C’est un cri d’alarme qu’a lancé la bloggeuse Freya India, cette jeune femme américaine qui dénonce l’emprise des réseaux sociaux sur la jeunesse : « Il est temps de dire non ! » Non à TikTok, Instagram, Snapchat… tous ces réseaux sociaux qui ont la cote dans la « Génération Z » – les jeunes aujourd’hui âgés de 12 à 27 ans qui ont grandi avec internet. Et souvent, dès l’entrée au collège, avec un Smartphone vissé dans la main. On leur prête une structure cérébrale modifiée par rapport à celle de leurs aînés : ce sont eux qui ont été surexposés aux jeux vidéo comme aux réseaux sociaux où ils se soumettent en continu au regard d’autrui, mais aussi s’informent. Exposés à tout, y compris à la pornographie…
Les recruteurs et responsables RH s’interrogent sur cette génération hyperconnectée : leur durée de concentration moyenne plafonne, dit-on, à 8 secondes et ne dépasse guère les 12 minutes « quand le jeune matche avec le sujet » ; ils sont 72 % à n’être pas prêts à recevoir des ordres et ils sont fascinés par les images. Mais la leur, qu’ils partagent presque de manière compulsive, retouchée, soumise à des filtres, lissée pour correspondre aux canons du jour, ils ne la supportent pas dans la vie réelle, de telle sorte qu’on parle aujourd’hui de « dysmorphie Snapchat ». Les chirurgiens esthétiques connaissent bien ce trouble : ils le constatent chez les patients qui ne viennent plus leur demander d’être « refaits » pour ressembler à telle ou telle star, mais pour correspondre au portrait qu’ils se sont fabriqué à longueur de vidéos et d’images à faire « liker » sur les réseaux sociaux…
La suppression des réseaux sociaux, remède à l’anxiété des jeunes
En un mot comme en cent, l’éducation de ces jeunes a été « externalisée » à internet, confiée à leur Smartphone, soumise aux injonctions et au regard inquisiteur de leur pairs qui les jugent avec bien plus de dureté que le plus sévère des parents. Tout cela pointe vers une démission généralisée du monde des adultes, avec ces parents obsédés par la « sécurité » de leur progéniture qu’ils veulent pouvoir joindre 24 heures sur 24… et qu’ils munissent donc sans sourciller de micro-ordinateurs portables qui peuvent les attirer dans les plus abominables des traquenards.
Cette génération Z – anxieuse, dépressive, angoissée, atteinte de troubles mentaux dans des proportions inconnues jusqu’alors (et le covid n’a pas aidé) – en souffre abominablement, estime Freya India, qui anime plusieurs comptes Substack sur les errances de ces jeunes que leurs aînés n’ont pas su protéger du pire. Elle est intervenue sur le compte « After Babel » du psychologue social Jon Haidt qui réfléchit de manière intéressante sur les effets catastrophiques de la « connectivité » via les réseaux sociaux : l’arrivée des jeunes « flocons de neige » à l’âge estudiantin, avec leur hypersensibilité, leurs chasses aux sorcières, leur difficulté à se lancer dans la recherche de la vérité.
Une initiative pour refuser la vie virtuelle : de l’empire de l’image au porno
Il y a sans doute bien des causes à cet état de fait, à commencer par les modes d’apprentissage qui développent en priorité l’émotion et la capacité de « faire du même » comme le montre Elisabeth Nuyts dans ses livres, en gommant largement le verbe et l’analyse au profit de l’image et du « global » – mais tout cela est grandement renforcé par la logique des réseaux sociaux, où l’on étale sa vie en images et où l’on est jugé sur son image.
Pour Freya India, les jeunes de la première moitié de la génération Z – ceux qui ont aujourd’hui entre 12 et 27 ans – se sont en réalité vu voler leur enfance, plongés qu’ils sont dans des mondes virtuels qu’ils trouvent ou se créent sur leurs Smartphones. Il est temps, grand temps, dit-elle, de rompre avec ces mondes, de désinstaller toutes les applis qui les entraînent vers le gouffre. Elle propose à cette fin une initiative de masse : ce sera pour le 10 octobre, le jour de la Mass Deletion, l’effacement délibéré de ces sites addictifs qu’on a pu qualifier de « crack numérique », pour reconquérir sa vie mais aussi pour donner l’exemple aux plus jeunes, ceux qu’il faut sauver de l’emprise du monde virtuel pendant qu’il en est encore temps. Sa démarche, précisons-le, n’est pas religieuse. Mais elle vient au secours des enfances volées : c’est déjà bien.
On trouvera toutes les précisions ici, dans un texte dont nous vous proposons la traduction intégrale ci-dessous. – J.S.
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« Il est temps de dire non » : une initiative pour la suppression des contes de réseaux sociaux
Il existe d’innombrables enseignants, organisations et militants qui tentent d’aider la génération Z et la génération Alpha à se libérer de l’emprise addictive des smartphones et des réseaux sociaux. Ils luttent contre la surprotection craintive, ils font pression pour que les téléphones soient bannis des écoles et exhortent les parents à retarder l’accès aux réseaux sociaux jusqu’à l’âge de 16 ans au moins. Ils se sont donné pour mission de sauver l’enfance.
Mais qu’en est-il de ceux d’entre nous qui ont déjà perdu la leur ?
La génération Z comprend toutes les personnes nées entre 1996 et 2012, aujourd’hui âgées de 12 à 27 ans. Il est facile de se concentrer sur la moitié la plus jeune, celle qui peut encore profiter d’une enfance sans téléphone, qui n’a pas encore traversé la puberté. Pour eux, il y a de l’espoir.
Mais qu’en est-il de la moitié la plus âgée de la génération Z, comme nous ? Nous, les jeunes adultes qui avons déjà gaspillé tant de jours d’école sur nos téléphones ? Nous qui avons déjà vu nos amitiés devenir superficielles ? Nous qui avons pour doux souvenirs d’enfance le fait d’avoir retouché nos visages et nos corps prépubères, d’avoir discuté avec des inconnus dénudés sur Omegle, d’avoir fondé notre estime de soi sur les likes et les followers pendant nos années les plus formatrices et les plus vulnérables ? Nous qui avons été exposés à la pornographie en ligne avant même d’avoir eu un premier baiser ? Nous qui étions déjà surprotégés dans le monde réel, mais laissés à nous-mêmes en ligne ?
Nous souffrons. Près de la moitié de la génération Z souhaiterait que des plateformes comme X et TikTok n’existent pas. Nous commençons enfin à trouver les mots pour décrire ce qui nous est arrivé : ce que le fait de regarder du porno hardcore quand nous étions enfants a fait à notre cerveau, ce que les applications et les algorithmes ont fait à notre capacité d’attention, ce qui fait que nous ne pouvons même plus voir correctement notre propre visage. Nous prenons conscience de ce tout cela n’était pas normal : ce n’était pas une enfance. Nous avons échoué dans ce monde sans limite d’âge, sans garde-fou, et avec si peu de protection. Et la plupart des jeunes adultes à qui nous parlons, hommes et femmes de tous horizons, réagissent avec horreur à l’idée que leurs futurs enfants puissent vivre ce qu’ils ont vécu : regarder du porno violent avant l’adolescence, se transformer en objet en ligne, ou même simplement publier des selfies pour être classés et évalués par des inconnus.
Notre génération a besoin de comprendre ce qu’elle a perdu. Il nous faut faire le deuil d’une époque que nous n’avons jamais connue. Nous sommes la première génération qui tente de gérer l’adolescence tout en se mettant en scène et en se vendant ; la première génération à ne jamais avoir connu l’amitié avant qu’elle ne consiste à être à jour sur SnapStreaks, à ne pas savoir ce qu’était une communauté avant qu’elle ne se réduise à Instagram et aux forums Reddit, ou l’amour avant qu’il ne consiste à swiper et à s’abonner. La nouvelle génération a une chance, mais pour nous, il n’y a pas de retour en arrière possible. Nous en sommes là où nous sommes.
Mais nous ne sommes pas obligés d’y rester.
Nous pouvons affronter cette perte et la transformer en engagement. Nous avons encore la majeure partie de notre vie devant nous. On dirait que tout le monde regarde les jeunes adultes d’aujourd’hui et se demande : « Qu’avons-nous fait ? » Il est temps à présent de se concentrer sur ce qui peut être fait. Nous avons pleuré une époque que nous n’avons jamais connue ; il est temps maintenant de construire quelque chose de nouveau. Nous avons pleuré ce que nous avons perdu ; il est temps de reprendre ce qui correspond à notre dignité.
Ce qui suit est un guide, élaboré avec l’aide de Gabriela Nguyen d’Appstinence et de Seán Killingsworth de Reconnect, destiné aux millions d’entre nous qui sommes prêts à changer, mais qui avons peur ou qui avons résisté à ce changement, et qui voulons retrouver ensemble une vie dans le monde réel. Nous croyons qu’il faut commencer petit : d’abord minimiser l’utilisation, puis progresser vers une liberté totale. Le 10 octobre 2025, à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, nous serons des milliers à franchir ensemble cette dernière étape en supprimant massivement nos comptes. Mais avant cela, nous devons faire preuve d’une honnêteté brutale envers nous-mêmes, affronter ce qui nous a été volé et reprendre possession de notre humanité.
Rejoignez la désinstallation massive le 10 octobre 2025
Rejoignez les milliers d’entre nous qui sommes prêts à dire non. Inscrivez-vous sur notre site web pour participer à la désinstallation massive le 10 octobre 2025. Commencez dès maintenant à réduire votre utilisation en suivant les étapes ci-dessus, puis rejoignez-nous le jour où nous supprimerons nos comptes tous ensemble. Chaque inscription représente un jeune adulte de plus qui refuse d’être un produit. #REFUSE
Mon message aux jeunes adultes qui sont prêts pour le changement est simple : refusez. Refusez d’être un produit en vitrine. Refusez d’exposer votre vie personnelle au jugement du public. Refusez de gaspiller de nouvelles années de votre vie à scroller sans fin des contenus creux qui font que vous vous sentez moins bien dans votre peau et dans le monde, qui vous rendent amer, envieux et égocentrique, et à publier des messages destinés à des gens qui se moquent complètement de vous. Refusez de céder la moindre parcelle de vous-même à des entreprises qui font fortune en volant votre attention et en vous nourrissant de déchets.
Et refusez que cela se reproduise. Quand je regarde les influenceurs de la génération Alpha, que je lis des articles sur des enfants de trois ans équipés de smartphones, que je découvre que des enfants de neuf ans regardent du porno violent, je suis submergée par la conviction que cela ne doit plus jamais se reproduire. Je refuse de rester les bras croisés pendant que la nouvelle génération grandit dans ces conditions. Je refuse d’appeler cela une enfance. Nous devons être les adultes dont la nouvelle génération a besoin.
Peut-être certains d’entre vous avez-vous déjà des enfants ou rêvez-vous de fonder une famille un jour. Quoi qu’il en soit, nous devons incarner le changement, pour eux. Nous sommes les seuls à savoir ce que c’est que de grandir entièrement en ligne ; nous avons été les premiers à perdre notre enfance de cette manière. Peut-être cela fait-il de nous les seuls à savoir comment la sauver. L’idée que ma future fille s’expose au regard de tous, qu’elle se sente sans valeur si elle n’utilise pas de filtres et d’applications de retouche, que mon futur fils devienne accro au porno en ligne, ou trop angoissé pour pouvoir regarder quelqu’un dans les yeux… Non, je refuse. Oui, notre génération a perdu beaucoup de temps et de potentiel, mais cela nous donne peut-être des atouts uniques. Peut-être pouvons-nous utiliser cela pour quelque chose de plus grand, pour avoir une chance de sauver l’enfance.
Pleurez donc ce que vous avez perdu, et souvenez-vous de ce qui est en jeu. Il s’agit de notre capacité à aimer, à nous engager, à faire preuve d’empathie. Il s’agit de notre bonheur, de notre créativité, de notre capacité à prêter attention les uns aux autres. Il s’agit de nos vies ; il s’agit de la seule chance pour la prochaine génération de connaître une véritable enfance.
Nous avons le choix : devenir quelqu’un d’exceptionnel, vivre une vie authentique, différente et qui a du sens, ou continuer à céder notre vie, notre créativité, notre humilité, notre vie privée, notre dignité, et laisser des entreprises nous voler non seulement notre enfance, mais aussi le reste de notre vie. Nous ne sommes plus des enfants vulnérables, nous sommes des adultes dotés de pouvoir d’action. Et le choix qui s’offre à nous est celui d’être un produit ou une personne. Le choix entre des mondes imaginaires et la réalité. Entre une vie bien vécue et une vie à moitié vécue. Entre atteindre notre plein potentiel ou nous battre indéfiniment pour nous recentrer. C’est un combat pour notre tranquillité d’esprit, pour nos relations, pour notre humanité.
Alors, supprimez vos comptes. Protégez vos instants les plus précieux. Ne consignez pas tout en ligne. Opposez-vous fermement à la pornographie en ligne. Refusez l’idée que cela puisse être de l’amour, que cela puisse être la vie. Libérez-vous de la pression qui vous pousse à publier. Si vous auriez préféré que ces applications n’aient jamais existé, faites comme si elles n’existaient pas.
Si vous avez le sentiment d’avoir été spolié de l’amour véritable et de l’amitié sincère, montrez au monde qu’ils sont encore possibles. Décidez qui vous voulez être et restez fidèle à cette décision. Devenez l’exemple dont vous avez besoin. La nouvelle génération vous observe.
Nous pouvons refuser d’être la génération angoissée. Nous pouvons être la génération dont l’enfance a été volée par des entreprises, mais qui a reconquis de haute lutte cette liberté pour ceux qui viendront après. Cette génération qui a été arrachée à une véritable communauté, mais qui a refusé de renoncer tant qu’elle ne l’aurait pas reconstruise, plus forte qu’auparavant. Cette génération qui a grandi dans un monde résolu à lui ôter ce qui fait l’essence même de l’humanité, mais qui a tenu bon et n’a pas reculé.
Pendant trop longtemps, nous avons été qualifiés de génération qui a perdu son enfance. Cette époque est révolue. Il est temps pour nous de devenir la génération qui l’a récupérée.
Il est temps de refuser.
Freya India