La guerre « anticoloniale » de la Russie est une résurgence de son passé communiste

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Timbre célébrant la « libération » communiste de l’Angola


C’est un thème récurrent chez Vladimir Poutine : la Russie mène aujourd’hui une guerre contre l’impérialisme, une lutte « anticoloniale » contre l’Occident qui prive les peuples, les grandes civilisations, de rester ce qu’elles sont et de se déployer de manière parallèle dans un monde « multipolaire ». Beaucoup refusent de faire le lien avec le soutien communiste soviétique aux luttes anticoloniales du XXe siècle et imaginent que, loin d’être le continuateur de l’URSS, l’ex-gradé du KGB qui occupe actuellement le Kremlin lutte pour les souverainetés et les identités nationales, contre un Occident qui tente d’imposer au monde son matérialisme et sa culture coupée de toute tradition et de toute morale.

La fréquentation des sites qui soutiennent fortement Poutine et sa guerre en Ukraine en développant une approche idéologique empruntant les registres qui sont aujourd’hui ceux du pouvoir russe, autour de l’oligarque orthodoxe Konstantin Malofeev (fondateur de Tsargrad TV) et du philosophe gnostique auto-proclamé Alexandre Douguine, permettent de se familiariser avec cette pensée, ou plutôt cette propagande.

 

La guerre anticoloniale revendiquée par Poutine est calquée sur celle menée par l’URSS communiste

Le site katehon.com (vers lequel pointe tsargrad.tv) rapporte ainsi le verbatim de plusieurs conférences qui ont été prononcées à l’occasion d’un Forum global (virtuel) sur la multipolarité organisé sous son égide, où Alexandre Douguine, directeur de l’Institut Tsargrad, jouait un rôle éminent.

Rassemblant des représentants de « diverses civilisations et cultures, incarnant la diversité du monde », la conférence s’est tenue « sous les auspices de la thèse selon laquelle les peuples de la terre sont essentiellement des pensées de Dieu » – dans leur diversité religieuse, bien entendu.

 

Keith Bennet vante le socialisme de la Chine

J’ai choisi de vous présenter une traduction rapide de la prestation de l’Américain Keith Bennett, « co-éditeur » de la plate-forme « Amis de la Chine socialiste », intervenant au Valdaï Club et membre de l’International Manifesto Group qui se dit représenter un courant global de la « diversité de la pensée socialiste », sous le slogan : « Par la pluri-polarité vers le socialisme ». Parmi ses membres français on compte de nombreux cégétistes et communistes revendiqués…

On voit très bien dans le discours de Bennett la convergence entre la pensée de gauche, communiste, et la propagande qui est diffusée par le Kremlin et ses satellites idéologiques. Sa présentation de la lutte anticoloniale est un monument de mauvaise foi, ce que pourront aisément percevoir ceux qui se souviennent de la mainmise communiste sur les pays prétendument « libérés ». On y notera aussi son adhésion tranquille aux régimes marxistes les plus meurtriers de l’histoire de l’humanité.

 

La « multipolarité » de la Russie a des alliés socialo-communistes

Il omet naturellement de rappeler combien les puissances et les clubs mondialistes, notamment sous l’impulsion de Kissinger, ont aidé la Chine à devenir la puissance qu’elle est aujourd’hui, ainsi que le rappelle Reinformation.tv sous la plume de Clémentine Jallais.

Et que dire de la présence russe en Syrie, au Liban, dans de nombreux pays Africains ? Elle n’est pas l’œuvre de dames patronnesses, on s’en doute !

Voici la traduction intégrale de son intervention du 29 avril dernier.

 

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La lutte anticoloniale pour un monde multipolaire

 

Je voudrais remercier Nova Resistência du Brésil, l’Initiative du Nouvel Ordre International de la Turquie, le Mouvement Eurasien International de la Russie, le Forum des Penseurs de la Chine, et le Mouvement International des Russophiles pour l’organisation de la Conférence Mondiale sur la Multipolarité d’aujourd’hui et pour m’avoir invité à partager quelques réflexions sur le sous-thème de la « Lutte contre le néo-colonialisme dans un monde multipolaire ».

Ce qui est le plus significatif dans la conjoncture actuelle, c’est que les conditions sont en train de mûrir pour parvenir à la résolution finale de ce problème historique, à travers la création d’un monde véritablement multipolaire, ou pluripolaire, dont l’indépendance serait le fondement et le noyau.

A l’aube du vingtième siècle, le grand érudit et révolutionnaire afro-américain W. E. B. Du Bois a déclaré que la question déterminante du siècle à venir serait ce qu’il appelait la « ligne de la couleur ». Il s’exprimait quelques années à peine après que les puissances coloniales européennes s’étaient réunies à Berlin pour se partager le continent africain comme autant de parts de gâteau.

Du Bois faisait référence à la lutte des nations et des peuples opprimés pour leur libération, une lutte qui a caractérisé le vingtième siècle. La révolution de 1917 qui a conduit à la création de l’Union soviétique a été le premier grand tournant de la lutte anticoloniale. Pour la première fois, une grande puissance mondiale s’est engagée sans équivoque dans la lutte et la liberté des peuples coloniaux.

Lorsque les puissances impérialistes ont de nouveau plongé le monde dans une guerre pour le redécoupage des colonies, c’est l’Union soviétique et son Armée rouge qui ont joué un rôle décisif dans ce qui est devenu une bataille antifasciste pour la démocratie.

La défaite historique du fascisme a débouché sur la victoire de la Révolution chinoise, qui a eu un impact profond sur l’équilibre mondial des forces.

La fondation de la République populaire de Chine, l’indépendance de l’Inde, les révolutions en Corée et au Vietnam et la conférence afro-asiatique de 1955 dans la ville indonésienne de Bandung ont été parmi les facteurs les plus importants dans la création d’une nouvelle réalité, dans laquelle la permanence des anciens empires coloniaux, sous la forme qu’ils avaient prise jusqu’à présent, est devenue de plus en plus intenable.

Même au milieu de ses divisions tragiques et amères, l’existence du camp socialiste a été le principal soutien de la vague d’anticolonialisme qui a déferlé sur l’Afrique et l’Asie, les Caraïbes et le Pacifique Sud, et même en Europe, comme le montre la lutte du peuple irlandais, entre autres. Alors que la décolonisation formelle n’est pas encore achevée, des centaines de millions de personnes ont gagné leur indépendance nationale et se sont lancées dans la lutte pour construire une nouvelle société.

Toutefois, cette lutte s’est avérée tout aussi ardue que celle menée pour obtenir l’indépendance formelle.

Tout comme Lénine avait défini l’impérialisme comme le stade le plus élevé du capitalisme, il est revenu au premier président du Ghana, Osagyefo Dr. Kwame Nkrumah, de définir le néo-colonialisme comme le stade le plus élevé de l’impérialisme.

Et de même que c’est l’existence du camp socialiste qui a apporté le plus grand soutien à la cause de l’indépendance nationale et à la construction d’une nouvelle société, c’est l’effondrement de l’Union soviétique, en particulier, qui a constitué le plus grand recul, donnant temporairement au colonialisme et à l’impérialisme un nouveau souffle.

Loin des « dividendes de la paix » que l’on nous avait promis, le « nouvel ordre mondial », puis le prétendu « ordre international fondé sur des règles », ont inauguré une nouvelle période de guerres coloniales, en Afghanistan et en Yougoslavie, en Irak et en Libye, en Syrie et en Somalie, entre autres, semant le chaos, la destruction et la misère dans ces pays et bien plus loin encore.

Trois facteurs, en particulier, ont toutefois contribué à rendre éphémère le moment du triomphalisme impérialiste :

La République populaire de Chine, loin de changer son caractère de classe, a approfondi son orientation socialiste et a poursuivi son ascension régulière, restant sur la bonne voie pour dépasser les États-Unis en tant que première économie mondiale, un changement sans précédent depuis plus d’un siècle.

Sous la direction du président Poutine, la Russie a retrouvé sa dignité et son respect d’elle-même et est à nouveau un allié puissant et fiable du Sud.

A partir de la révolution bolivarienne au Venezuela, bénéficiant du grand exemple du Cuba socialiste, l’Amérique latine, considérée par les États-Unis comme leur arrière-cour héréditaire depuis des siècles, s’est hissée au premier rang de la lutte mondiale pour l’indépendance et le progrès social. Le retour du président Lula au Brésil a également permis d’accélérer considérablement ce processus.

On pourrait dire qu’aujourd’hui, au niveau des États, les forces anticoloniales n’ont jamais été aussi fortes et cohésives. Et c’est précisément pour cette raison que l’impérialisme a répondu par une « nouvelle guerre froide » ciblant la Russie et la Chine en particulier. En effet, l’impérialisme ne fait même plus semblant de ne pas être en guerre ouverte contre la Russie.

Aujourd’hui, une fois de plus, le peuple multinational de Russie se trouve sur la ligne de front de la lutte pour la civilisation et contre la barbarie. Je ne doute pas que, comme en 1945, il emportera la victoire.

Je vous remercie de votre attention.

Keith Bennett

 

Traduction et commentaires par Jeanne Smits