Si l’ONU et l’écologisme politique ont choisi le climat, le réchauffement climatique, maintenant plutôt le changement climatique, comme moyen de terreur sur l’humanité pour faire avancer la gouvernance mondiale, c’est parce que les catastrophes désirées sont attendues à si long terme que les modèles mathématiques peuvent les prédire sans risque d’être démentis – même si aucune mesure ne vient étayer leurs vaticinations. Mais en même temps, et à l’inverse, ils utilisent la météo du moment (la sécheresse la plus sèche, les inondations les plus inondées) pour suggérer au public que la menace est imminente, l’apocalypse pour demain. Cette espèce de grand écart permanent, de terrorisme à deux vitesses, s’illustre dans l’étude publiée cette semaine à l’occasion de la COP28 affirmant que la terre est « à deux doigts » de connaître des « points de bascule » de son climat, « souvent irréversibles » qui « pourraient déclencher un effet domino de catastrophes en cascade ».
Deux vitesses : le rythme du siècle, celui de l’immédiat
Le procédé n’est pas neuf. On pose d’abord un terrible décor lointain. Si, en 2050 ou à la fin du siècle, la température moyenne de la terre atteignait une augmentation suffisante par rapport à son niveau d’avant 1850 (2, 4, ou même 7 degrés C selon les scénarios), alors les conséquences seraient terrifiantes pour les humains et l’environnement : sécheresses, fonte, hausse des mers, cyclones, inondations, etc. On persuade alors le public, par une propagande patiente et omniprésente, que les émissions de « gaz à effet de serre », et singulièrement de CO2, sont la cause de ce phénomène terrifiant. Puis, sous la menace de ce changement de climat apocalyptique, on fixe un objectif politique et moral : limiter ces émissions pour ne passer une élévation de 1,5 degré C depuis 1850. En même temps, depuis l’origine, cette exhortation d’apparence rationnelle badigeonnée de langage scientifique est assortie de cris prophétiques analogues à ceux de Philippulus dans L’Etoile mystérieuse, de Tintin. Ainsi depuis un demi-siècle est-il urgent de ne pas attendre à demain. En 1969 déjà, le secrétaire général de l’ONU, U Thant, avertissait l’humanité qu’elle n’avait que « dix ans pour sauver la terre », et depuis, d’innombrables pythies ont renouvelé l’avertissement, à terme toujours plus court, la plus connue, récemment, étant Greta Thunberg.
Greta, prophétesse trop imprudente pour une terreur efficace
Le 21 juin 2018, elle tweetait : « Un scientifique de haut niveau nous avertit que le changement climatique peut balayer l’humanité si nous ne cessons d’utiliser des énergies fossiles dans les cinq ans qui viennent. » Cinq ans plus tard, en 2023, elle devait effacer ce tweet : cela montre l’inconfort de la position de prophétesse et l’habileté nécessaire à retomber sur ses pieds. Aussi l’université d’Exeter a-t-elle profité de la COP28 et du « mois de novembre le plus chaud » pour y aller de sa partition terroriste, mais de façon moins brutalement pataude que Greta Thunberg. Elle a « identifié 26 points de basculement de la Terre » à ne pas franchir sous peine de catastrophe. En conjuguant projection à long terme et inquiétude à court terme. Il faut se repentir en vitesse pour éviter le pire.
Demain l’apocalypse climatique ? P’têt bien qu’oui, p’têt bien qu’non
Envisageant la fonte des calottes glaciaires de l’Antarctique occidental et du Groenland qui, si elle franchit un certain seuil, pourrait faire augmenter le niveau des mers de deux mètres d’ici à 2100, exposant près d’un demi-milliard de personnes à de fréquentes inondations côtières, Tim Lenton, le principal auteur de l’étude, n’affirme rien, il pose une question : « Le point de basculement est-il dépassé ou bien est-il encore possible d’inverser la tendance ? Personne n’en est tout à fait sûr. » C’est cousu de fil blanc, mais c’est habile : cela paraît prudent et scientifique, et cela n’en instille pas moins la terreur dans l’esprit du lecteur par la voie de l’incertitude. Les journalistes saisissent la balle au bond : notre confrère La Tribune en profite pour mettre en intertitre : « Pour le Groenland, il est peut-être déjà trop tard. » Toute la subtilité de l’art est dans le « peut-être ». Parmi les autres points de basculement, l’étude cite la disparition des récifs coralliens tropicaux, la fonte du pergélisol notamment sibérien, qu’il faut craindre pour après-demain.
La terreur climatique et ses conditionnels en cascade
Mais surtout la perturbation d’un système de courants atlantiques qu’on désigne couramment par son acronyme anglais AMOC (Atlantic meridional overturning circulation), ensemble des courants d’eau chaude originaires du Golfe du Mexique qui rejoignent les eaux de l’Europe avant de refroidir, bifurquer et plonger en profondeur vers le Groenland et le Labrador. Le Golf Stream en fait partie et Jules Vernes avait déjà imaginé dans 20.000 lieues sous les mers qu’il pourrait disparaître. Selon Tim Lenton, un effondrement de l’AMOC ferait « tomber l’avion du ciel », ce qui dans l’imagerie de la terreur climatique équivaut à la fin. Cela « pourrait entraîner une diminution considérable des précipitations dans de vastes régions, ce qui pourrait réduire de moitié la superficie mondiale où l’on peut cultiver du blé et du maïs ». Pour l’instant, ce sont les conditionnels qui sont en cascade : l’étude conclut elle-même que, toujours possible, l’effondrement de l’AMOC est peu probable. Ici la terreur est modérée et prudente : si rien ne se passe, cela aura été prévu !
Le climat dans un siècle, la politique dès demain
A quoi sert donc ce Barnum pseudo-scientifique ? Simplement à faire de la politique. Manjana Milkoreit, de l’université d’Oslo, co-auteur de l’étude, l’avoue sereinement : « Notre système de gouvernance mondiale est inadapté pour faire face aux menaces à venir et mettre en œuvre les solutions requises d’urgence. » Et l’ensemble des auteurs réclame que les points de basculement soient inclus dans le bilan mondial débattu lors des négociations de la COP28. Et dans les objectifs nationaux de lutte contre le changement climatique. Dire que l’activité humaine est à deux doigts de provoquer la bascule du climat sert à engager les gouvernements du Nord à faire les sacrifices censément nécessaires à l’éviter, c’est à dire à transférer la richesse vers le Sud, et à persuader les populations de le supporter. Car la baisse du pouvoir d’achat en France et en Europe, la paupérisation tendancielle, a pour principale raison l’obsession maladive de sauver le climat.