Fin de la création de monnaie par les banques ? Vers une votation sur l’initiative « monnaie pleine » en Suisse

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La veille de Noël, le 24 décembre, la chancellerie fédérale helvétique a enregistré l’initiative populaire « monnaie pleine » qui venait de recueillir le nombre de signatures suffisant pour déclencher la procédure en vue d’une votation nationale : 111.824 personnes ont adhéré au projet d’un instituteur alémanique, Hansruedi Weber, visant à donner à la Banque nationale suisse le pouvoir exclusif de création monétaire… monnaie électronique comprise. Il en fallait 100.000 au moins pour que le conseil fédéral l’examine en vue de le transmettre au parlement et qu’un référendum soit organisé. S’agissant d’une modification de la constitution helvétique, le projet devra recueillir l’approbation d’au moins 12 cantons sur 23 ainsi que la majorité des voix.
 
Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que l’initiative part avec de bonnes chances de réussite malgré la modestie de ses origines : elle a su séduire à droite comme à gauche puisqu’elle vise à la fois la stabilité monétaire et le respect de l’économie réelle, et le pouvoir exorbitant des banques qui aujourd’hui peuvent créer une monnaie électronique fictive à partir de leurs activités de prêt. Potentiellement hostiles, les grands réseaux bancaires comme UBS ou Crédit Suisse devraient renâcler, une part importante de leur richesse dans un secteur clef de l’économie helvétique venant précisément de leur droit de prêter de l’argent « de papier », purement virtuel.
 

Réserver à la Banque nationale suisse la création de monnaie

 
Aujourd’hui, la Banque nationale suisse, indépendante du pouvoir comme beaucoup de banques centrales, a le monopole de l’émission des pièces et des billets. Monopole acquis par voie de révision constitutionnelle à la fin du XIXe siècle lorsque le droit des banques d’émettre des billets a été aboli et la Banque nationale est seule à imprimer des billets : c’est ce qui a donné sa force au franc suisse qui d’ailleurs affiche toujours une excellente santé face à la monnaie unique européenne. Autrement dit, la votation sur la monnaie pleine n’est pas une totale nouveauté : les Suisses, par l’initiative de 1891, avait réagi d’une manière similaire à la « production sauvage d’argent bancaire » qui avait alors cours. C’est dès 1848 que le droit cantonal de battre monnaie avait été aboli lorsque l’Etat helvétique s’était chargé de frapper des pièces pour l’ensemble de la Confédération.
 
Mais cette monnaie physique ne représente que quelque 10 % de l’argent suisse, souligne le site initiative-monnaie-pleine.ch : « Les 90 % restants sont constitués par la monnaie scripturale de nos comptes en banque ; et ce sont les banques qui créent elles-mêmes cet argent. » La masse monétaire en circulation en Suisse est actuellement de 340 milliards de francs en moyenne dont seuls 40 milliards sont de l’argent liquide.
 

L’initiative « monnaie pleine » en Suisse passe la barre des 100.000 signatures

 
Selon les initiateurs de « monnaie pleine » (« Vollgeld » en allemand), la possibilité pour les banques de prêter de l’argent qui n’existe pas est à la fois un facteur qui conduit à une augmentation « excessive » de la masse monétaire en raison des bénéfices qu’elles peuvent en tirer par le biais des intérêts et, à partir de là, une situation qui favorise les « bulles » et les crises financières à travers la spéculation sur les marchés financiers. Cet argent scripturaire appartenant non aux déposants mais aux banques elles-mêmes, les problèmes engendrés en cas de krach – comme on en a connu en 2008 – exigent par leur volume que l’Etat intervienne pour « payer les pots cassés ».
 
En réservant à la Banque nationale le droit d’émettre la monnaie électronique, à charge pour elle de la prêter aux banques, aux industries, voire aux particuliers comme le voudraient certains pour faire bénéficier les personnes et les familles de ce « quantitative easing » (QE), l’initiative « monnaie pleine » entend rompre avec la situation actuelle sur plus d’un plan, en allant bien au-delà d’une exigence de détention de liquidités fort modeste finalement pour asseoir les prêts scripturaires.
 
Parmi les avantages annoncés sur le site initiative-monnaie-pleine, on cite ainsi la disparition des « bulles financières » par celle de la surchauffe provoquée par des spéculations excessives, et le fait que les déposants privés, et non les banques, seront propriétaires de l’argent à l’actif de ces dernières : « tout comme l’argent liquide que l’on a dans son porte-monnaie ou dans un coffre-fort ». La faillite de la banque n’entraînera donc pas celle des déposants et n’obligera pas l’Etat à éponger les dettes en cas de besoin. Est-ce réaliste ? La faillite serait consécutive à des défauts de paiement et en dernière analyse c’est la Banque nationale qui serait lésée…
 

Votation pour en finir avec la création d’argent scripturaire spéculatif

 
La Banque nationale, elle, créerait de l’argent en fonction de la « valeur créée chaque année par l’économie suisse », et le distribuerait ensuite selon des règles à déterminer. Ce serait un bouleversement profond du système économique avec une priorité donnée à une institution certes chargée constitutionnellement de défendre les intérêts nationaux mais non liée à la souveraineté politique.
 
Autrement dit : une véritable atteinte serait portée au pouvoir des banques, et à la haute finance – et lorsqu’on parle de banques suisses, il est évidemment question de très haute finance ! – mais en faveur d’une institution privée chargée de réguler, de soutenir, de maîtriser, d’orienter l’économie nationale. Cela va dans le sens de ce que font ou veulent faire les Banques centrales du monde entier, dans un contexte de réglementation et de mise au pas croissantes de la haute finance internationale.
 
L’initiative promet une « réforme facile à réaliser (…) car il s’agit techniquement d’un jeu d’écritures » ; et « plus de transparence : les citoyens comprendront enfin mieux le système monétaire ». Il est vrai que son opacité actuelle laisse la plupart dans le brouillard quant aux réalités financières et aux raisons des « crises » qui frappent les citoyens lambda de tant de pays alors même qu’ils travaillent et gèrent prudemment leurs revenus.
 
Parce que son système monétaire sera fondé sur la réalité économique, l’initiative « monnaie pleine » affirme que son adoption permettra à la Suisse d’avoir « la monnaie la plus sûre du monde ». « Un système monétaire et bancaire qui n’est pas ébranlé par des faillites bancaires et par des crash financiers, c’est une innovation typiquement suisse », assure son argumentaire.
 
L’initiative répond à un double problème réel : celui du pouvoir des banques qui créent leur richesse ex nihilo en faisant des bénéfices à travers des intérêts levés sur des sommes virtuelles ; celui de la circulation d’un argent fictif propice à la spéculation. Mais en même temps elle propose une solution qui passe elle aussi par de la création de monnaie électronique, certes assise en théorie sur une croissance et une richesse réelles, mais non pas par une entité souveraine et politiquement contrôlée, mais par une institution qui s’insère parfaitement dans le dispositif mondialiste des Banques centrales qui agissent en maîtres de l’économie.
 
Le citoyen moyen, fût-il suisse, est-il capable d’en comprendre tous les tenants et les aboutissants ?
 

Anne Dolhein