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Désinformations et réalités de l’islamisme d’Erdogan

Erdogan islamisme
 
La Turquie est un grand Etat charnière entre l’Europe et l’Asie, plus vaste que la France et aussi peuplĂ©e que l’Allemagne, avec plus de 80 millions d’habitants. Mais elle est clairement situĂ©e par la gĂ©ographie physique en Asie, et sa sociĂ©tĂ© est quasi exclusivement musulmane. Elle comporte environ 85 % de Turcs (et assimilĂ©s), et 15 % de Kurdes, Ă©galement musulmans, mais appartenant Ă  un peuple iranien, et non turc. Pourtant, de façon a priori absurde, tant les gouvernements turcs successifs depuis les annĂ©es 1980 que les autoritĂ©s de la CEE puis UE veulent mordicus la faire entrer dans l’Union europĂ©enne.
 
La dĂ©sinformation courante consiste Ă  tenter de faire passer le parti islamiste de M. Erdogan, au pouvoir depuis 2003, pour un paisible courant dĂ©mocrate islamiste, en une espèce d’adaptation au contexte local des dĂ©mocrates chrĂ©tiens rencontrĂ©s en Europe, de l’Allemagne Ă  l’Italie. Cette assimilation, bizarrement largement acceptĂ© par les premiers concernĂ©s, Ă  Ankara comme Berlin, est pourtant fort discutable.
 
Comment essayer de dĂ©finir l’islamisme d’Erdogan ? A cĂ´tĂ© de l’expĂ©rience de plus de douze ans de pouvoir, il convient de se fonder aussi sur les rĂ©alitĂ©s des politiques effectivement menĂ©es, et non sur les seules proclamations diverses.
 

Erdogan et la fable du démocrate islamiste européen

 
Erdogan, tout comme son parti AKP (Parti de la Justice et du DĂ©veloppement), relèverait d’un courant politique dĂ©mocrate islamiste europĂ©en. L’AKP est en effet arrivĂ© au pouvoir par les urnes, et a Ă©tĂ© constamment reconduit. Le dernier scrutin de novembre 2015 a corrigĂ© la demi-dĂ©faite du mois de juin prĂ©cĂ©dent. Les Ă©lections ont Ă©tĂ© rĂ©gulièrement tenues, honnĂŞtes ou presque. Les mĂ©dias publics tendent Ă  chanter les louanges du pouvoir en place, mais est-ce vraiment diffĂ©rent en France ? Il y aurait tout de mĂŞme sur les trois dernières annĂ©es, et en particulier sur les tout derniers mois, une restriction des libertĂ©s publiques. Il n’est pas certain que la libertĂ© d’expression soit cependant aussi restreinte qu’en France : certes, il est interdit de blasphĂ©mer contre l’Islam, ou de proposer la sĂ©cession du Kurdistan, mais on peut s’exprimer Ă  peu près librement sur le reste. Erdogan manque sans doute d’humour concernant les lourdes caricatures visant sa personne et sa politique ; ce qui prouve a contrario, et jusqu’à prĂ©sent du moins, qu’elles existent…
 
Cette situation de dĂ©mocratie rĂ©elle est intĂ©ressante : elle dĂ©montre qu’un corps Ă©lectoral musulman libre vote plutĂ´t pour des candidats qui mettent avant tout en exergue leur piĂ©tĂ© islamique. Les grands concurrents de l’AKP sont les nationalistes turcs. Le parti kurde est un parti national qui ne peut pas dire son nom. La vraie gauche turque socialiste ou les vrais libĂ©raux restent marginaux. On a connu des situations semblables lors d’élections libres en Egypte (2012), en AlgĂ©rie (1991), voire en Tunisie (avec quelques nuances, depuis 2011).
 
Le démocrate islamiste serait un homme (ou un parti politique) respectant la démocratie. C’est, pour l’instant, à peu près le cas de l’AKP. Quoi qu’on pense, il dispose du soutien d’une majorité au moins relative d’électeurs turcs. Quant à l’opposition, très divisée, elle n’est pas forcément plus démocratique. Mustafa Kemal, la référence des nationalistes turcs, a été indiscutablement un dictateur, cumulant de fait tous les pouvoirs et s’appuyant sur un parti unique.
 
L’AKP accompagne la rĂ©islamisation de la sociĂ©tĂ©, voulue par les Ă©lecteurs turcs, plus qu’il ne l’impose. La diffĂ©rence paraĂ®t importante avec la dĂ©mocratie chrĂ©tienne qui, loin de participer Ă  quelque rechristianisation des sociĂ©tĂ©s europĂ©ennes, accompagne plutĂ´t l’apostasie massive. Il semble exister une convergence vers l’islamisation de l’Europe : c’est en effet la CDU allemande qui a dĂ©clenchĂ© par ses encouragements en septembre 2015 l’actuelle invasion de « migrants Â», tous plus ou moins islamistes, par centaines de milliers et demain millions. Elle est aussi très favorable Ă  l’immigration de peuplement de l’Europe, avec ce qui ressemble Ă  une prĂ©fĂ©rence pour les populations musulmanes.
 
L’AKP est considĂ©rĂ© comme ayant Ă©tĂ© dĂ©jĂ  intĂ©grĂ© par la dĂ©mocratie chrĂ©tienne europĂ©enne. Ce parti pourrait rejoindre le groupe du Parti Populaire europĂ©en au parlement europĂ©en. S’il ne comporte aucune mention explicite du christianisme, ce qui favoriserait l’intĂ©gration de l’AKP, son popularisme est une des avancĂ©es de la dĂ©mocratie chrĂ©tienne des annĂ©es 1920, en Italie (avant l’ère fasciste) ou en Bavière ; mais ce fait n’est jamais rappelĂ©.
 

La réalité d’un islamisme de conquête

 
Si la réislamisation opérée en Turquie est soutenue par la majorité des électeurs, elle aspire à l’irréversibilité. Si le voile islamique devient d’usage commun pour les femmes, il sera très difficile de revenir en arrière. Il n’y a d’ailleurs pas à légiférer pour le rendre obligatoire, comme c’est le cas dans la République islamique de l’Iran voisine. L’AKP a aboli les unes après les autres toutes les lois laïques antérieures à 2003 restreignant le port du voile. Et, en quelques années, les usages ont changé.
 
Si les dĂ©mocrates chrĂ©tiens, du moins les gĂ©nĂ©rations actuelles, croient très peu au christianisme, les prĂ©tendus « dĂ©mocrates islamistes Â» croient parfaitement en l’islam. Ils ne mĂ©langent pas dans l’usage intĂ©rieur les termes « dĂ©mocrates Â» et « islamistes Â», puisque, en Turquie, l’islam, rĂ©putĂ© d’origine divine, serait d’essence très supĂ©rieure Ă  la volontĂ© populaire, changeante et pas toujours inspirĂ©e. Mettre Dieu et la morale chrĂ©tienne au-dessus des caprices des Ă©lecteurs est devenu peu pensable pour les dĂ©mocrates chrĂ©tiens europĂ©ens. Aussi cette approche thĂ©ocentrĂ©e de l’islam est-elle saisissante.
 
Pour l’AKP, les peuples « athĂ©es Â», dĂ©mographiquement dĂ©primĂ©s, sont mĂ»rs pour la conquĂŞte – ou reconquĂŞte – islamique. Car les Turcs ont contrĂ´lĂ© l’essentiel des Balkans de 1389 Ă  1912. Ils les ont partiellement colonisĂ©s et islamisĂ©s, mais n’ont pu alors s’imposer durablement. Pour l’AKP, il y a une revanche historique Ă  prendre. Et si l’UE, par inconscience confinant Ă  l’idiotie ou Ă  l’antichristianisme maçonnique, se laisse faire sans combattre, le caractère « modĂ©rĂ© Â» de l’AKP pousse ses partisans Ă  agir sans trop de violences.
 
Les vagues humaines de « migrants Â» actuels, tous musulmans ou presque, par lesquelles les hommes prĂ©cĂ©dent les familles, qui vont Ă©videmment venir au nom du regroupement familial, semblent participer de cette vision d’islamisation de l’Europe. En effet l’AKP, qui se comprend certes dans le cadre territorial et ethnique turc, avec un passĂ© ottoman spĂ©cifique, relève aussi d’un panislamisme indiscutable. Acheter trois milliards d’euros l’arrĂŞt des flux de pseudo-rĂ©fugiĂ©s vers l’Europe, c’est encourager Erdogan Ă  continuer Ă  laisser faire, sinon Ă  organiser cette invasion, afin de recevoir davantage. Cette invasion de l’Europe correspond Ă  sa volontĂ© de reconquĂŞte et d’expansion de l’Islam.
 

Panislamisme turc et guerre en Syrie

 
Ce panislamisme explique le soutien décisif accordé depuis 2012 à tous les mouvements rebelles syriens face au pouvoir laïc baasiste de Bachar el-Assad. Un rétablissement rapide de la paix chez le voisin et partenaire économique syrien, même en laissant le régime l’emporter au printemps 2012, aurait été pourtant fort soutenable du point de vue de l’intérêt national turc. Mais une telle attitude rationnelle ne correspond pas du tout à la philosophie d’Erdogan. Il a donc soutenu tous les mouvements armés islamistes, des faux modérés également encouragés par Washington ou Paris, aux plus embarrassants se réclamant explicitant d’Al-Qaïda ou du Califat, proclamé à Mossoul, au nord de l’Irak, à l’été 2014.
 
Cette proclamation d’Abou-Bakr II comme calife agace certainement Erdogan, qui aspire vraisemblablement sur le long terme Ă  la restauration d’un Califat turc, et non arabe. Ne pas aimer le Califat ne signifie pas pour autant le combattre vraiment. A peine plus discrète depuis des attentats meurtriers en Turquie Ă  l’étĂ© 2015, la complicitĂ©, au moins passive, des autoritĂ©s d’Ankara en faveur du Califat se poursuit. Surveiller vraiment la frontière turco-syrienne, couper les trafics, handicaperait lourdement le Califat. Il n’en est pas question pour l’instant, du fait notamment de ce panislamisme, pourtant couramment occultĂ©.
 

Des réalités turques déplaisantes dont il faut tirer les conséquences

 
Ainsi la Turquie en général, et particulièrement à l’heure de l’AKP, n’a absolument rien à faire dans l’UE. Erdogan aspire clairement à islamiser toute l’Europe. Seule la franc-maçonnerie au cœur des institutions à Bruxelles devrait s’en réjouir. Mais les méchants triomphent largement depuis 1789 en Europe du fait de la totale passivité des bons. La Turquie est de nouveau dans un processus clair et programmé d’adhésion alors qu’il y avait eu, au moins dans les discours, un net ralentissement sinon une suspension.
 
De mĂŞme, Erdogan ne saurait ĂŞtre un alliĂ© fiable sur les dĂ©licats dossiers syrien et irakien. Il n’est pas sĂ»r, vu l’« Ă©chec Â» amĂ©ricain en Irak, qu’il soit sage pour les EuropĂ©ens d’envisager d’intervenir. L’islamisme, le terrorisme et ses soutiens, sont Ă  l’évidence dĂ©jĂ  prĂ©sents en Europe, et Ă  combattre sur place. Il faudrait tout au plus soutenir les adversaires locaux et dĂ©terminĂ©s du Califat, ou des autres islamistes sunnites, Ă  peine moins excitĂ©s, soutenus hier encore par Laurent Fabius, et certainement pas chercher quelque fantomatique appui d’islamistes « modĂ©rĂ©s Â» syriens ou turcs. Erdogan est modĂ©rĂ© dans les moyens, mais certainement pas dans ses objectifs de fond. Et face aux Occidentaux, il multiplie les usages de la dissimulation et du mensonge, la taqqiya, permise en morale islamique. Il est vrai que la sottise, l’aveuglement volontaire de ses interlocuteurs et des loges, confine Ă  la trahison de l’Europe, voire au rejet de tous leurs grands principes humanistes en Syrie et en Irak.
 

Octave Thibault