Malgré les pressions américaines, polonaises, baltes et ukrainiennes sur l’Allemagne, les travaux de préparation du chantier du gazoduc Nord Stream 2 côté allemand ont débuté ce mois-ci. Ce gazoduc doit à terme doubler la capacité du gazoduc existant qui relie la Russie directement à l’Allemagne par la mer Baltique. Selon les critiques du projet, il s’agit d’une entreprise à finalité politique qui donnera à la Russie la possibilité de couper ou réduire les fournitures de gaz à certains pays de l’ex-Europe de l’Est sans compromettre ses relations avec ses clients de l’ouest du continent. Plusieurs pays du front oriental de l’OTAN, et en particulier les pays baltes et la Pologne, voient aussi dans le gazoduc Nord Stream 2 un moyen de renforcer la domination russe sur le marché européen du gaz à un moment où ils cherchent eux-mêmes à diversifier ces fournitures. C’est notamment dans ce but qu’a été mise en place l’Initiative des Trois mers rassemblant douze pays situés entre la mer Baltique, la mer Noire et la mer Adriatique. Une initiative que Donald Trump a promis de soutenir, y compris en ce qui concerne la sécurité énergétique, lors de sa visite à Varsovie en juillet dernier. Lors d’une réunion avec le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg la semaine dernière, le président américain a de nouveau critiqué l’Allemagne qui « achète pour des milliards de dollars de gaz russe mais ne dépense pas assez pour ses forces armées ». En visite à Berlin, la secrétaire-adjointe à l’Énergie du Département d’État américain, Sandra Oudkirk, n’a pas voulu exclure, parmi les moyens de pression qui allaient être utilisés pour bloquer le projet Nord Stream 2, le recours aux sanctions contre les entreprises participantes.
Une nouvelle loi américaine permet au président Trump d’adopter des sanctions contre les entreprises participant au projet Nord Stream 2 !
Une nouvelle loi américaine, la loi CAATSA, permet en effet au président américain d’adopter des sanctions contre toute entreprise américaine ou étrangère impliquée dans des opérations visant à renforcer le quasi-monopole de Gazprom pour la fourniture de gaz à des pays alliés des États-Unis. Les assurances données par Angela Merkel et Vladimir Poutine réunis la semaine dernière à Sotchi, comme quoi l’Ukraine n’aurait rien à craindre pour ses fournitures de gaz une fois le gazoduc Nord Stream 2 construit, n’ont convaincu personne. En Allemagne-même, le projet avait essuyé une nouvelle salve de critiques après la suspension par Gazprom début mars, suite à un arbitrage défavorable, des livraisons de gaz à l’Ukraine. En septembre dernier, le livre d’un journaliste d’investigation danois, Les espions venus avec la chaleur, était par ailleurs venu jeter un pavé dans la mare en révélant comment les réseaux de Poutine hérités du KGB et de la Stasi ont été actionnés pour obtenir les soutiens nécessaires à la construction du premier gazoduc Nord Stream, notamment par le chantage et la corruption. Et cela n’a pas concerné que le chancelier allemand Gerhard Schröder. Celui-ci avait négocié le projet avec la Russie au nom de l’Allemagne et son gouvernement s’était porté garant d’un crédit d’un milliard d’euros : il a ensuite été engagé par Gazprom pour diriger le Conseil de surveillance du consortium germano-russe chargé de construire le gazoduc.
Nord Stream, une entreprise de corruption et chantage au plus haut niveau en Allemagne ?
Est-il envisageable qu’Angela Merkel fasse elle-même l’objet d’un chantage ? Dans l’ex-Europe de l’Est, il est de notoriété publique que les dossiers des collaborateurs des régimes communistes étaient partagés par les services des différents pays satellites avec le KGB soviétique (devenu FSB dans la Russie post-soviétique). Or deux livres publiés en 2005 et 2013 par des journalistes d’investigation allemands, respectivement Gerd Langguth (Angela Merkel) et le duo Ralf Georg Reuth et Guenther Lachmann (La première vie d’Angela Merkel), ont dévoilé l’engagement communiste à l’époque de la RDA de la jeune physicienne Angela Merkel qui était en 1981 secrétaire du mouvement de jeunesse communiste FDJ pour l’agitation et la propagande.
Bien entendu, dans les disputes autour du projet Nord Stream 2 les intérêts économiques et géopolitiques des uns et des autres jouent également, les États-Unis étant eux-aussi désormais exportateurs de gaz naturel. Vladimir Poutine a estimé après les dernières menaces de sanctions américaines contre les entreprises participant au projet Nord Stream 2 que les États-Unis cherchaient simplement à vendre leur gaz de schiste à l’Europe. La rivalité et les divergences d’intérêts entre l’Allemagne et les États-Unis ne concernent d’ailleurs pas que la Mitteleuropa mais aussi l’attitude à adopter face à l’Iran. Là aussi, la Russie et l’Allemagne sont dans le même camp face aux États-Unis.
Le soutien à l’Initiative des Trois mers, une priorité nationale pour les États-Unis
Selon le site d’information polonais Onet, qui a interrogé la secrétaire-adjointe américaine à l’Énergie Sandra Oudkirk, les Américains devraient annoncer, lors du prochain sommet de l’Initiative des Trois mers qui se tiendra en septembre à Bucarest, que le soutien à cette initiative de coopération régionale fait désormais partie des priorités nationales des États-Unis. Mettant en doute la loyauté de l’Allemagne au sein de l’OTAN, les États-Unis misent sur les pays du flanc oriental, plus atlantistes et méfiants de tout ce qui peut rappeler les anciennes alliances à leurs dépens entre l’Allemagne et la Russie. En Pologne, le projet Nord Stream est parfois comparé avec une certaine exagération au Pacte germano-soviétique de 1939.