La nouvelle « Route de la soie » : le gigantesque projet chinois

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Le nom officiel du projet est « One belt, one road », « une ceinture, une route ». Mais pour tout un chacun, c’est la remise au goût du jour de l’ancien symbole de l’Orient, la mythique Route de la soie, qui depuis l’Antiquité, sur plus de 6.000 kilomètres, empruntée par les Romains ou les Ottomans, a fait transiter les marchandises de l’Asie vers l’Europe. Le projet, officiellement lancé en septembre 2013 par le président chinois Xu Jinping, est gigantesque en ce que non seulement il veut recréer la voie terrestre, mais lui adjoindre une route maritime, indispensable à cette version XXI e siècle. L’année 2015 voit son vrai départ.
 
Et elle a bien commencé, avec la création, tout juste annoncée par le Premier ministre, de la « Silk Road Company Ltd », d’un fonds d’investissement privé qui portera sur ce projet – 40 milliards d’investissements viennent d’être débloqués. Les travaux débutent.
 

La nouvelle Route de la soie sera double

 
La route terrestre, dont le tracé reste encore en débat, devrait partir de la province chinoise du Xinjiang et atteindre l’Europe en passant par le Kazakhstan, l’Asie centrale, le Nord de l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie. Elle y traverserait la Bulgarie, la Roumanie, la République Tchèque et l’Allemagne, pour finir à Venise, point d’aboutissement de l’autre route, la voie maritime. Cette dernière, baptisée « 21st Century Maritime Silk Road », devrait prendre son départ dans les grands ports de la mer de Chine et atteindre l’Europe, en passant dans l’océan Indien, la mer Rouge, le Golfe, et enfin le Canal de Suez et la Méditerranée – un détour par l’Afrique est même envisagé – en longeant les pays attenants, comme la Thaïlande, le Vietnam, la Malaisie, Singapour ou l’Indonésie.
 
C’est donc avant tout un projet d’infrastructures, énorme, constituée de milliers de ponts, de voies de chemin de fer, de ports, de gares et de pipelines, pour relier tout ensemble l’Asie de l’Est, l’Asie du Sud et l’Asie centrale à l’Ouest.
 

Projet chinois du XXI siècle : « une réorientation de la géopolitique »

 
Se constituera ainsi un gigantesque marché « unique », qui estompera les frontières au profit de l’économie, en réduisant les barrières tarifaires, les droits de douane et facilitant l’exportation de main d’œuvre chinoise. En marge de la conférence annuelle du Forum de Bo’ao pour l’Asie 2015, le président chinois a déclaré souhaiter que « le volume commercial annuel entre la Chine et les pays concernés dépasse 2.500 milliards de dollars d’ici dix ans »…
 
La Chine se défend bien sûr de tout gain unilatéral, même si évidemment ces initiatives faciliteront, et c’est peu dire, la croissance économique du pays… Elle tient à mettre en exergue qu’elles développeront l’économie des pays tout le long de cette ceinture et dans le monde entier, faisant « directement bénéficier 4,4 milliards de personnes, soit 63% de la population mondiale». D’ailleurs, jusqu’à présent, plus d’une soixantaine de pays ont manifesté leur intérêt. Même l’Inde, l’éternelle rivale asiatique, contournée – ou encerclée ?! – par les deux routes, pourrait ne pas cracher dans la soupe…
 
Une ambition immense que cette nouvelle stratégie chinoise qui n’oublie pas, de plus, de sacrifier à l’écologie, dimension obligatoire de tout projet international. Des experts britanniques parlent de « formidables occasions d’affaires » pour les entreprises occidentales, « les plus importantes dans le monde au cours des 30 à 50 prochaines années »… Mais l’économie est aujourd’hui une arme.
 
Ce projet traduit incontestablement, comme l’a dit le directeur du Global Studies Program à l’université chinoise d’Hong-Kong, « une réorientation de la géopolitique de la Chine vers l’intérieur du continent, notamment l’Asie centrale et l’Europe, plutôt que vers l’Est et sa côte Pacifique ». Une volonté de contrecarrer « pacifiquement » les influences russe et américaine dans la région. Se met à jour « une nouvelle diplomatie chinoise, qu’on peut qualifier de “réalisme institutionnel”, et qui consiste à bâtir de nouvelles infrastructures à l’étranger pour influencer les politiques mondiales ». Et les influencer, aussi, politiquement.
 

Les États-Unis voient le réveil du « Géant qui sommeille »

 
La position américaine est d’ailleurs ambivalente. Washington ne peut qu’approuver officiellement une initiative qui, passant par l’Afghanistan, le Pakistan, l’Irak, pourrait réintroduire le commerce, de nouvelles infrastructures, donc une certaine prospérité et pourquoi pas la paix. Elle s’est dite, d’ailleurs, prête à financer plus d’un millier de réseaux électriques régionaux – 1,6 milliard de dollars d’investissements – et des centrales hydro-électriques modernes et écologiques, dans le cadre du projet chinois. Mais le geste est politique et la méfiance s’accroît surtout devant « l’expansionnite » de l’Empire du Milieu qui pourrait nuire à leur propre traité multilatéral de libre échange économique (le TTP).
 
Et n’oublions pas que le projet est aussi financier. Cette nouvelle Route de la soie s’adossera à la nouvelle et controversée banque d’investissement asiatique de Pékin (AIIB) dans laquelle se sont engouffrés à la mi-mars la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la France, l’Italie, puis le Luxembourg et la Suisse, une trentaine de pays au total… Au grand dépit des États-Unis qui y voient, non pas une entrave au processus de mondialisation en cours, mais un obstacle à leur propre hégémonie sur ce même processus. Les communistes et post-communistes se réveillent et ça risque de faire mal.