Mgr Staglianò : Il y a une incompatibilité « absolue » entre la religion catholique et la franc-maçonnerie

Staglianò incompatibilité catholique franc-maçonnerie
 

A la suite du récent colloque au Grand Orient d’Italie où se sont rendus le cardinal Coccopalmerio et Mgr Antonio Staglianò, président de l’Académie pontificale de théologie, ce dernier a accordé une entretien aux médias du Vatican dont de courts extraits ont été publiés par VaticanNews en français. L’interview a été publiée en version audio sur la page correspondante en italien, avec de courtes citations écrites. Reinformation.tv vous en propose ici la retranscription-traduction quasi intégrale. On notera que Mgr Staglianò insiste fortement et de diverses manières sur l’incompatibilité « absolue », « l’inconciabilité » entre la religion catholique et la franc-maçonnerie.

Et ce même s’il acquiesce à l’idée que la franc-maçonnerie n’est plus en tant que telle « hostile à l’Eglise catholique » – idée hautement contestable, née sans doute de l’« ouverture au monde » de l’Eglise qui est évoquée par Mgr Staglianò dans ses références à « l’Eglise dialogue » de Paul VI. Mais si l’Eglise semble plus ouverte, la franc-maçonnerie n’adopte pas moins des positions contraires à ce qu’elle enseigne dans de multiples domaines.

 

L’incompatibilité entre la religion catholique et la franc-maçonnerie rappelée par Mgr Staglianò

L’intérêt des propos de Mgr Staglianò est de montrer tout de même la véritable contradiction qui existe entre les deux : il insiste sur le « naturalisme rationaliste » et sur le « relativisme » de la doctrine maçonnique qui ne peut s’accommoder d’une Eglise qui adhère à l’absolue vérité du Christ. C’est dans cette optique que ses propos méritent d’être connus, malgré les remarques qu’on pourrait faire à leur sujet.

Contrairement à ce qu’il annonçait dans l’entretien publié lundi sur le site de VaticanNews, la conférence de Mgr Staglianò au Grand Orient d’Italie ne semble pas avoir été publiée sur YouTube à l’heure d’écrire ces lignes. – J.S.

 

*

Mgr A. Staglianò : Le titre de ma conférence était celui-ci : « Les raisons de l’inconciliabilité du catholicisme et de la franc-maçonnerie. » J’étais donc là pour expliquer, de manière critique bien sûr, par une argumentation théologique, par une sorte de théologie sapientielle, les raisons exprimées de manière critique de cette inconciliabilité constante, continue, affirmée par le Magistère de l’Eglise depuis toujours, pourrait-on dire, jusqu’au Pape François y compris.

 

Federico Piana, VaticanNews : Mais aussi les raisons de cette inconciliabilité. Il faut les répéter, Mgr Staglianò. Parce qu’en définitive, cette rencontre a créé, pour ainsi dire, un petit doute, mais en réalité il n’y a pas de doute du tout, parce que même le Pape, comme nous le rappelions récemment, précisément avec une note sur la doctrine de la foi, a réitéré cette irréconciliabilité. Et le Pape a même dit : celui qui adhère à la franc-maçonnerie, en somme, est séparé de l’Eglise, ou plutôt, il se sépare de l’Eglise.

Mgr A.S. : Nous nous référons à la note dans laquelle le nouveau préfet de la Doctrine de la foi, le cardinal Fernandez, a déclaré réitérer la position de l’Eglise qui avait déjà été prise par le cardinal préfet Joseph Ratzinger en 1983, à savoir que les fidèles inscrits dans les loges sont en état de péché grave et ne peuvent pas recevoir la communion, comme cela a été dit en 1983. Ce qui s’était produit en 1983, c’est que le nouveau code de droit canonique ne prévoyait plus l’excommunication des maçons par le canon spécifique. Alors, la veille de l’entrée en vigueur de ce nouveau code de droit canonique, le cardinal Ratzinger a tenu à déclarer : Très bien, la franc-maçonnerie ne figure pas dans le nouveau code comme étant excommuniée parce qu’il a été reconnu que c’est une institution qui n’est plus hostile à l’Eglise catholique. Mais cela ne veut pas dire que sa position change au sujet les catholiques qui veulent adhérer à la franc-maçonnerie, justement à cause de cette inconciliabilité doctrinale, qui entraîne évidemment une incompatibilité dans le vécu du croyant. Cela veut dire qu’on ne peut pas être catholique, baptisé et habité par l’Esprit Saint, et puis être initié, forgé comme l’argile : le potier le fait avec l’argile dans le temple maçonnique, parce que la franc-maçonnerie exige au préalable une appartenance que nous pouvons qualifier de vitale. Ainsi, bien qu’elle ne soit pas une religion, elle revendique une appartenance spirituelle, au-delà même de l’appartenance rituelle.

L’incompatibilité doctrinale

Et ceci est absolument contradictoire avec la nature sacramentelle de l’Eglise, à laquelle le catholique appartient, et ce même en ce qui concerne les différentes obédiences – il n’y a pas une seule et unique obédience maçonnique. Le catholique obéit à l’évêque de son propre diocèse et obéit absolument à l’évêque de Rome qui préside la Communio Omnum Ecclesiarum. Par conséquent, cette inconciliabilité affirmée devait être justifiée, en ce sens qu’il fallait proposer des repères, et donc des raisons critiques pour dire : « Mais pourquoi est-ce inconciliable ? »

C’est ainsi que nous avons commencé. J’y suis allé personnellement, et l’enregistrement vidéo de mon intervention sera également sur Youtube dès demain, afin que tout le monde puisse écouter ce que j’ai dit, au-delà des instrumentalisations et des malentendus que les opérateurs de presse ont pu diffuser ces jours-ci. Ce qui m’a personnellement gêné, c’est le caractère fermé de cette conférence sans la presse, qui, à mon avis, a suscité plus de questions qu’elle n’était censée en résoudre. Par contre, dans ma conférence, qui devait durer une demi-heure, et qui a duré quarante-six minutes, j’ai rappelé cette inconciliabilité en soulignant, par exemple, que l’hérésie maçonnique est fondamentalement une hérésie issue de l’hérésie arienne. C’est précisément Arius qui a imaginé que Jésus était un grand architecte, un grand géomètre, le démiurge, en niant la divinité de Jésus.

C’est pourquoi Nicée, dont nous célébrerons bientôt le mille sept centième anniversaire, a affirmé la vérité sur Jésus : Jésus est engendré, non pas créé, il est Dieu né de Dieu, lumière né de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, de la même substance que le Père. Pourquoi ? Parce qu’Arius l’avait réduit à un démiurge, c’est-à-dire à une sorte d’architecte, dans la fonction qu’il avait de créer le monde.

Le démiurge considère les idées de la vérité dans l’horizontalité de la vérité et forge ensuite la matière informe. C’est de là qu’est venue l’idée du grand architecte ou du grand horloger dans la modernité. Pourquoi cela ne peut-il pas être vrai pour Dieu ? Tout d’abord, cette idée d’architecte est le fruit de la raison humaine qui essaie d’imaginer un Dieu, alors que le Dieu des catholiques est le fruit de la révélation même de Dieu dans le Christ Jésus. Il est donc le fruit d’un événement historique au cours duquel Dieu s’est fait chair, s’est approché de l’humanité, a parlé à tous les êtres humains, les destinant à son salut, prononçant ainsi un Evangelion, c’est-à-dire un Evangile dans lequel nous apprenons que Dieu est seulement et toujours amour, et que par conséquent tous ceux qui ont été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, sont des enfants de Dieu, et ont pour destin la vie dans l’amour selon Jésus, en obéissant exactement.

C’est la grande obéissance au commandement de Jésus : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », car la fraternité dont parlent également les francs-maçons est une fraternité qui se substitue au sacrement du corps de l’amour de Dieu en Jésus, par exemple. La fraternité catholique est instituée par l’eucharistie, et pas seulement sur le concept générique d’être frères.

La philanthropie de la franc-maçonnerie n’a rien à voir avec la charité

De la même manière, je voudrais souligner que la charité elle-même, la charité chrétienne, n’a rien à voir avec la philanthropie maçonnique. La philanthropie maçonnique correspond à l’idée d’un grand architecte, d’un être suprême qui est le fruit de la raison humaine, mais la charité chrétienne, qui est tout autre chose, correspond à l’événement historique d’un Dieu mort et ressuscité pour nous et qui demande à ses enfants de ne pas être simplement philanthropes, mais de se laisser éventuellement crucifier par amour, c’est-à-dire de vivre vraiment l’amour, en poussant le don de la vie jusqu’à mourir pour les autres, pour tous les autres, même en aimant ses ennemis : « On disait autrefois œil pour œil, dent pour dent. Mais moi je vous dis d’aimer vos ennemis. » Le catholique qui veut être maçon n’est qu’un philanthrope, oubliant qu’il doit justement servir les plus pauvres, ceux qui souffrent, non par philanthropie, mais par cet amour dans lequel il doit témoigner de la Sainte Face de Dieu.

Car Dieu est certainement celui qui est caché, celui dont on ne peut penser la grandeur, mais en Jésus il a montré son visage de Père, et le Père du Fils qui donne l’Esprit, et alors la contradiction doctrinale, l’inconciabilité doctrinale, devient contradiction du vécu. Sans parler du fait qu’au sein de la franc-maçonnerie se développent des tendances et des intrigues en vue de l’exercice d’un pouvoir occulte, tendant à conditionner aussi la dynamique de la vie sociale et politique.

Et cela est bien loin de ce que le catholique, correspondant à la révélation de Dieu-Jésus-Christ, doit au contraire manifester clairement et exprimer en toute clarté. Voyez vos bonnes œuvres et rendez gloire à votre Père qui est aux cieux, même dans le domaine de la société et de la politique. Pour un catholique, la politique est le service du bien commun et donc un engagement, comme celui, par exemple, de Giorgio La Pira, à mettre aussi du sien pour que l’autre, le pauvre, l’immigré, celui qui vit en marge de la société, puisse se trouver au centre. Je dirais que c’est un tout autre monde. Lorsque nous parlons d’inconciliabilité, nous parlons de contradiction profonde, c’est-à-dire que nous parlons de choses qui sont totalement opposées, qui ne peuvent même pas faire appel à l’opposition polaire de Romano Guardini pour dire qu’elles peuvent aller ensemble. Et le pape l’a répété, un maçon ne peut être catholique.

 

VaticanNews : Mais corrigez-moi si je me trompe : dans la franc-maçonnerie, il y a une tendance à l’ésotérisme et c’est un autre élément qui l’éloigne fortement de l’Eglise catholique, n’est-ce pas ?

Mgr A.S. : Absolument, oui. Il est clair que dans le catholicisme chrétien il faut aussi nécessairement parler de mystère. Ce n’est pas de l’ésotérisme, c’est de l’exotérisme, c’est-à-dire la manifestation du mystère. Le fait que le mystère reste mystère et qu’il soit obscur en Jésus change tout, parce que l’obscurité du mystère en Jésus n’est pas un manque de lumière, mais une surabondance de lumière. Je me réfère ici aux expressions avec lesquelles le grand maître du Grand Orient d’Italie a terminé son discours en exprimant un souhait : il a parlé du rêve qu’un pape et un grand maître puissent marcher ensemble vers la lumière du soleil. Et je dirais que ce sont ses mots exacts : « vers la lumière du grand architecte de l’univers ». (…) Mais quelle est la lumière du grand architecte de l’univers ?

Une lumière très faible en effet, et un univers en expansion. Il fait pratiquement nuit noire. Seuls cinq pour cent de la matière sont visibles, sont éclairés, quinze pour cent sont de la matière noire. Quatre-vingts pour cent sont de l’énergie obscure. J’ai donc souligné que, même si marcher ensemble est toujours un devoir, et nous pouvons le répéter, parce que l’Eglise est dialogue, l’Eglise se fait dialogue, comme le dit Paul VI dans Evangelii Nunziandi, et comme le dit le pape François, sortez, sortez, partez en mission, dialoguez avec tous dans la vérité, dans la vérité du Christ. Mais cette marche ensemble ne peut se faire que dans la lumière qu’est le Christ, le soleil qui surgit d’en haut. Et cette lumière dit précisément que c’est la loi de l’amour, du Logos fait chair qui fait bouger le soleil et les autres étoiles, seul l’amour qui fait trembler ce ciel, comme dirait Dante Alighieri, ou comme le dit Karol Wojtyla dans un beau vers : L’amour m’a tout expliqué, l’amour a été tout pour moi, et j’admire cet amour partout, et je sais où le trouver. En ironisant, je disais qu’il n’y a que dans le métavers de Zuckerberg que le Grand Maître peut faire un tour avec un avatar du Pontife, mais pas dans la lumière du grand architecte, qui est en effet très faible. Qu’il fasse un tour avec Stephen Hawking, du Big Bang aux trous noirs. Là, le Grand Maître constaterait que la raison scientifique, qui est la même que celle qui s’invente un grand architecte, montrerait qu’il n’y a pas dans l’univers cosmique de traces de cet être suprême.

Mgr Staglianò souligne le « naturalisme rationaliste » des maçons

Par conséquent, on ne peut parler de l’être suprême comme ayant le visage du père que si l’être suprême se montre réellement, comme cela s’est produit dans l’événement chrétien : le père se montre et se révèle en Jésus-Christ, de sorte que la racine fondamentale de ce que l’on appelle synthétiquement « l’inconciliabilité » est que les maçons ont un concept totalement rationnel de Dieu, comme Léon XIII l’a déjà souligné : ils évoluent dans un naturalisme rationaliste, tandis que les catholiques ne peuvent pas ne pas adhérer à la révélation du Dieu de Jésus-Christ. Ainsi l’irréconciliabilité est également due au fait que le franc-maçon, bien qu’il ait modifié son attitude d’hostilité à l’égard de l’Eglise catholique, ne peut pas, du fond de ses entrailles maçonniques, ne pas contredire et, dans un certain sens, écarter le catholicisme, qui prêche au contraire que l’on ne peut parler de Dieu qu’à l’intérieur de la révélation chrétienne et dans les profondeurs de la révélation chrétienne, et développer, disons l’espérance, donner les raisons de l’espérance qui est en nous. Le franc-maçon ne peut donc que rejeter les dogmes de l’Eglise catholique s’il veut être maçon.

Ainsi, malgré le fait que les grands-maîtres ne cessent de dire : Ah, mais non, nous adorons – pardon, ils ne disent jamais « nous adorons » – nous croyons en l’être suprême et nous tolérons toutes les versions religieuses de cet être suprême, eh bien, c’est une contradiction philosophique, on pourrait dire une contradiction rationnelle : le relativisme s’impose de lui-même.

Et parmi toutes les religions qui pourraient à la limite adhérer à la franc-maçonnerie, le chrétien ne peut pas le faire. Pourquoi ? Parce que le christianisme, par rapport à toutes les autres religions du monde, prétend à l’absolue véracité parce qu’il croit que Dieu, le Fils, s’est fait chair, et donc que l’homme Jésus est en sa personne Dieu lui-même, Dieu de Dieu, lumière de la lumière, vrai Dieu du vrai Dieu, comme l’a affirmé Nicée contre Arius.

J’ai dit que l’hérésie maçonnique est dans la ligne de l’hérésie arienne. Et donc la réponse, même aujourd’hui, à l’hérésie maçonnique doit être ce que Nicée a déclaré au sujet de Notre Seigneur, de notre Seigneur Jésus-Christ.

 

VaticanNews : Je voudrais vous demander de commenter également une décision de la Doctrine de la Foi, car dans cette note que nous avons déjà évoquée, il a été demandé aux évêques philippins de développer une catéchèse populaire dans toutes les paroisses quant aux raisons de l’inconciliabilité. C’est intéressant non, cette explication dans les paroisses ? Et ce ne sont pas seulement les évêques philippins, cela pourrait se faire partout dans le monde, n’est-ce pas, Mgr Staglianò ?

Mgr A.S. : Absolument oui. Il faut donc une catéchèse. Il est clair que cette catéchèse, adressée aux paroissiens, devra être une catéchèse riche en théologie sapientielle, parce qu’il ne s’agit pas seulement de communiquer les vérités de la foi catholique et chrétienne en les mettant ensemble. Il s’agit de donner des raisons critiques et de dire pourquoi ces vérités chrétiennes sont incompatibles avec l’adhésion à la franc-maçonnerie et à la doctrine maçonnique.

Lorsque l’on cherche à expliquer pourquoi, on fait inévitablement appel à la théologie qui, dans l’Eglise d’aujourd’hui, doit devenir de plus en plus publique. Nous avons donc besoin non seulement de cette catéchèse pour les paroissiens dans les paroisses, mais aussi d’une catéchèse sous forme de théologie sapientielle pour pouvoir en parler à tous les autres, même à ceux qui ne croient pas comme nous.

A ceux qui demandent : mais pourquoi faut-il répondre de manière ? On ne peut pas répondre simplement en affirmant des choses, les choses écrites de la doctrine. Il faut aussi entrer dans le raisonnement. Il faut faire appel à la rationalité de l’autre parce que l’autre est toujours une personne intelligente, qui doit se convaincre en conscience que ces choses sont inconciliables et incompatibles.

 

Traduction par Jeanne Smits