La Secrétairerie générale du synode, incorrectement qualifiée de « XVIe Assemblée générale ordinaire du synode des évêques », vient de publier sa feuille de route pour la préparation de la deuxième session romaine du synode sur la synodalité, sous le titre Vers octobre 2024. Pourquoi « incorrectement » ? Parce que cette réunion à Rome, sous forme de bingo géant dans l’Aula Paul VI comme s’en sont amusés plusieurs commentateurs, n’était pas une assemblée d’évêques, mais un lieu de discussion où Eglise enseignante et Eglise enseignée (avec des laïcs, y compris des femmes, dotés du droit de vote) ont préparé le changement structurel de l’Eglise à coups de scrutins « un homme une voix ».
Vers octobre 2024 confirme nos analyses du Rapport de synthèse en cours de publication sur reinformation.tv en montrant les objectifs de ce processus : modifier l’Eglise en profondeur pour y laisser s’exprimer le « Peuple de Dieu » qui est l’acteur de ce « cheminement », sans distinction nette entre les pasteurs et le troupeau même s’il est question d’une « coresponsabilité différenciée », au nom de la « dignité baptismale » de chacun et de la fondamentale égalité des croyants. C’est pourquoi il faut l’analyser à son tour.
Le synode sur la synodalité n’est pas terminé, mais il faut déjà le mettre en œuvre
Le document d’accompagne d’une « Fiche de travail possible » pour « aider à la réception des fruits de l’Assemblée synodale d’octobre au niveau local » et « à poursuivre le chemin de conversion synodal dans les Eglises locales ». Il s’agit essentiellement d’un résumé structuré des directives données par le document principal.
De ce document, on retiendra d’abord ce paragraphe qui donne le ton :
« Outre le récit des participants, le fruit de la Première Session est recueilli dans le Rapport de Synthèse, approuvé à la fin des travaux et disponible dans un grand nombre de langues sur le site du Synode 2021-2024 (www.synod.va), qui constitue le point de référence pour le cheminement du Peuple de Dieu dans l’intervalle entre les deux sessions. En particulier, le processus synodal se poursuivra selon certaines lignes directrices qui, de diverses manières, entrecroisent les trois niveaux auxquels nous avons travaillé de manière consécutive jusqu’à présent : le niveau de chaque Eglise locale, celui des regroupements d’Eglises (nationaux, régionaux et continentaux), et celui de l’Eglise tout entière. Comme l’a rappelé le Saint-Père en approuvant ces lignes de travail, “le Synode porte sur la synodalité et non sur tel ou tel thème… L’important est comment la réflexion est menée, c’est-à-dire de manière synodale”. »
Certains thèmes, apprend-on, seront réservés aux dicastères romains, comme la révision du code de droit canonique ou l’approfondissement théologique de la question de l’accès des femmes au diaconat. C’est le pape qui se prononcera sur les thèmes à réserver et le travail se fera en coordination entre des groupes d’experts « de tous les continents » et les dicastères, pour préparer des rapports présentés en octobre 2024.
Tout devra de toute façon être ordonné à la réponse à une seule question, nommée « question-guide » : « COMMENT être une Eglise synodale en mission ? »
Vers octobre 2024 : notre analyse du synode confirmée
Comme nous l’avons noté par ailleurs dans l’analyse du rapport de synthèse, l’objectif est de faire pénétrer la « synodalité », dont il n’existe pas de définition pour l’heure comme l’ont reconnu les « pères et mères synodaux », à tous les niveaux de l’Eglise. Le document qui ouvre la marche « vers octobre 2024 » cite Evangelii Gaudium, la feuille de route du pape François dont les objectifs étaient clairs depuis le début : « J’imagine un choix missionnaire capable de transformer toute chose, afin que les habitudes, les styles, les horaires, le langage et toute structure ecclésiale devienne un canal adéquat pour l’évangélisation du monde actuel, plus que pour l’auto-préservation. » C’est ce qui justifie « la réforme des structures en cours ».
Les discussions se tiendront donc « au niveau de chaque Eglise locale », pour déterminer la réponse à la question : « COMMENT valoriser la coresponsabilité différenciée dans la mission de tous les membres du Peuple de Dieu ? » Création de nouvelles structures, imaginer des « ministères de participation » : ici tout est permis en se référant aux chapitres 8 à 12, 16 et 18 du rapport de synthèse. On recherche un bouleversement de grande envergure pour que chacun ait voix au chapitre, même si toutes les voix ne doivent pas peser d’un même poids.
En parallèle, les responsables à tous les niveaux sont invités à déterminer « COMMENT articuler de façon créative ces relations afin de trouver “un équilibre dynamique entre la dimension de l’Eglise dans son ensemble et ses racines locales” », comme le dit le rapport de synthèse.
Tout cela confirme que la priorité n’est nullement de chercher la volonté de Dieu et de faciliter la tâche de l’Eglise, qui est de « répandre et communiquer » Notre Seigneur en vue du salut des âmes ; mais de la réorganiser pour chambarder le principe hiérarchique qui est le sien.
Vers octobre 2024 s’appuie surtout… sur la hiérarchie
C’est donc un nouveau tour de consultations qui s’annonce, de manière totalement désorganisée vu la brièveté des délais ; chaque Eglise locale est simplement « invitée à se concentrer sur les aspects pour lesquels elle pense pouvoir apporter une contribution sur la base de ses propres particularités et de son expérience, en partageant les bonnes pratiques qui représentent des germes de synodalité concrète ».
Le plus drôle de l’histoire ? Loin de donner la parole aux petits et aux sans-voix, au nom de l’incantation « inclusive », il est suggéré de consulter en priorité les ministres ordonnés, « en particulier les curés », et d’« autres responsables pastoraux » comme des catéchistes et des « responsables de communautés de base et de petites communautés chrétiennes », des « responsables » de bureaux pastoraux ; des « consacrés et consacrées » (le masculin qui l’emporte sur le féminin leur écorche la plume). On n’oublie pas les « responsables d’Associations de laïcs, de Mouvements ecclésiaux et de Communautés nouvelles ; des responsables d’institutions et d’organisations liées à l’Eglise (écoles, universités, hôpitaux, centres d’accueil, centres culturels, etc.) ; des théologiens et des canonistes… » Tout ce qui sera recueilli remontera au niveau épiscopal où des discussions autour de la « question-guide » sont également encouragées.
On n’échappera pas cependant à l’invasion de la sphère religieuse par l’appel à « la contribution de l’expertise théologique et canonique, ainsi que des sciences humaines et sociales, en impliquant des experts dans ces disciplines et des institutions académiques présentes sur le territoire ». Sociologues, psychologues et autres politologues doivent être sollicités pour déterminer comment l’Eglise doit s’organiser et pourquoi pas, comment elle doit croire…
Pour tout cela les intéressés auront exactement 5 mois, comprenant la phase de discussion et celle de la rédaction des résumés de « 8 pages maximum » à remettre avant le 15 mai prochain à la Secrétairerie Générale du Synode qui s’en servira pour rédiger l’Instrumentum laboris en vue de la session romaine d’octobre 2024. A en juger d’après ce qui s’est passé au cours de la phase préparatoire en vue de la session qui s’est achevée fin octobre, on peut s’attendre ici à la manipulation la plus directe puisque c’est le moment où la Secrétairerie peut favoriser tout ce qui va dans le sens de ses préférences.
D’ores et déjà, les Eglises locales ainsi que les associations de laïcs et mouvements religieux sont invités à « garder vivant le dynamisme synodal » en s’appuyant sur le Rapport de synthèse, qui doit donc déjà trouver sa mise en œuvre au sein de l’Eglise catholique alors qu’il est censé rendre simplement compte de ce qui s’est dit.
Le but est de leur faire « promouvoir les initiatives les plus appropriées pour impliquer l’ensemble du Peuple de Dieu (activités de formation, études théologiques approfondies, célébrations de style synodal, consultations de la base, écoute des populations minoritaires et des groupes vivant dans la pauvreté et la marginalisation sociale, des espaces pour aborder des questions controversées, etc.) en utilisant les méthodes déjà expérimentées avec succès au cours de la première phase, en particulier la Conversation dans l’Esprit ».
Que sont les « célébrations de style synodal » ?
Cela déborde donc déjà sur le plan liturgique, puisque les uns et les autres doivent imaginer des « célébrations de style synodal » – il sera intéressant d’en étudier les exemples qui ne manqueront pas d’être mis en avant… « L’écoute des minorités » annonce déjà l’ouverture aux personnes qui ne sont pas en règle avec l’Eglise, comme on osait encore le dire jadis, mais tout se justifiera au nom de la « Conversation dans l’Esprit ». Lequel ? C’est toute la question.
Pour cette partie du travail préparatoire, chaque Eglise locale pourra décrire brièvement le travail accompli et transmettre sa prose (deux pages maximum) à sa conférence épiscopale qui sera chargée de tout envoyer à la Secrétairerie, avant le 15 mai 2024. Les participants au synode en octobre 2024 pourront y avoir accès.
Pour l’ensemble des démarches à accomplir, les conférences épiscopales (et les structures hiérarchiques orientales) auront un rôle d’impulsion, d’accompagnement, de promotion d’initiatives et de recueil de témoignages. Manière de verrouiller l’ensemble ; on comprend bien ici qu’une fois de plus, le rôle, la charge et la responsabilité des évêques successeurs des apôtres sera subordonné au pilotage des conférences épiscopales, en même temps qu’ils devront s’ouvrir à « l’écoute » d’une base parée de toutes les vertus.
Le document « Vers octobre 2024 » utilise cinq fois le saint nom de Dieu. Mais ne pavoisez pas trop vite : à chaque fois, c’est dans l’expression « peuple de Dieu » dont il s’agit de mettre en place le « cheminement » entre les deux sessions du synode sur la synodalité. Jésus apparaît une fois, au nom de son « amitié » qu’il offre à tous. Le mot « Christ » aussi, au titre de « l’élan vers la mission » qu’Il nous a confiée, mais d’« enseignement » il n’est pas question. La foi est aux abonnés absents et la conversion n’apparaît que sous forme de « conversion pastorale », deux fois nommée.
Ceux qui pensaient que le synode d’octobre 2023 avait fait pschitt en sont décidément pour leurs frais.