Le Progrès : un mythe en question

Progrès mythe question
Abbé CHAUTARD (direction) Le Progrès : un mythe en question, revue Vue de haut N°23, 2018, 8 euros

 

Le Progrès : un mythe en question, tel est le titre et le sujet de l’intéressant colloque de l’institut Universitaire Saint Pie X du 21 novembre 2015. Les actes de ce congrès viennent enfin d’être publiés et sont rassemblés dans le numéro 23 de la revue Vue de haut.
 
Le Progrès serait, fondamentalement, un mobilisme orienté vers un avenir meilleur. Etre dans la logique du Progrès, soit un partisan du progressisme, serait vouloir des mutations permanentes de la société, de la politique, de la Religion – d’absolument tout. Les totalitarismes du XXème siècle ont même prétendu inventer des « hommes nouveaux ». Aujourd’hui, les nouveaux eugénistes californiens de la Singularité développent des rêves dangereux et assez semblables, là encore au nom du Progrès. Le Progrès conduirait à un avenir nécessairement meilleur en tous les domaines, ce qui est une affirmation et une croyance totalement gratuites dans le meilleur des cas et dans les faits plutôt fausses sur la grande majorité des sujets.
 

LE « PROGRES » EN QUESTION

 
L’introduction de M. l’abbé CHAUTARD rappelle à quel point est central dans le discours courant ou politique ce terme de « Progrès », entendu comme un bien supérieur pour une société qui sert à faire passer à peu près tout, comme à l’époque du colloque les lois permettant le « mariage » homosexuel, dit « mariage pour tous ». Nous reprendrons le terme de « Progrès » le plus souvent sans les guillemets qu’il pourrait requérir ou le qualificatif mérité de prétendu Progrès, afin de ne pas alourdir notre propos.
 
Dans un premier temps de réflexion, surtout historique, M. PICHOT-BRAVARD rappelle les origines de cette pensée dans sa communication intitulée « Progrès, Lumières, Révolutions ». Puis M. VERGER poursuit sur « L’idéologie du Progrès », enfin M. BURON conclut cette perspective sur les « Conséquences politiques de l’idéologie du Progrès : les avatars de l’homme nouveau dans les systèmes politiques du XXème siècle ».
 
Dans un deuxième temps de réflexion, plus philosophique, théologique, et à l’occasion littéraire, ce Progrès est abordé par le professeur KARAS sur « Teilhard de Chardin, prêtre du progressisme », article qui est poursuivi par le révérend-père Jean-Dominique sur le « Progressisme théologique, une nouvelle religion ? ». Enfin, M. GOLONKA, spécialiste du grand écrivain anglais Chesterton, développe une passionnante réflexion littéraire sur « Chesterton face au progressisme » ; Chesterton a compris le progressisme, et l’a fort bien décrit dans ses romans.
 
Toutes les contributions sont intéressantes et de qualité, et suivent une progression d’ensemble logique. Nous ne proposerons pas ici une présentation détaillée ou même un résumé de chacune d’entre elles, aux titres explicites. Nous ne retiendrons ici de ce riche colloque que quelques idées essentielles.
 

QUEL PROGRES DANS LES SOCIETES HUMAINES ?

 
Il est souvent considéré comme évident, dans les médias, les partis politiques, les associations, les références morales autoproclamées, et donc très largement l’homme de la rue, que nos sociétés européennes et beaucoup d’autres dans le monde seraient sur la voie du « Progrès ». Ce « Progrès » n’est du reste, et à dessein, jamais convenablement défini. Toutes les confusions sont permises et désirées, avec des passages intellectuellement audacieux dans des sphères différentes : ainsi, s’il faut bien constater un Progrès scientifique et technique depuis le milieu du XVIIème siècle en Europe, il n’est pas évident du tout qu’il y aurait eu un quelconque Progrès moral. Ce serait plutôt l’inverse, les mœurs de notre époque sont à l’évidence déréglées, dans les pratiques sociales jusque dans les lois, à un point inenvisageable en 1960 ou a fortiori en 1660. Quant au bonheur des individus, rattaché arbitrairement à ce soi-disant Progrès, il faut bien là encore plutôt supposer que les gens ne sont pas plus heureux aujourd’hui qu’aux époques passées.
 
Depuis deux siècles au moins, cette notion vague et mutante de Progrès figure, et ce n’est pas un hasard, au cœur du programme de la franc-maçonnerie. Cette société secrète œuvre efficacement, depuis trois siècles et pour le pire, aux transformations des sociétés. Elle forme le socle idéologique permanent et sous-jacent dans l’Histoire de tous ces aspects mutants du Progrès. S’il n’est pas oublié, ce rôle essentiel de la franc-maçonnerie aurait peut-être pu être davantage signalé et précisé lors de ce colloque.
 
Enfin que dire du Progrès supposé de la spiritualité ? En ce domaine le Progrès, selon le discours dominant depuis les prétendues Lumières du XVIIIème siècle européen, aboutit à toujours plus d’incroyance, glissant insensiblement du Christianisme au déisme, puis du déisme à l’athéisme. L’Homme qui se veut sans spiritualité n’est certainement pas plus élevé spirituellement que ses prédécesseurs des siècles passés. On le constate bien avec notre société d’égocentristes qui ne peut plus vraiment fonctionner de ce fait. Cet athéisme général procure aussi une grande inquiétude sur le Salut éternel de toutes ses âmes qui nient massivement Dieu. Cette incroyance générale a abouti à une indifférence de fait pour les souffrances d’autrui – malgré toutes les grandes proclamations générales et contraires de solidarité – et à toutes les monstruosités des sociétés qui se veulent les plus fidèles au Progrès avec, pour la France, le Génocide vendéen de 1793-1794 ou l’avortement de masse, plus d’actualité que jamais, depuis 1974-1975. En URSS, en Chine, au Cambodge, et dans trop d’autres pays communistes, des assassinats de masse ont été accomplis au nom de ce même Progrès.
 

LE « PROGRES » THEOLOGIQUE ET LE MODERNISME

 
Cette idée de Progrès spirituel, fausse, du moins pour ces derniers siècles car il y eut un Progrès spirituel authentique à la fin de l’Antiquité avec la conversion au christianisme de l’Empire romain dont la Gaule, a contaminé le champ religieux chrétien. Ce faux Progrès tant vanté a été une nette régression et elle continue plus que jamais, y compris au sein du Christianisme.
 
Le colloque se concentre sur les effets au sein du Catholicisme des théologies du Progrès. Il y aurait beaucoup à dire aussi sur les dénominations protestantes, qui ont été à la pointe de cette évolution. Certaines pratiquent le « mariage » homosexuel dans les temples, comme en Suède. L’Eglise catholique, suivant les promesses divines de Notre Seigneur Jésus-Christ, ne peut pas tomber si bas.
 
Toutefois au sein même du Catholicisme, des novations théologiques majeures des plus douteuses sont désormais courantes, au nom du Progrès. Le colloque a mis en valeur le rôle absolument essentiel et représentatif du père Teilhard de Chardin (1881-1955). Ses textes sont pour le moins étranges. Or, ils doivent être pris au sérieux pourtant. Géologue compétent, préhistorien reconnu – mais cette matière repose sur tant d’hypothèses et si peu de vraies certitudes – le père Teilhard s’est pris finalement pour un génie universel et a voulu réécrire toute la théologie ; il eut bien tort. Ainsi, transposant un évolutionnisme naïf issu de la biologie théorique et pas forcément bien comprise déjà, le père Teilhard de Chardin propose une vision évolutive de la Matière et de l’Esprit, de l’Homme et de Dieu…Tout irait dans le sens du Progrès, évolution permanente dans un univers éternel et infini. Ceci confine pour le moins à l’hérésie panthéiste et nie en pratique la Création !
 
Ainsi le Christ serait un Homme évolué sur la voie du Divin. Il est même qualifié de « Christ cosmique », terme qui sent immédiatement, et à juste titre, la secte douteuse. Ses partisans catholiques ont voulu y voir une simple reformulation poétique du dogme de l’Incarnation. Or ce n’est pas le cas. Surtout, loin d’être le seul point douteux, cet exemple essentiel témoigne et de l’esprit du père Teilhard. Il eut d’ailleurs en son temps des ennuis plus que justifiés avec le Saint-Office, ancêtre de la congrégation pour la Doctrine et la Foi, des années 1920 à sa mort. Le Saint-Office a synthétisé post mortem ses mises en garde dans le Monitum de 1962.
 
Aucun dogme dont la profession est requise pour le fidèle catholique n’est certes frontalement nié par Teilhard de Chardin. Mais au nom d’une supposée loi universelle d’évolution, il leur est donné un sens nouveau. Cette théorie de l’évolution des dogmes, qui n’est pas si neuve, a déjà été condamnée par l’Eglise à de nombreuses reprises. Mais rien n’y fait. Les condamnations n’auraient été qu’un stade d’évolution de l’Eglise qui serait aujourd’hui dépassé. Rien ne serait certain, ferme ; aucune vérité intemporelle et définitive ; tout serait mouvement. Et cette évolution générale de la Religion irait, sous inspiration divine, dans le sens du Progrès. Ce Dieu n’est même plus l’être personnel du catéchisme, distinct de sa création, mais l’Esprit d’un monde éternel et en progression…Tout ceci est aussi confus que peu orthodoxe. Et au nom de cette évolution des dogmes, de la foi, et évidemment de la morale, toutes les croyances ou les vertus chrétiennes finiraient par sombrer assez vite.
 
Or il faut bien le constater, nous en sommes là au sein de l’Eglise, dans sa dimension humaine. Jusqu’aux plus hauts niveaux des hiérarchies humaines de l’Eglise, on entend souvent des propos vraiment déroutants de type teilhardien, plus ou moins purs, mais clairement reconnaissables.
 
Ce teilhardisme correspond assez exactement, en en reprenant tous les aspects ou presque, au modernisme condamné par le saint pape Pie X dans l’encyclique Pascendi (1907). Le modernisme est une hérésie, et même « l’égout collecteur de toutes les hérésies ». La chose est grave car un Catholique, en professant des hérésies, ne possède plus par définition la foi catholique, la seule vraie.
 

UN RAPPEL SALUTAIRE CONTRE LE MYTHE DU PROGRES

 
Ce colloque de l’Institut Universitaire Saint-Pie X, Le Progrès : un mythe en question, a rappelé très utilement, car ce rappel est devenu trop rare, le danger du mythe du Progrès. Un mythe est un récit fondateur qui n’a guère d’existence dans la réalité ; et ce mythe est clairement mauvaiset dangereux. Notre société périt largement de ce mythe et de ses conséquences. Les catholiques authentiques n’ont nullement à être effrayés de l’étiquette voulue infamante d’adversaires du Progrès…Il faudrait plutôt y voir une marque d’honneur, l’attestation d’une fermeté dans la Foi et les vérités éternelles.
 

Octave THIBAULT

 
(La revue peut se commander sur www.iuspx.fr, ou à L’institut Universitaire Saint-Pie X, 21 Rue du Cherche-Midi, 75006 PARIS, téléphone : 0142440026)