C’est plus qu’une jacquerie, c’est une révolution et presque un chant du cygne. Le mouvement est parti du Nord : déjà l’an dernier devant la colère des agriculteurs néerlandais, la troupe avait tiré à balle, et cette année, c’est l’Allemagne, avec ses puissants syndicats, qui s’est rebellée la première. En France, nos paysans ont d’abord joué la carte de la modération et de l’humour en mettant les panonceaux de signalisation des villages à l’envers pour montrer que notre société « marche sur la tête ». Mais la mort d’une mère de famille renversée sur un point de blocage de la circulation dans l’Ariège rend immédiatement sensible le tragique d’une situation que l’Union européenne et ses Etats membres ont laissé pourrir volontairement pendant des décennies. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, notre continent, sous couleur de rationalisation et d’industrialisation, organise avec méthode la mort d’une classe et d’une forme de société, sans avoir pensé que la brutalité de ses politiques ruine non seulement la vie des individus mais menace aussi la production agricole et l’indépendance alimentaire.
Depuis les années 1950, la mort lente des paysans
Voilà un peu plus de soixante-dix ans, on comptait en France 42.400.000 habitants, dont plus de 21 millions d’actifs, parmi lesquels 8 millions de paysans et 6,5 millions d’ouvriers. Il y a aujourd’hui 68.400.000 habitants, dont 6 millions d’ouvriers (en nette régression) et 400.000 paysans (en voie de disparition). La paysannerie est en France une espèce menacée. Le revenu en est le plus bas de tous les secteurs. La surmortalité par suicide y est de 30 % supérieure à la moyenne de la population. Le nombre des paysans, et des exploitations, a donc été divisé par vingt, d’énormes investissements ont été encouragés par l’Etat et l’Europe, induisant un endettement considérable, une grosse dépense concomitante de matériel a été faite, avec changement de méthode et usage massif d’engrais, le tout, il faut le reconnaître, pour un net progrès des rendements, et pourtant le niveau et la qualité de la vie ne se sont pas améliorés.
L’Europe bureaucratique organise le désordre
C’est que les politiques menées par l’Europe ont été compliquées et contradictoires, avec d’une part la soumission au système des grands échanges commerciaux et des prix du marché, et d’autre part des usines à gaz de subventions et de taxes pour en amortir les effets, bref, pour un résultat qui combinait les inconvénients du libéralisme et ceux du socialisme le plus pesant, le plus arbitraire, le plus paperassier et le moins lucide. La politique du lait et du beurre fut un modèle de folie douce. Cela a fini par ruiner l’agriculture traditionnellement prospère de la France et démoraliser les paysans. Sur ce tableau de fond se brochent les errements actuels. Le premier nous vient d’Europe de l’Est et plus précisément d’Ukraine. Non seulement l’Etat se ruine en armant l’Ukraine, mais il ruine nos paysans en ouvrant le marché agricole aux productions venant d’Ukraine. Des productions qui ne respectent pas les normes que l’Europe de Bruxelles impose aux paysans Français.
L’écologisme provoque la mort de l’agriculture
Mais la question de fond est l’écologisme. La politique environnementale et la transition énergétique ont un coût très important qui impose aux Etats surendettés, le français en particulier, de faire des économies. D’où, par exemple, suppression de certaines aides aux paysans, notamment sur les carburants – ce qui augmente d’autant les coûts de production. A cela s’ajoute une réglementation verte extrêmement contraignante, qui empêche l’utilisation de certains intrants (les « pesticides » notamment, mot fourre-tout directement transcrit de l’anglais, ont mauvaise réputation), augmentant la charge de travail des paysans et faisant baisser les rendements. En même temps, l’Europe interdit de mettre en culture les jachères, alors que la demande s’accroît et avec elle les importations agricoles de pays tiers. Bref, on marche littéralement sur la tête, et, de même qu’elle s’est désindustrialisée, la France se désagricolise pour devenir un pays touristique de services et de musées. C’est d’une part la mort des paysans que l’Europe organise, et c’est la fin de tout espèce d’autosuffisance et de sécurité alimentaire.