Le Billet : Le Parlement européen pour le niqab à Bichkek

Parlement européen niqab Bichkek
 

Le Parlement européen s’occupe de tout, le Parlement a des lumières de tout, le Parlement défend la morale démocratique partout. En particulier, il sait où se trouve Bichkek, capitale du Kirghizistan. Ce n’est pas évident : vous pouvez jouer avec les enfants, les jours de pluie, à trouver les capitales de ces états d’Asie centrale situés entre Iran et Chine, Afghanistan, Pakistan, Kazakhstan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Turkménistan, ultra majoritairement musulmans, turcophones, et naguère, sauf les deux premiers, soviétiques. Comme il s’intéresse à la géopolitique et au commerce, le Parlement européen vient de voter un accord de partenariat avec Bichkek. Mais comme il est le gardien de l’esprit de la démocratie arc-en-ciel il y fait longuement la morale au gouvernement Kirghiz, dans un interminable mémorandum qui vaut le détour : le point numéro 30 condamne l’interdiction du niqab en public par Bichkek.

 

Le Parlement européen plus fort qu’Alexandre

On ne sait pas très bien si Alexandre, en route vers l’Indus et en guerre avec les Scythes, parcourut le Kirghizistan, mais la grande rivière du bas pays kirghize, la Kara Daria, se jette dans le Syr Daria, en français l’Iaxarte, que connut bien le conquérant. Moins petits bras qu’Alexandre, les 720 députés du Parlement européen ont décidé d’arracher le Kirghizistan aux influences autoritaires de la Russie et de la Chine. D’où leur « résolution non législative » qui entend fournir « un cadre moderne et ambitieux pour renforcer le dialogue et la coopération dans des domaines clés tels que le commerce, l’investissement, le développement durable, l’éducation, la recherche ou encore l’Etat de droit et les droits de l’homme ». Concernant les deux derniers points, il a dressé une longue liste de considérants, recommandations, et prières instantes, afin de défendre toutes sortes d’individus et d’associations contre les pratiques condamnables des autorités kirghizes. Dont le fameux point 30 qui s’inquiète, entre autres, « de l’entrée en vigueur d’une nouvelle législation restreignant la liberté de religion ou de conviction au Kirghizistan, car elle renforce la surveillance et le contrôle exercés par l’Etat sur les groupes religieux en créant un registre national des communautés religieuses et des lieux de culte, instaure des amendes pour le port de certains vêtements religieux, tels que le niqab ».

 

Le parlement de Bichkek s’inquiète du terrorisme

Il n’est pas sûr cependant que le gouvernement de Bichkek les entende. Car il est préoccupé de manière plus terre à terre par le couloir de l’islamisme radical qui court du Sin Kiang jusqu’à l’Iran et au Caucase au nord, et jusqu’à l’Arabie saoudite au sud depuis que l’Occident mal inspiré a fait sauter les verrous baasistes en Irak et Syrie. Il n’ignore pas que, par exemple, le Tabligh salafiste est né au Pakistan, que l’Afghanistan a servi de base et de refuge à Ben Laden et se trouve aujourd’hui toujours gouverné par les Talibans, ni que d’autres pays, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Turkestan, le Tadjikistan, ont servi et servent toujours de nid à plusieurs mouvements terroristes islamistes, même si l’action de ces réseaux s’y exerce peu : de même que l’Australie exporte ses moutons, la Syldavie de Tintin ses violonistes, l’Asie centrale est une grande fournisseuse de terroristes islamistes. Et c’est pour limiter cela, pour tarir le vivier, que les gouvernements de ces pays limitent autant que faire se peut l’islamisme.

 

Dilemme européen : droit au niqab ou droit au bon sens ?

Le Parlement européen aurait pu prendre connaissance de ces motifs avant de porter sa condamnation. Il aurait pu également enquêter sur la loi qu’il condamne et sur les débats qu’elle a suscités au Žogorku Keneš, le parlement local. Depuis le 1er février, il est interdit à Bichkek et dans le pays de porter tout type de niqab, ces vêtements qui couvrent tout le corps et le visage. En particulier le parandža, qu’on appelle burka en arabe. Mais le khidžab, le foulard qui ne couvre pas le visage, demeure autorisé. Pour le président du Parlement, Nurlanbek Šakiev, « nos mères et nos sœurs ont toujours porté le voile sur la tête et autour du cou, cela fait partie de notre tradition et de notre religion ». Les députés kirghizes justifient l’interdiction du niqab par la sécurité : tout individu doit pouvoir être identifié par son visage. Les opposants affirment qu’elle porte atteinte aux droits des femmes, qui devraient être libres de choisir leur tenue vestimentaire.

 

Le niqab pour les nuls : parandža, khidžab, foulards et burkas

Invités par le gouvernement à s’exprimer, les responsables musulmans ont rendu cet avis : « Les femmes ne sont pas obligées de porter le niqab selon les canons de la religion islamique, qui permettent de laisser les mains, la plante des pieds et le visage découverts de la racine des cheveux jusqu’au cou. » C’est précis. Mais les maximalistes de l’Etat de droit, dont s’inspire le Parlement européen, estiment que l’interdiction du niqab mène à la marginalisation des femmes qui préfèrent la parandža et ne pourront donc plus marcher dans les rues. Interrogée par le journal Azattyk, une mère de famille de 38 ans, du village de Kara-Suu, dans le sud du pays, a révélé qu’elle porte le niqab à la demande de son mari, émigré en Russie pour travailler : « Je ne sais pas comment il réagira quand il rentrera. Depuis l’interdiction, j’essaie de quitter la maison le moins possible, en me couvrant le visage avec un masque sanitaire. » Pas bête, mais contraire à l’esprit de la loi, si on la comprend bien. Quant au Parlement européen, il continue son bonhomme de chemin, malgré la dette, la guerre en Ukraine et l’immigration. On renonce à imaginer son prochain rapport.

 

Pauline Mille