Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, n’est pas content du tout. Dans une époque où les magistrats deviennent maîtres d’à peu près tout, on n’écoute pas ceux de la Cour des comptes. Ils sont chargés notamment, chaque année, de certifier les comptes de l’Etat, tout en les accompagnant de commentaires ou de réserves qui subissent systématiquement, selon Moscovici, un simple classement vertical. Alors, il a pris sa grosse voix devant la presse à l’Assemblée nationale : « J’aimerais vous faire part, non pas de ma mauvaise humeur, mais de ma très mauvaise humeur s’agissant des suites – ou plutôt de l’absence systématique de suites – qui sont données à l’acte de certification que nous publions annuellement. » Continuant sur sa lancée, il a fait un rêve, comme Martin Luther King et Marine Le Pen : « J’imagine la situation d’une entreprise où le commissaire aux comptes certifierait les comptes avec de fortes réserves ou ne les certifierait pas, et où le conseil d’administration dirait : on s’en fiche, on fait ça. » La Cour des comptes relève notamment, avec une patience de scribe, la surévaluation des scénarios de croissances et des ressources fiscales, et la sous-évaluation des dépenses. Il a notamment visé les prévisions de Bruno Le Maire à Bercy en 2023, qui ont provoqué « la gestion erratique, le pilotage à vue, la succession de reports, gels, surgels, coups de rabot » de 2024. La Cour a connu à son sujet « des débats », mais n’a pas conclu à « l’insincérité » de son budget, qui impliquerait « l’intention de tromper », donc des poursuites pénales contre son auteur. Tout en relevant un petit « mieux » dans le budget Bayrou, il menace de ne « pas certifier » les comptes de l’Etat pour 2025 « en l’absence de progrès ». Déplorant le désordre financier de l’Etat, il en a également relevé l’ancienneté : « Pour la 19e année consécutive, les comptes de l’Etat ne sont pas en mesure d’être certifiés sans des réserves très significatives. » De 2012 à 2014, Pierre Moscovici fut ministre des Finances. Il est aujourd’hui d’une grande lucidité rétrospective sur lui-même.