Le « coup d’Etat » italien de Mattarella dénoncé par la presse britannique

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Lorsque le Daily Telegraph de Londres en vient à dire que les « élites » pro-euro en Italie ont commis un « désastreux excès de pouvoir », c’est bien la preuve qu’il y a quelque chose de pourri au sein de l’Union européenne. Dans un long commentaire, l’analyste économique Ambrose Evans-Pritchard parle d’un « coup d’Etat mou » en Italie à la suite du veto du président Sergio Mattarella à l’encontre du Premier ministre Conte désigné par l’alliance gouvernementale au pouvoir. Il faut croire que la presse britannique, échaudée par les méandres du Brexit, est particulièrement sensible au refus de démocratie dont la situation témoigne. En tout cas, le message que constitue la nomination de Carlo Cottarelli par Mattarella y est vu comme une mise en garde « extraordinaire » : « Il ne sera permis à aucun mouvement politique ni a aucune constellation de partis de prendre le pouvoir s’ils comptent défier l’orthodoxie de l’union monétaire. »
 
Mauvaise tactique, assure Ambrose Evans-Pritchard. Pour lui, le président italien a malgré lui transformé les événements en bataille rangée entre le peuple de l’Italie et l’éternelle « caste » des inféodés à l’étranger, ce qui ne saurait que favoriser le mouvement Cinq étoiles et les nationalistes de la Ligue de Salvini. Pire, pour justifier son geste, Mattarella a évoqué le spectre des marchés financiers : de quoi conforter encore plus les Italiens qui aspirent au changement dans leur choix « anti système ».
 

Mattarella a mal joué selon la presse britannique

 
Ne serait-ce que sur ce plan des marchés, l’erreur de Mattarella s’est manifestée dès le lendemain : lundi matin, les investisseurs ont vu leurs obligations italiennes déstabilisées alors que l’Italie est en proie à des « convulsions constitutionnelles aux implications horribles ».
 
La perspective de nouvelles élections après l’été n’arrange rien, d’ailleurs, de telle sorte que les banques italiennes ont vu leurs actions dégringoler.
 
L’essentiel s’est joué autour de l’euro, Mattarella ayant proclamé devoir agir parce qu’il ne pouvait pas accepter le ministre des finances proposé par la Ligue, Paulo Savona simplement parce que celui-ci est connu pour avoir critiqué l’euro. Le risque de voir l’Italie sortir de la monnaie unique était trop grand, selon le président, avec à la clef une crise financière de grande envergure.
 
Mais tous les coups sont permis pour sauvegarder l’euro. Evans-Pritchard se dit peu surpris par le veto présidentiel. « Le gouvernement Berlusconi a été renversé en 2011 par Bruxelles et par la Banque centrale européenne. Des sonneurs d’alerte ont depuis lors révélé qu’on a manipulé le marché des obligations afin d’exercer une pression maximale. L’UE a même tenté de recruter Washington. Les Etats-Unis refusèrent d’aider. “Pas question d’avoir du sang sur les mains”, disait le secrétaire au Trésor américain, Tim Geithner. Ce qui est nouveau, c’est que la qualité de l’euro en vienne à être formalisée au titre d’impératif constitutionnel italien. »
 

Un coup d’Etat pour bloquer l’Italie dans l’euro

 
Matteo Salvini a eu beau jeu de rétorquer : « Il est très grave que Mattarella ait choisi les marchés et les règles de l’UE plutôt que les intérêts du peuple italien. » On aurait voulu lui donner le beau rôle et maintenir l’agitation en Italie on n’aurait pas procédé autrement. Même chose du côté des Cinque Stelle : « Pourquoi ne pas dire dans ce pays que cela ne sert à rien de voter, si ce sont des agences de notation et les lobbys financiers qui décident des gouvernements », a déclaré Luigi di Maio, son leader.
 
Quels que soient les pouvoirs de Mattarella, président de compromis choisi pour son profil bas, on peut théoriquement arguer de son droit d’empêcher une guerre financière éclair comme celle annoncée par les Lega-Grillini, mais il n’a en aucun cas reçu mandat du peuple pour maintenir l’Italie dans l’euro, encore moins pour l’y enfermer à perpétuité.
 
Luigi di Maio réclame désormais sa destitution : « Je veux voir cette crise institutionnelle réglée par le Parlement pour empêcher le mécontentement populaire d’échapper à tout contrôle. » Vu la composition des assemblées représentant le peuple italien, la chose est théoriquement possible.
 
Pour Evans-Pritchard c’est l’imprudence des « élites pro-UE » qui est encore la plus remarquable dans cette affaire : le fait qu’ils aient pu agir de manière aussi maladroite poussant la situation vers « une impasse aussi dangereuse », alors même que Savona n’a rien d’une tête brûlée. Ancien responsable de la Banque d’Italie, ancien ministre, ancien chef d’un lobby industriel et directeur d’un hedge fund de Londres, il connaît les rouages et avait multiplié les paroles conciliantes. Il ne promettait même pas faire sortir l’Italie de l’euro, se contentant de demander des aménagements plus équitables.
 

L’Italie de Mattarella ne connaît pas la démocratie

 
En Italie, tout cela aurait pu s’arranger, selon l’éditorialiste anglais. Son exclusion en vue de mater la rébellion eurosceptique « est venue de Berlin, de Bruxelles et des structures de pouvoir de l’UE », selon l’éditorialiste. Il cite Claudio Borghi, porte-parole de la Lega pour les questions économiques : « Il faut prêter serment d’allégeance au dieu de l’euro afin d’avoir le droit d’avoir une vie politique en Italie. C’est bien une religion. »
 
Voilà qui augure mal pour le pouvoir pro-UE qui rêve d’inverser les résultats si de nouvelles élections ont lieu à l’automne : sans trop de surprise, la Lega a déjà gagné huit points dans les sondages depuis le dernier scrutin. Une même majorité pourrait se dégager.
 

Anne Dolhein