Le Vatican prête des ornements sacrés pour un défilé qui sacrifie à la mode et non pas à Dieu – du Fellini après l’heure

Vatican défilé mode Fellini
 
A quelques jours du lancement de l’exposition « Corps célestes : la mode et l’imagination catholique » au Metropolitan Museum of Art (MET), on en sait un peu plus sur les codes qui présideront à l’événement. Alors que ce partenariat paraît plus qu’improbable, le cardinal Gianfranco Ravasi, qui préside le Conseil Pontifical pour la Culture du Vatican depuis 2007, a défendu l’idée et la décision du prêt de plus de cinquante chefs-d’œuvre de la collection du Vatican, dont certains en provenance directe de la chapelle Sixtine. Objets sacrés pour une exposition laïque, potentiellement sacrilège… on connaît le monde profondément progressiste de la mode.
 
On pense aussitôt au défilé de mode violemment provocant imaginé par Frederico Fellini dans son Roma Fellini. Il prend forme, en quelque sorte, aujourd’hui, avec la participation bienveillante du Vatican…
 

« Un pèlerinage de mode religieux » : la haute couture s’arroge le sacré

 
Ce sont plus de 150 pièces qui ont pour mission, au MET, d’« examiner l’engagement continu de la mode avec les pratiques dévotionnelles », comme a déclaré le conservateur en chef du musée. A côté des créations de haute couture, devaient donc figurer des « originaux », les symboles, creusets de l’inspiration artistique : des ornements liturgiques réels, des pièces essentiellement religieuses.
 
Le Vatican a comblé ces attentes en prêtant un certain nombre de ses biens propres… des pièces historiques, datant du milieu du XVIIIe siècle au début du XXIe siècle. La plus ancienne est un manteau porté par Benoît XIV, et la plus récente, une paire de chaussures rouges portées par Jean Paul II. Quelques-unes n’avaient encore jamais été vues en dehors du Vatican, comme cet ensemble de douze vêtements commandés par l’impératrice d’Autriche pour Pie IX, au milieu du XIXe siècle. Ou encore cette tiare papale aux 18.000 diamants, offerte au même pape par la reine Isabelle II d’Espagne.
 
Merveilleux témoignages que ces gages de foi des grands de ce monde, qui honoraient le Christ en saluant son représentant sur terre…
 
Seulement les nouveaux grands de ce monde, dont font partie les maîtres de la haute couture, ne cultivent guère la même attitude et prennent plutôt prétexte de la Foi pour sacraliser leur art propre – en dépit de Dieu et souvent même contre Lui.
 

Singer le clergé – pour un autre maître ?

 
Et leurs pièces sont emblématiques, du simple rappel biblique à la provocation caractérisée – il faut toute la gamme du rapport au sacré pour prétendre à la neutralité artistique et en défendre le principe ! Le jardin d’Eden se retrouve brodé sur une robe de chez Valentino. Des icônes byzantines s’étalent sur des tuniques Dolce & Gabbana. Et des robes de madones exposent une magnificence certaine…
 
Mais l’intention de provocation sinon de sacrilège est bien présente. Les créateurs glissent des corps féminins dans des tenues de soirées inspirées des vêtements cléricaux portés par les prêtres et les évêques, tel ce manteau de cardinal réinterprété en version soir chez Balenciaga, cette robe de bure à l’image des moines, ou encore cette robe féminine « papale » de John Galliano à qui ne manque pas même la tiare !
 
La croix, symbole ultime, s’étale largement, de la simple figuration jusqu’à la transgression évidente comme sur cette veste signée Christian Lacroix et intitulée insolemment « Gold-Gotha ». Sur cet autre habit singé de religieuse, la croix du chapelet qui pend à son côté est même tronquée… le satanisme n’est pas loin.

Cinquante-cinq ans plus tard, un défilé à la Fellini ne choque plus le Vatican

 
Avec tout ça, le cardinal Gianfranco Ravasi a formellement nié que la participation du Vatican à l’événement soit « impropre », comme l’a rapporté le site d’information des évêques allemands Katholisch.de le 10 avril. Selon lui, il peut, il doit y avoir un dialogue entre l’Église et le monde de la mode qui participe à la beauté en tant que telle, car l’Église aussi porte cette magnificence esthétique.
 
Mais il y a une différence notoire : ces riches vêtements liturgiques, ces somptueux objets d’art sont liés à la célébration d’un rite, sont le signe d’une transcendance distincte de l’homme. Bien que la haute-couture montre aussi « une fonction symbolique qui dépasse le simple but de s’habiller », cette fonction est sur-centrée sur l’homme. Et certaines pièces de l’exposition montrent même qu’elle peut endosser un rôle sacrilège…
 
Alors dire, en cette circonstance, que l’Église doit accéder à cette zone de la mode, comme à toute autre « partie du monde où existe le mal », comme l’a déclaré le cardinal Ravasi à l’édition italienne du magazine Vogue, est au mieux d’un aveuglement sans nom…
 
Ce triste événement rappelle furieusement la folle scène du défilé ecclésiastique du film de Frederico Fellini, Fellini Roma : sur le podium d’un palais romain, prêtres et religieuses défilent, affublées de tenues extravagantes, devant un parterre de dignitaires du clergé… avant l’arrivée, en clou du spectacle, d’un Saint Père en tenue papale de gala devant lequel s’agitent de grandes plumes d’autruches oranges… Scandaleuse irrévérence du très anti-catholique Fellini !
 
Le cardinal Ravasi, lui, accepte, la singerie mécréante, voire sacrilège et même la signe : le dialogue avant tout, peu importe les moyens…
 

Clémentine Jallais