En 1965, Vatican II retirait à tout pouvoir civil le droit de nommer les évêques – et la Chine communiste y aurait droit ?!

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Un fidèle catholique, priant dans sa maison, dans la province de Shanxi.

 
L’histoire est instructive… Voulant reprendre la main sur ce sujet capital de la nomination des évêques, revenant sur des siècles d’accords et de concordats avec les gouvernements, le concile Vatican II a demandé, en 1965, que cette charge relève enfin exclusivement des seules autorités ecclésiastiques. Aujourd’hui, on parle d’un futur accord entre le Saint-Siège et la Chine, qui comporterait ce même droit, de manière directe ou indirecte…
 
Une perspective totalement à rebours du Code Canonique de 1983. Qui plus est, avec un gouvernement communiste.
 
Pure folie ou libéralisme acté ?
 

Le décret Christus Dominus de Vatican II

 
Le concile Vatican II avait décidé de revenir à une séparation plus claire des deux pouvoirs. Le paragraphe 20 du Décret Christus Dominus sur la charge pastorale des évêques dans l’Eglise du concile Vatican II dit expressément :
 
« Puisque la charge apostolique des évêques a été instituée par le Christ Seigneur et qu’elle poursuit une fin spirituelle et surnaturelle, le saint Concile œcuménique déclare que le droit de nommer et d’instituer les évêques est propre à l’autorité ecclésiastique compétente, et qu’il lui est particulier et de soi exclusif. »
 
« Aussi, pour défendre dûment la liberté de l’Église, pour promouvoir le bien des fidèles d’une manière plus appropriée et plus aisée, c’est le vœu du Concile qu’à l’avenir ne soient plus accordés aux autorités civiles aucun droit ni aucun privilège d’élection, de nomination, de présentation ou de désignation en vue de la charge épiscopale. Les autorités civiles, dont le saint Concile reconnaît avec gratitude et estime les dispositions déférentes à l’égard de l’Église, sont très courtoisement priées de bien vouloir renoncer d’elles-mêmes, en accord avec le Siège apostolique, à ces droits et privilèges dont elles jouissent actuellement en vertu d’une convention ou d’une coutume ».
 
« Très courtoisement », car c’était le plus souvent en vertu d’un concordat que subsistait cette prérogative : il fallait donc que l’Etat concerné accède de son plein gré à cette demande de l’autre partie de la convention.
 
En 1983, le Code Canonique (c. 377 § 5) conférait une expression juridique à cet enseignement conciliaire : « A l’avenir, aucun droit ni privilège d’élection, de nomination, de présentation ou de désignation d’évêques ne sera accordé aux autorités civiles ».
 

Nommer les évêques : un privilège historique ancien accordé aux terres chrétiennes

 
Il n’y a pas plus clair. Et cette demande légitime de la part de l’Eglise n’a levé aucune controverse, ni au sein du Vatican, ni au sein des États qui, on va le voir, ont progressivement rendu à Dieu ce qui était à Dieu, pour ceux qui devaient encore le faire, dans la désignation des Successeurs des Apôtres.
 
Pendant longtemps, effectivement, le droit de nommer des évêques aux sièges vacants a été occasionnellement octroyé, concédé aux pouvoirs séculiers, lors de la conclusion d’un concordat avec Rome. Un article paru dans la Revue des Sciences Religieuses en 1986, signé René Metz, donne une synthèse très précise sur le sujet : « Le Saint-Siège se réservait le droit de conférer au candidat présenté par le pouvoir civil l’institution canonique, qui seule autorisait l’intéressé à exercer la fonction épiscopate dans le diocèse pour lequel il avait été désigné : le chef de l’Etat donnait au candidat ce qu’on appelle, en langage canonique, le jus ad rem et le pape lui conférait le jus in re. Le pape ne pouvait refuser l’institution que si le candidat ne réalisait pas les conditions exigées par le droit canonique pour la fonction épiscopale ; le pape était, comme on disait, un collaborateur forcé. »
 
La France, l’Autriche, l’Espagne et d’autres Etats jouissaient de cette prérogative, surtout en Amérique latine. En 1975, fait remarquer René Metz, cinq chefs d’Etat seulement en bénéficiaient encore : les présidents de la République d’Haïti et de la République du Pérou, le Chef de l’Etat espagnol, le Prince de Monaco et, enfin, le Président de la République française, dont le droit ne concernait que deux évêchés : Strasbourg et Metz…
 

Tous les Etats concernés y ont renoncé – hormis la France

 
A cause du vœu des Pères conciliaires à Vatican II, quatre de ces cinq chefs d’Etat ont renoncé, l’un après l’autre, à leur prérogative, entre 1976 et 1981.
 
En tout état de cause, la France demeure jusqu’à maintenant le dernier pays où se pratique encore la nomination d’évêques de la part du pouvoir civil. A tort ? Cette exception reste… une exception. Elle ne concerne que deux diocèses et surtout, le concordat de 1801 est fait de telle manière, comme le montre René Metz, qu’une remise en cause d’un article mettrait à plat son fragile équilibre, bouleversant d’autres cultes : pas d’intérêt donc pour aucune des deux parties qui s’arrangent toujours pour trouver un consensus.
 
Cette exception devrait confirmer la règle. Mais les efforts du pape François pour obtenir en Chine un accord avec le gouvernement sur la nomination des évêques semblent vouloir s’arranger avec la dite règle, voire la transgresser : il est proprement question du droit de nommer des candidats (ce que le pouvoir communiste s’arroge déjà dans l’Eglise « officielle ») et même de veto.
 

Mais oui pour Chine communiste ?

 
D’un point de vue formel, cela paraîtrait complètement contradictoire que l’Eglise revienne en arrière, rende caduque un mouvement plein de sagesse, justifié par l’histoire et décidé par ses propres instances canoniques. Si le concile Vatican II (qui ne fut pas un modèle de conservatisme) a jugé essentiel de reprendre la main sur cette charge de nomination, c’est qu’il y avait une bonne raison : les temps indiscutablement troublés n’étaient plus propices à laisser aux gouvernements cette marge de manœuvre, gouvernements qui ne sont plus vraiment ou plus du tout catholiques.
 
Pire, cela paraîtrait même suicidaire quand on avise de quel pays il est question… Ce n’est plus un diocèse, ce n’est plus une île dans l’Atlantique. Nous parlons de la Chine, une nation qui comporte plus d’un milliard d’âmes ! Et surtout, une nation qui est dirigée par un pouvoir éminemment, ouvertement communiste, ce communisme, il faut le rappeler, qui n’a jamais été condamné par Vatican II , alors que 435 Pères conciliaires le demandaient…
 
Comme le rappelle le canoniste Edward Peters sur son blog, « In the Light of the Law », « l’histoire nous enseigne que plus le rôle joué par le pouvoir séculier dans les nominations ecclésiastiques est grand, plus grandes sont les chances d’abus ». Et dans ce contexte chinois, il paraît clair que les abus du passé pourraient être très fortement dépassés…
 
Impossible que le Siège de Pierre n’en soit pas conscient. Et qu’il ne soit pas conscient de la violation manifeste du Code de Droit canon.
 
Quand on pense que pour justifier cette prérogative de nomination épiscopale, le Saint-Siège exigeait du Pérou il y a un siècle, que le chef du gouvernement soit catholique… Aujourd’hui, il l’offrirait sur un plateau à un gouvernement anti-chrétien, à une terre « rouge », après l’avoir retiré par décret à toutes les anciennes nations historiquement chrétiennes.
 
Il y a comme un hiatus.
 

Clémentine Jallais