Gabriel Attal premier ministre (lui-même élevé par une mère seule) a donné mission début mars à la députée renaissance Fanta Bérété, elle-même mère seule (et au sénateur Iacovelli), de trouver des solutions pratiques aux difficultés des parents isolés, qui sont à 82 % des mères seules. Deux sénatrices et un député planchaient déjà sur la question, c’est dire l’importance que les élites y attachent. Aujourd’hui Fanta Bérété n’est plus députée et Attal expédie les affaires courantes, mais le rapport a débouché sur une carte pour les familles monoparentales dont le slogan est « Nous sommes les familles nombreuses d’aujourd’hui ». Ce slogan et cette carte sont un contresens, le fruit symbolique de l’inversion arc-en-ciel : la carte famille nombreuse était faite pour encourager les familles nombreuses, et par elle la natalité française. La carte femme seule a l’effet inverse.
Les mères seules chair à canon d’une offensive idéologique
Aurore Bergé ministre démissionnaire chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, a récemment soutenu l’idée d’une telle carte pour améliorer la « reconnaissance plus spécifique que l’on doit aux familles monoparentales ». Doit-on en conclure que la carte pour les mères seules sert à encourager la dénatalité française ? Ou Mme le ministre entend-elle parler d’une reconnaissance politique et idéologique ? Les nombreux papiers de presse parus depuis mars dernier, à peu près tous sur le même schéma, avec la même illustration et pour beaucoup issus directement de l’AFP, reprennent en effet les mêmes statistiques visant à la fois à apitoyer le lecteur sur le sort des mères seules et à les présenter comme les victimes intersectionnelles d’une injustice structurelle de la société française. Selon Marie-Clémence Le Pape et Clémence Helfter en effet, sociologues et autrices du livre Idées reçues sur les familles monoparentales, « la monoparentalité est un puissant révélateur des inégalités de genre qui organisent l’ensemble de la société ».
Le tableau arc-en-ciel noir qui justifie la carte
La carte d’aide aux mères seules serait donc un moyen de faire reconnaître ce phénomène par la société. Pour les mères seules, ce serait à la fois une reconnaissance et une aide matérielle (réductions sur les factures d’électricité, sur la nourriture ou les achats scolaires). Voici le topo qui « justifie » cette carte : une famille sur quatre en France est monoparentale, contre une sur dix en 1970, avec une femme à sa tête dans 82 % des cas. Cela touche 2 millions de foyers (autant que les familles nombreuses) et 4 millions d’enfants. Selon l’Insee, la pauvreté touche 46 % des enfants qui vivent seuls avec leur mère (contre 16 % de ceux qui vivent avec leurs deux parents et 22 % avec leur père seul). En effet, selon la CNAF, « la rupture conjugale entraîne en moyenne une baisse de niveau de vie de 20 % pour les mères ». La raison, selon certaines féministes, serait que les métiers fortement féminisés « sont aussi ceux qui sont le moins bien rémunérés ».
L’inversion intellectuelle morale de ceux qui marchent sur les mains
C’est un simple effet rhétorique et non un lien de causalité, mais cela va dans le sens recherché : apitoyer, indigner, stigmatiser. Pour satisfaire l’égalitarisme obsessionnel qui nourrit toute révolution, y compris l’arc-en-ciel. Sans voir le vrai problème, pourtant aussi visible qu’un éléphant à trois mètres dans un couloir : le malheur pour les personnes et le coût pour la société qu’est la rupture du lien conjugal. La mutation morale accomplie sous Giscard (divorce, avortement) a porté des fruits désastreux à la société française qu’on aperçoit mieux maintenant que la crise économique et sociale s’ajoute à l’effondrement moral. La solution n’est évidemment pas la carte mère seule, qui ne peut qu’accentuer le phénomène déploré en déresponsabilisant un peu plus les conjoints, mais en restreignant les cas de séparation. L’inversion morale s’accompagne ici d’une inversion intellectuelle qui aggrave la cause du mal qu’elle prétend combattre. Ce n’est pas quand on a mis ses enfants dans la mouise, affectivement et financièrement, qu’il faut y penser, mais avant de le faire. Si l’éducation civique et morale pouvait servir à quelque chose, ce serait de former des adultes responsables : on n’en prend pas le chemin, hélas, rue de Grenelle. L’Etat préfère imaginer des soins palliatifs. A ceux qui marchent sur les mains, on fournit des gants spéciaux, des anti-coagulants pour éviter des AVC la tête en bas, et des périscopes spéciaux pour mieux voir la rue.