Le mot qui tue
Le programme social de Fillon « anxiogène » : la guimauve, arme politique de destruction massive

Programme Social Anxiogène Fillon
 
Un sondage récent le révèle, le programme social de François Fillon est jugé inquiétant, « anxiogène » pour reprendre le mot de Frédéric Dabi, directeur général de l’IFOP. C’est un élément de langage socialiste destiné à faire peur de toute réforme claire. Une arme de destruction massive de l’ennemi politique qui l’oblige à choisir la guimauve pour pensée unique.
 
Anxiogène est un mot qui vient de loin : les think tanks et les publications de gauche, souvent proches du parti socialiste, mais pas seulement eux, l’utilisent dans le débat politique depuis plusieurs années pour discréditer un homme ou une tendance, une arme de  destruction massive et définitive. C’est un mot prisé par les « communicants ». Ainsi David Réguer, communicant, se demandait-il lors de la primaire de la gauche en septembre 2009 : « Le clip de campagne de François Hollande : anxiogène ou réussi ? », mais c’était pour conclure aussitôt que ledit clip était moderne et efficace. L’Humanité du 16 septembre 2016 en revanche n’hésitait pas à reprocher à Sarkozy de « travailler son côté anxiogène ». 
 

En politique, l’anxiogène doit faire place à la guimauve

 
Celui qui utilise le mot anxiogène suggère que celui ou ce qu’il désigne est fruste et mauvais, quand lui même est bon et réfléchi. Le terme est souvent appliqué à l’immigration et à l’islam pour déplorer ceux qui entretiennent un « climat anxiogène ». Par exemple un curé comme il faut a pu inviter l’église, après l’assassinat du père Hamel en pleine messe en août dernier à « éviter d’entretenir un discours trop insistant sur la vigilance qui crée un climat anxiogène et de suspicion ». De même, après les quelques décisions prises pour la sécurité à l’école après les attentats terroristes et les agressions récentes, un proviseur a écrit dans le Huffington Post : « pour autant les mesures mises en place ne doivent pas être anxiogènes et créer un climat délétère et inhibant toute forme de débat et de démocratie ».
 

Tout programme social tant soit peu libéral est dénoncé comme anxiogène

 
Le mot s’applique aussi en matière économique, pour diaboliser tout programme social dénoncé comme « libéral ». Sous le titre, « une société anxiogène », le café politique du 30 septembre 2008 déplorait que « niveau de sécurité collective » de la France s’effritât sous « les coups de buttoir (sic) de l’économie néolibérale, créant un état général d’insécurité sociale ». En 2011, le président de l’Assemblée nationale, l’humaniste influent Bernard Accoyer, demandait déjà à la majorité UMP d’alors de cesser les annonces « anxiogènes » sur un report de l’âge de départ à la retraite si elle voulait remporter l’élection présidentielle : les deux principaux visés étaient alors Bruno Le Maire et François Fillon, déjà. Cinq ans après, Bruno Cautrès, spécialiste de l’analyse politique comparative au CEVIPOF, centre de recherches politiques de Sciences Po, examinant les propositions des candidats à la primaire de droite, affirmait au Quotidien du Médecin : « Les programmes de santé manquent d’audace et sont anxiogènes ».
 

Fillon tenu pour anxiogène dans son propre camp

 
Aujourd’hui, selon le sondage IFOP  cité plus haut, 62 % des Français, et 50 % des sympathisants de François Fillon s’inquiètent de son programme social. Selon Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’IFOP, « si la compétence et la dimension (sic) de François Fillon ne font pas de doute à droite, ses propositions semblent anxiogènes, y compris dans son camp. Il doit vite trouver les moyens de rassurer. »
 
Qu’on se rassure, il a vite trouvé ce moyen en abandonnant son programme de réforme de la sécurité sociale en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. L’homme qui a fidèlement servi ses supérieurs pendant trente ans n’est pas un foudre de guerre. Et Henri Guaino s’excite tout seul en fulminant : « C’est un projet anxiogène (…) C’est une purge, une politique de restriction budgétaire à tout va, de rationnement aveugle », bref, une arme de destruction massive de la société française. La question est de savoir pourquoi le tiède Fillon, l’amateur de camomille et de guimauve, se trouve dénoncé aujourd’hui comme « anxiogène ».
 

Quand Mister Guimauve joue au bad boy

 
C’est le Parisien du deux octobre qui l’a expliqué le premier : pour se relancer dans la primaire où les sondages lui prédisaient une cruelle défaite, Fillon a repris la stratégie de Sarkozy en 2007, il a dû, lui le bon élève, se donner des airs de transgression pour récupérer l’électorat de droite. D’où par exemple son livre sur les débordements de l’islam qui, à l’époque faisait ricaner ses adversaires des Républicains (« Il a toujours considéré que ces questions ne relevaient pas de l’essentiel. Il était contre la loi sur la burqa, il n’a pas voulu participer au débat sur la laïcité et l’islam à l’UMP en 2011 ».). Le Parisien, quant à lui, voyait dans sa démarche un opportunisme désireux d’exploiter une « actualité anxiogène » afin de changer d’image. L’opération, apparemment, a réussi.
 

Une arme de destruction massive contre le populisme

 
La difficulté pour François Fillon sera de continuer à paraître suffisamment transgressif pour concurrencer Marine Le Pen sans affoler les centristes susceptibles de se reporter sur un Macron ou un Valls. Car comme le disait Jean-Paul Delevoye dans un livre où il décrivait la France comme « la société la plus anxiogène d’Europe », l’angoisse sociale peut « amener une montée du vote extrême » (Il prédisait une « poussée du Front national » dès 2012). Cela ferait alors de François Fillon un fourrier de « l’extrême droite », ce qui le disqualifierait à jamais. 
 
Le politique moderne doit se défier en même temps du populisme et de tout ce qui est « anxiogène » et pousse donc censément les populations dans les bras dudit populisme. Aussi la politique est-elle devenue nécessairement douceâtre, à mesure qu’elle est en fait plus tyrannique : pas d’aspérité, pas d’apparence d’agressivité. La main de fer du totalitarisme a désormais un gant de guimauve. C’est pourquoi Alain Juppé parlait « d’identité heureuse ». Pourquoi sa groupie Valérie Pécresse propose de remplacer le concept « anxiogène » d’état d’urgence par celui « d’état de haute sécurité », qui, selon elle, « rassure ». Et pourquoi la publication branchée Slate se félicitait le 2 mai dernier que « les nouveaux écolos » aient « tué l’écologie anxiogène ». En ajoutant : « Fini l’écologie catastrophisme, normative et illisible dans le débat politique ». Même la fin du monde doit éviter d’être anxiogène.
 

Pauline Mille