Etats-Unis : le séminaire « évangélique » qui produit des conversions à la religion catholique

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Il se passe des choses bizarres dans un séminaire évangélique de la Caroline du Nord, le Southern Evangelical Seminary (SES). Cette institution, à la différence de la plupart de ses semblables, ne vise pas à former des responsables religieux pour une Eglise particulière, se situant plutôt dans le domaine de l’apologétique chrétienne où aucune source n’est a priori proscrite. En une décennie, de 2004 à 2014, plus de 25 enseignants, étudiants et anciens élèves du SES ont fait le pas d’entrer en pleine communion avec l’Eglise catholique. Des conversions directement liées à l’enseignement reçu. Leur nombre est remarquable, compte-tenu que le nombre total de diplômés sortant chaque année de cette école de théologie ne dépasse pas les deux douzaines.
 
Voilà qui pose des questions d’autant plus aiguës que le fondateur de SES est un théologien chrétien évangélique personnellement très critique de la religion catholique. L’un des convertis, Douglas M. Beaumont, a décidé d’en dire davantage en publiant un livre qui relate neuf « passages à Rome » d’autant d’anciens séminaristes de l’institution : Evangelical Exodus : Evangelical Seminarians and Their Paths to Rome, publié chez Ignatius Press.
 

Un séminaire évangélique qui fait lire saint Thomas d’Aquin à ses risques et périls

 
Le principal responsable de cet « exode » serait en réalité saint Thomas d’Aquin dont les œuvres voisinent dans ce séminaire avec celles d’autres auteurs catholiques qu’on ne s’attendrait pas à trouver dans les bibliothèques d’un séminaire évangélique. SES est en effet sincèrement attaché à la théologie évangélique, notamment en ce qui concerne les derniers temps, mais du point de vue apologétique, on n’y hésite pas à faire appel à l’expression de la philosophie classique. Le Docteur Angélique et ses commentateurs les plus traditionnels y sont les bienvenus : « SES invite également des catholiques très en vue à venir faire des conférences lorsque leur expertise fait qu’ils sont au sommet de la recherche universitaire (et c’est fréquent) », explique Beaumont dans un entretien avec le Catholic World Report.
 
Cela ne signifie pas que l’équipe dirigeante adhère à la théologie catholique : elle souligne au contraire que l’on peut choisir ce que l’on veut dans l’enseignement catholique et notamment dans la philosophie catholique sans être obligé à accepter l’ensemble de la théologie catholique. Elle voit les conversions d’un mauvais œil, dénonçant même une sorte de complot.
 
Mais son approche intellectuellement éclectique met les étudiants en présence de la vérité. On la retrouve dans les matières enseignées : « Les étudiants lisent les catholiques dès lors qu’il s’agit de métaphysique, d’épistémologie, de la théologie divine et de l’éthique, mais passent aux évangéliques contemporains pour ce qui concerne la rédemption ou la fin des temps », explique Beaumont. « Pour nombre d’entre nous, la comparaison se faisait au détriment des écrivains évangéliques, et l’incohérence théologique devenait peu à peu trop grande pour être ignorée. Avec le cours du temps, nombre d’entre nous avons perçu que ce que l’évangélisme a de meilleur n’est que du capital emprunté à l’Eglise catholique, et que le reste n’est tout simplement pas au niveau. »
 

Les conversions catholiques se multiplient dans un séminaire évangélique américain

 
Il a lui-même parcouru un chemin « déchirant » qui l’a mené de sa première conversion la foi chrétienne en 1989, et son engagement dans les études évangéliques, jusqu’au moment en 2009 où il a commencé un difficile discernement pour savoir s’il resterait dans cette voie. C’est alors qu’il a commencé à s’intéresser à l’Eglise de l’histoire : « J’ai trouvé de plus en plus difficile de défendre mes croyances anti-catholiques. A la fin de ce processus, j’en suis arrivé à la conclusion que je n’étais pas en pleine communion avec l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique. Et donc, en 2014, j’ai été reçu au sein de l’Eglise catholique. »
 
Il faut pour cela régler la question de l’autorité religieuse, fondamentale pour définir quelles sont les Ecritures canoniques et leur interprétation orthodoxe, explique-t-il. L’affaire des écritures canoniques a été réglée plusieurs siècles après le temps de l’Eglise primitive, ce qui pose un problème aux chrétiens évangéliques qui veulent revenir aux sources mais se fondent sur un enseignement catholique qui se dit infaillible. Au bout du compte, reconnaît Douglas Beaumont, il a fallu reconnaître que si l’Eglise ne s’était pas trompée sur les Ecritures, elle ne s’était pas trompée sur le reste, et qu’« en dernière analyse elle fixe la norme ».
 

Aux Etats-Unis, la conversion des évangéliques est un vrai sujet

 
Les questions difficiles pour les protestants – la Vierge Marie, le purgatoire, la justification – sont toutes liées à cela, souligne l’auteur. « A partir de là il s’agissait simplement de suivre l’histoire. Comme l’a écrit le bienheureux cardinal Newman : “Approfondir l’histoire, c’est cesser d’être protestant.” »
 
A titre personnel, Beaumont a été très frappé par la philosophie et la théologie de saint Thomas d’Aquin qui rejoignait beaucoup de ses intuitions « disparates ». « J’ai le souvenir vif d’un fait précis : je lisais la section de sa Somme sur la foi des hérétiques (Iia IIae, 5-3) et eus la surprise de constater que pour Thomas, même la foi de l’hérétique en des choses vraies est fausse. J’ai lu son explication : que la foi est par définition, une confiance en l’autorité, et que par conséquent le rejet de n’importe quel enseignement d’autorité est la preuve qu’alors la “foi” n’est qu’une opinion vraie par accident – et j’en ai été abasourdi. Je me souviens d’avoir fixé le texte et de m’être peu à peu rendu compte de ce que cela décrivait parfaitement ma foi, telle qu’elle m’avait été enseignée, et telle que je l’avais enseignée à d’autres. En enseignant que la foi relevait d’une conviction personnelle fondée sur l’étude personnelle, je conduisais littéralement les gens à ne pas avoir la foi ! Ce fut un moment de clarté épouvantable, mais que j’ai véritablement aimé. C’est alors que j’ai su que je ne pouvais pas rester protestant. »
 

Anne Dolhein