« Fissure » du Valle de los Caídos : le projet qui indigne l’Espagne catholique

fissure Valle los Caídos
La Pietà de Juan de Avalos (© Richard Mortel)

 

La décision est prise : le haut-lieu de mémoire de la Guerre d’Espagne, voulu par le général Franco pour honorer et faire prier pour les morts des deux camps, va subir une transformation architecturale qui dénaturera le lieu, pour la coquette somme de 31 millions d’euros publics. El Valle de los Caídos, non loin de Madrid, est attaqué depuis des années déjà dans son identité chrétienne et catholique ; voici que, par décision du gouvernement socialiste de Pedro Sanchez, le ministère du Logement vient de présenter le projet de l’architecte primé à la suite du concours mis en place pour gommer visuellement l’aspect proprement religieux du mémorial. Il porte un titre : « la base et la croix ».

Lors de la conférence de presse organisée mardi, Iñaqui Carnicero (son nom veut dire « boucher ») secrétaire général de l’Agenda urbain, du logement et de l’architecture du ministère du Logement et président du jury, a expliqué que la modification vise à donner « plus d’importance à la nature qu’à l’architecture, et à rompre l’axialité qui caractérisait tant ce monument pour produire une grande ombre, une fissure qui facilite la rencontre, qui invite au dialogue et à une vision plus pluraliste, plus démocratique ».

 

Une fissure « pluraliste et démocratique »

Derrière la Novlangue – dont chaque mot est pesé – la volonté destructrice : le plan de l’architecte pourrait amener à détruire la Pietà de Juan de Avalos y Taborda qui caractérise le lieu, surplombant la monumentale porte d’entrée et lui donnant tout son sens. Car si la croix gigantesque au-dessus de la chapelle creusée à même la montagne figure sur le modèle réduit du projet, la sculpture de la descente de Croix y est introuvable. Des sources gouvernementales espagnoles ont démenti l’information selon laquelle la statue serait enlevée ; mais le fait est que la sculpture n’est pas visible sur le croquis officiel diffusé lors de la présentation.

Le changement le plus visible que connaîtra l’ensemble architectural sera la suppression de l’escalier vertical qui donne accès à la basilique. A sa place, un porche sera construit au pied du sanctuaire, semblable à une grande « fissure » horizontale qui s’étendra d’un côté à l’autre de toute l’esplanade du site, en tirant parti des cinq mètres de dénivelé existants.

Cette « fissure », tout le monde en parle. C’est l’élément imaginé pour empêcher toute verticalité, toute allure sacrée s’imposant à la vue des bâtiments ; qui dit fissure, dit impossibilité de réconciliation.

La fissure permettra l’accès à une arcade, par laquelle les visiteurs pourront accéder à un hall circulaire de 40 mètres de diamètre avec un toit découvert, par lequel on gagnera aussi bien la basilique, située en face, et au nouveau centre d’interprétation, situé sur les côtés. Ce dernier était l’un des éléments prévus dans le concours lancé par le gouvernement pour donner une nouvelle signification au Valle de los Caídos. Selon la présentation, des panneaux (ré-)explicatifs y seront installés ; aucune information n’est disponible pour le moment quant à leur contenu.

 

Valle de los Caídos : un projet hélas accepté par l’Eglise d’Espagne

Il semble que l’Eglise catholique d’Espagne se soit largement soumise aux projets gouvernementaux aux termes de pourparlers qui se dont tenus en début d’année entre les autorités civiles et religieuses. Le secrétaire général de la Conférence épiscopale espagnole, Mgr Francisco César García Magán, a assuré que l’Eglise soutenait sans faille l’action du cardinal Cobo, archevêque de Madrid, dans la question de la redéfinition de la Vallée des morts et a défendu le maintien du culte, de la communauté bénédictine et de la croix. Il a également demandé au Congrès d’approuver la régularisation extraordinaire des « migrants » (traduisez : « des clandestins »). Quitte à faire de la politique sinistre…

Le projet pour le Valle doit ainsi respecter les conditions établies dans l’accord conclu entre le gouvernement et l’archevêché de Madrid le 16 avril. Parmi ces conditions figurent le maintien de la basilique et de ses signes liturgiques, le respect des chapelles latérales mariales et de leurs symboles religieux, l’accès indépendant à l’espace sacré et la permanence de la communauté bénédictine. Toutefois, il n’est pas évident que l’accès commun aux différents lieux par la fameuse « fissure » réponde à l’exigence d’accès indépendant à l’espace sacré, comme convenu entre l’Église et le gouvernement.

Par ailleurs, le projet de « resignification » du gouvernement envisage toujours la possible expulsion de l’abbaye bénédictine du Valle : prochaine étape après les travaux déjà décidés, censés démarrer en 2027 pour une durée de quatre ans ?

Nous reproduisons ci-dessous la traduction d’un éditorial publié mardi par Infovaticana sous le titre : « La fissure du Valle : un projet taliban contre l’art et la foi. » – J.S.

 

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La fissure du Valle de los Caídos : un projet taliban contre l’art et la foi

 

Dans le cadre d’une manœuvre qui semble avoir été soigneusement coordonnée entre le gouvernement et certains secteurs de l’Eglise, on a présenté le nouveau projet architectural pour la Vallée des morts. Un projet qui, loin de poursuivre un objectif de conservation ou de réconciliation, constitue une profanation matérielle de l’un des ensembles monumentaux les plus significatifs de la chrétienté contemporaine.

On a cru bon de concevoir un projet consistant à ouvrir une énorme fissure qui traverse l’esplanade de la Vallée, aboutissant à la destruction et à la disparition de l’une des œuvres sculpturales les plus précieuses de l’ensemble : la Pietà de Juan de Avalos, cette œuvre inestimable tant en raison de sa symbolique spirituelle que de son importance artistique, qui couronne l’accès à la basilique au pied de la Croix. Elle est également l’un des symboles religieux les plus puissants de tout le monument : la Mère tenant son Fils mort, exprimant la douleur, la Rédemption et l’espoir.

La comparaison ne peut manquer de venir à l’esprit : cette fissure évoque les bombes des talibans qui ont détruit les bouddhas de Bamiyan. Ces fanatiques ont anéanti des siècles d’art et de mémoire culturelle ; aujourd’hui, au cœur de l’Europe, l’Espagne est confrontée à un acte de barbarie d’inspiration similaire. Non pas avec des explosifs, mais avec le ciseau idéologique et le pilori du ressentiment.

Quant à la basilique, les déclarations officielles n’offrent guère plus que des mots vides de sens. On parle d’« interventions minimales », de « panneaux d’information », de « réinterprétation de l’espace ». Mais personne n’offre de garanties réelles quant à la préservation de son intégrité liturgique et artistique.

Les rumeurs sur l’expulsion de la communauté bénédictine, gardienne du lieu depuis sa fondation, se font de plus en plus insistantes. Et l’attitude de certains évêques – acculés par des scandales sodomites, dépendants du pouvoir politique et craignant la confrontation – ne laisse pas présager une défense ferme du sacré.

Ainsi, alors que le gouvernement avance avec une intervention architecturale d’inspiration talibane, les gardiens naturels du lieu sont expulsés, les sculptures religieuses les plus emblématiques sont condamnées à la destruction, et la basilique est laissée à la merci d’une « redéfinition » sans limites ni garanties.

Cette fissure qu’ils veulent ouvrir sur l’esplanade de la Vallée n’est pas seulement physique. C’est une métaphore du projet idéologique mené depuis des années : ouvrir une brèche dans la mémoire, dans la foi et dans les fondements mêmes de la civilisation chrétienne espagnole. Ils ont commencé par profaner des tombes, puis ils ont démantelé des symboles, et maintenant ils cherchent à briser la pierre même sur laquelle se dresse la Grande Croix, signe monumental de la Rédemption.

Mais cette fissure, comme toute blessure injuste, devra un jour être réparée. Car les peuples qui conservent leur mémoire ne tolèrent pas indéfiniment l’offense. Ce qui est présenté aujourd’hui comme un exercice de « réinterprétation historique » est en réalité un acte de barbarie culturelle et spirituelle, et sera considéré comme tel.

L’Espagne contemple, dans la Sierra de Madrid, son propre Bamiyan moderne : la tentative d’effacer le sacré sous prétexte de progrès. Mais la foi et la beauté, telles des racines profondes, résistent aux coups du temps et de la haine. Et même si aujourd’hui on veut ouvrir des fissures dans la pierre, on ne parviendra pas à les ouvrir dans l’âme d’un peuple qui n’oublie pas.

 

Miguel Escrivá, Infovaticana

 

Traduction par Jeanne Smits