thibault