« Racines migratoires » : le Vatican confond spirituel et temporel

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Le cardinal canadien Michael Czerny, préfet du Dicastère pour le Service du Développement humain intégral, chargé de la justice sociale et des migrations, à quelques jours des élections européennes, a appelé les Européens à se souvenir « de leurs racines migratoires ». En ajoutant : « C’est dommage qu’au bout d’une ou deux générations, une famille les oublie. » Il est lui-même d’origine tchèque et excipe de sa propre qualité de descendants d’immigrés pour s’immiscer dans un débat où l’on voit mal la place de l’Eglise qu’il représente. Car si le Vatican peut à bon droit envisager les questions migratoires sous l’angle religieux et humanitaire, il n’a nulle autorité en matière électorale. Il s’invite dans un combat temporel qui n’est pas de son ressort alors même que ni lui, ni aucun autre au Vatican ou dans les conférences épiscopales n’ont eu l’élémentaire prudence de s’occuper du spirituel et de rappeler aux Européens leurs racines chrétiennes.

 

Le Vatican et les évêques contre une Europe des racines

Il n’est d’ailleurs pas le seul. Le pape François, intervenant dans la question, a eu pour seul souci d’aider et d’accueillir « ceux qui ont dû quitter leur terre à la recherche de conditions de vie décentes ». La COMECE, pour sa part, appelait dès le 13 mars, dans un texte entortillé dont le sens était cependant aisément perceptible, les catholiques à s’engager « dans le projet européen », citant avec faveur Jacques Delors. Il y a eu aussi une lettre pastorale dite de « l’Euregio » émanant des diocèses de Liège, Namur, Luxembourg, Trèves, Metz, Toul, Verdun et Troyes, déplorant des « réflexes populistes et nationalistes », le « populisme qui critique le projet européen », et appelant à accueillir les migrants qui « sont prêts à braver la mort » et « contribuent aussi à aider et dynamiser l’Europe ». La CEF a déclaré quant à elle par la voix de son président : « Nous n’avons pas le droit de construire notre Europe comme un ensemble d’Etats repliés sur leur identité, soucieux de leurs seuls intérêts (car) nous, Européens, plus que les autres peuples de la Terre, avons une dette à l’égard du monde entier. » Bref, sous la houlette du pape, la hiérarchie de l’Eglise qui est en Europe est entrée dans la campagne électorale contre les partis dits populistes et nationalistes que la presse note volontiers « d’extrême droite ».

 

La casuistique migratoire d’un cardinal obsédé par ses racines

Michael Czerny, qui parle en tant que préfet du Dicastère chargé des migrations et a donc en la matière une autorité particulière, explique ainsi cette position : « Souvent, la propagande ou l’idéologie laissent à penser que le migrant fuit pour le plaisir ou l’aventure : c’est faux, faux, faux. Il est regrettable qu’on doive continuer d’insister là-dessus. Il est très important de comprendre ce que signifie être poussé par la réalité, par l’histoire, pour fuir. » Et d’ajouter tranquillement : « Il est facile de dire, la migration est une crise mondiale. C’est faux et stupide mais cela fait peur. » Mgr Czerny est jésuite, et par conséquent fort habile. Pourquoi, tout-à-coup, cet étrange singulier utilisé pour migration ? Le phénomène migratoire est en effet pluriel et complexe. Et, s’il existe sur tous les continents de la planète, il n’y prend pas les mêmes formes. Beaucoup de migrations sont internes. En Chine par exemple. Certaines migrations entre pays, en Afrique sub-saharienne par exemple, se règlent vite, en silence et manu militari, quand le pays d’accueil renvoie chez eux en masse les accueillis. Enfin, seuls certains continents sont la cible de migrations transcontinentales. C’est d’abord le cas de l’Europe, et dans une moindre mesure de l’Amérique du Nord. L’Arabie saoudite, pourtant proche de l’Afrique, n’est pas envahie. La Chine, qui est beaucoup moins densément peuplée que les Pays-Bas, n’accueille quasiment aucun migrant, au contraire de ces derniers.

 

Les renards du Vatican oublient l’enseignement des papes

Les considérations du renard Czerny ne sont donc pas fausses, elles sont seulement déplacées et visent à tromper l’esprit de celui qui les reçoit. Et surtout, elles se placent à un point de vue qui n’est pas celui de l’Eglise, elles confondent spirituel et temporel. Le Vatican s’en est traditionnellement gardé. Benoît XV, lorsqu’il institua en 1915 la journée des migrations, avait en tête d’organiser les œuvres pastorales permettant d’aider et accompagner les migrants chrétiens arrivant dans un environnement hostile ou dangereux, comme ce fut le cas pour les Italiens arrivant aux Etats-Unis. C’était aussi la préoccupation de Léon XIII dans l’encyclique Quam Aerumnosa adressée aux évêques américains en 1888. Quant à Pie XII, dans son exhortation apostolique Exsul familia nazarathena, il avait en tête en 1952 les grandes migrations qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale et le bien-être spirituel des millions de déplacés. Et tenait compte, avec la plus grande prudence et le plus attentif scrupules, des droits des pays d’accueil, et des circonstances précises de la migration envisagée.

 

Le Christ distingue le temporel, César, et le spirituel, Dieu

Il faut se rappeler en effet que le déplacement des migrants, le déracinement et souvent leur exploitation, sont des maux, et que la rémigration est considérée par l’Ecriture comme un bien, cela depuis l’Exode. Quant à parler de « racines migratoires », c’est profaner la foi, transposer au sens profane, temporel, une notion spirituelle : certainement, un chrétien est « en pèlerinage sur la terre », c’est-à-dire qu’il doit se détacher des liens de la chair pour s’adonner aux affaires de son Père. Mais cela ne veut pas dire qu’il doive ouvrir les frontières politiques, faire immigrer le monde entier en Judée, ou se penser lui-même, quant aux affaires du monde, en fils d’immigrés à la seconde, dixième ou cinquantième génération. Il rend à Dieu ce qui est à Dieu, en tâchant d’agir comme son Fils, et à César ce qui est à César, en étant honnête citoyen de son pays. Dire le contraire n’est pas seulement une erreur politique, c’est une confusion du temporel et du spirituel, donc une imposture religieuse.

 

Pauline Mille