Election à Londres : Khan ou Goldsmith, le maire sera cosmopolite

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Zac Goldsmith (à gauche) et son concurrent en tête dans les sondages, Sadiq Khan, lors d’une manifestation contre l’expansion de l’aéroport d’Heathrow Airport en octobre 2015. Un combat singulier qui dépasse les frontières.

 
L’élection du futur maire de Londres compte deux favoris, le travailliste Sadiq Khan, qui pourrait être le premier maire musulman de Londres, et le conservateur cosmopolite Zac Goldsmith, qui l’attaque précisément sur les dangers que présenterait sa religion. Un symbole, au moment où, en Allemagne, le parti populiste AfD vient de voter un manifeste anti-islam. Mais rien n’entame pour l’instant le progrès de l’immigration.
 
L’affiche des favoris à l’élection du maire de Londres est presque aussi symbolique que l’était celle du film Intouchables. Un grand jeune Noir en bonne santé y poussait dans un fauteuil roulant un vieux Blanc malade : le casting est aujourd’hui assez semblable. D’un côté le candidat des nouvelles populations, Sadiq Khan, avocat spécialisé dans les droits de l’homme, musulman d’origine pakistanaise, député travailliste du quartier d’immigrés de Tooning, où il est né en 1970. Il s’affiche fier de ses origines, de sa mère couturière et de son père chauffeur, qui conduisait l’un des fameux bus rouges de Londres.
 

Goldsmith, rejeton britannique d’une lignée cosmopolite

 
De l’autre, en champion de l’ancien establishment de souche, le député conservateur eurosceptique de tendance écologiste Zac Goldsmith. C’est l’aîné des fils de Jimmy Goldsmith, milliardaire franco-britannique qui, après avoir fait fortune dans l’agroalimentaire et à la bourse, finit sa vie dans le mécénat écologiste (son frère Teddy était une sorte de philosophe de l’écologie) après avoir fait un crochet par le souverainisme en compagnie de Philippe de Villiers lors des Européennes de 1994. La mère de Zac est la fille du huitième marquis de Londonderry. Sa cousine germaine Clio fut actrice de cinéma dans les années quatre-vingt. Il est passé par le collège d’Eton, même s’il en a été renvoyé pour avoir fumé un joint. Bref, c’est le rejeton parfait de la bonne société britannique branchée jet set, né avec une petite cuiller en argent dans la bouche. Le nom de ses deux épouses est caractéristique : Shéhérazade Ventura-Bentley et Alice Miranda Rothschild, fille d’Amschel Rothschild. Ses contradicteurs politiques cherchent d’ailleurs à le gêner en lui demandant le nom des stations du métro de Londres et les journaux moquent ses façons extrêmement affables et polies, le surnommant Sleeping Beauty (la Belle au bois dormant).
 

Londres vaut bien une campagne anti-islam

 
Pourtant, ce gendre parfait a pris le mors aux dents dans cette campagne. Sans doute l’importance symbolique de Londres y est-elle pour quelque chose. La ville, qui abrite la City, n’est pas seulement l’ancienne capitale de l’Empire, elle reste, avec 8,6 millions d’habitants, la première capitale d’Europe. Et l’élection avec Sadiq Khan du premier maire musulman d’Europe promet d’être plus qu’un symbole, un tremblement de terre. Aussi Goldsmith a-t-il attaqué Khan sur les liens supposés que celui-ci entretient avec les islamistes. L’intéressé s’est défendu en affirmant qu’il est lui-même modéré, qu’il a toujours condamné les extrémistes musulmans, et qu’il a voté pour le mariage gay.
 
Cet angle d’attaque ne semble pas suffisant aux politologues britanniques pour que Goldsmith remonte l’avance de vingt points que les sondages donnent à son concurrent. Or le paradoxe est que, pour le reste, les programmes des deux candidats sont désespérément semblables aux yeux des électeurs, pour les transports, le logement, la sécurité… Sans doute Goldsmith est-il pour le Brexit et Khan contre, mais ni l’un ni l’autre n’y insiste, le résultat du referendum du 23 juin étant pour l’instant trop incertain. L’islam est donc le seul terrain d’affrontement disponible des deux candidats à la mairie de Londres. Et puisque il est difficile de convaincre Khan de faiblesse pour l’extrémisme, Goldsmith a trouvé un argument plus efficace : le candidat travailliste serait, comme musulman et comme travailliste, suspect d’antisionisme, donc d’antisémitisme.
 

Khan éclaboussé par une affaire d’antisémitisme ?

 
L’affaire a commencé la semaine dernière par un message sur le compte Facebook d’un député travailliste qui préconisait la transplantation d’Israël aux Etats-Unis. L’ancien maire travailliste de Londres, Ken Livingstone a apporté son soutien au député, en établissant notamment un lien entre le sionisme et… Hitler ! Sans doute a-t-il été suspendu du parti travailliste pour cela, mais son poids politique passé, et l’existence d’un puissant courant pro palestinien au sein du parti travailliste, inquiètent Sadiq Khan :
 
« Je comprends que les commentaires de Ken Livingstone rendent plus difficile pour les juifs de Londres de se sentir chez eux au parti travailliste… »
 

L’élection du maire de Londres reproduit le conflit palestinien

 
C’est donc sur le conflit israélo-palestinien que se développe aujourd’hui la campagne pour l’élection du maire de Londres, avec sa traduction religieuse opposant les musulmans à tous les autres. Cela est d’ailleurs cohérent avec le fait patent et lentement reconnu que les juifs sionistes, dans le cadre de l’affrontement des civilisations, se sont désolidarisés depuis une dizaine d’années des forces qui poussent à l’invasion de l’Europe.
 
En Allemagne, Josef Schuster, président du Conseil central des juifs, a pris des positions très fortes contre le danger islamique, qui le faisaient passer pour un extrémiste jusqu’aux événements de Cologne pour la Saint Sylvestre. Et la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le journal du monde cosmopolite des affaires, a ouvert ses colonnes à deux dirigeants de l’AfD, l’Alternative pour l’Allemagne. Or celle-ci surfe sur la vague anti-migrants et vient de voter une motion visant à interdire les minarets, le port du voile sur un thème assez net : « L’islam ne fait pas partie de l’Allemagne ». L’AfD refuse même tout dialogue avec une religion qui comporte « la charia, les bombes suicides et les mariages forcés ». Ayant pris soin de se démarquer des néonazis, elle entre dans la catégorie, avec le Parti pour les libertés du néerlandais Gert Wilders et le Front national nouvelle formule, des partis frappés d’une diabolisation « light ». C’est-à-dire susceptible d’être utilisés dans un choc de civilisations entre musulmans et non musulmans.
 

L’élite cosmopolite coincée dans ses contradictions

 
On notera aussi que l’élection pour la mairie de Londres oppose un cosmopolite brut de décoffrage, dont la famille est venue du tiers monde voilà moins de cinquante ans, à un cosmopolite de vieille tradition britannique : le prochain maire de Londres sera donc forcément cosmopolite. Mais l’eurosceptique Zac Goldsmith a repris quelque chose de la réflexion de son père : Jimmy Goldsmith, cosmopolite d’ascendance, cosmopolite d’habitudes, cosmopolite par ses intérêts financiers et sa vie privée, était arrivé sur la fin de sa vie à critiquer la nocivité du cosmopolitisme politique et préconiser la défense des identités charnelles des nations.
 
Si cette réflexion personnelle d’un riche juif peut bien fonder les convictions d’un de ses descendants contre l’invasion des pauvres musulmans, elle ne saurait enrayer les effets d’une dynamique démographique lourde, relayée d’ailleurs par un consentement général des élites. La propre fille de Jimmy Goldsmith, née Jemima Marcelle, amie de Lady Di, représentante de la Grande Bretagne pour l’UNICEF, épousa le joueur de cricket pakistanais Imran Khan (sans parenté avec Sadiq) et se convertit à l’islam. Les élites britanniques, la jet set cosmopolite, consentent, non seulement par leur discours, mais par leur vie, au grand remplacement.
 

Pauline Mille