La direction des affaires religieuses turques, le Diyanet, a fait savoir que 8.985 mosquées ont été construites depuis dix ans. La seule province de Konya, en Anatolie centrale, en affiche pas moins de 3.134 nouvelles, celle de Samsun, dans le nord, est deuxième avec 2.610 mosquées flambant neuves. Ankara, capitale du pays, a vu construire plus de 2.000 mosquées pour la seule période 2005-2015. A Ankara, l’une d’elles est située dans le palais présidentiel de Recep Tayyip Erdogan, qui avait déclaré en janvier 2015 que le complexe présidentiel deviendrait un kulliye, « concept architectural ottoman qui entoure une mosquée et est organisé autour d’elle », ainsi que l’explique l’institut Gatestone. La mosquée du palais d’Erdogan permet d’accueillir plus de 3.000 personnes. Durant la cérémonie d’inauguration, en 2015, le président turc a déclaré que « partout où se trouve un dôme ou un minaret, nous savons qu’il s’agit de la patrie des musulmans ». Des sunnites, bien sûr, les autres n’ayant pas droit de cité. Les chrétiens, eux, ont presque été réduits à néant tout au long du siècle dernier.
Près de neuf milliers de mosquées neuves en Turquie
L’institut Gatestone indique que cette mosquée présidentielle constitue un symbole inquiétant pour les Turcs laïques qui considèrent que la célébration du rituel musulman dhikr – rituel soufi qui a toute la sympathie des loges – au sein même du palais du président d’une république théoriquement laïque, l’an dernier, constitue un signe capital de l’islamisation complète du pays.
Ces laïques « voient dans ces événements un moyen d’établir une hégémonie sur la société, d’intimider voire de terroriser les gens, principalement les alevis, les laïques, les chrétiens et même les musulmans sunnites qui ne sont pas d’accord avec les politiques gouvernementales », explique Kemal Bulbul, qui se présente comme un alévi, membre de cette branche de l’islam chiite que certains autres musulmans considèrent comme hérétique. L’une des particularités des alévis est qu’ils ne célèbrent pas leur culte dans des mosquées.
Une mosquée-monstre domine Istanbul par la volonté d’Erdogan
Le site Buzzfeed signalait en décembre 2015 que l’une des nouvelles mosquées, encore en cours de construction sur la colline de Camlica surplombant Istanbul, sera la plus grande de Turquie. Les architectes ont dénoncé un « travestissement esthétique » et une plainte conteste son permis de construire, affirmant qu’elle viole les règles d’urbanisme. Buzzfeed relève néanmoins que la plupart des autres recours contestant la construction de mosquées ailleurs dans le pays n’ont pas abouti. Gatestone constate en revanche qu’il est extrêmement difficile d’obtenir une autorisation pour édifier de nouvelles églises chrétiennes.
Il n’en demeure pas moins que cette mosquée géante est vue comme « le » projet emblématique du président Erdogan, élément de sa croisade idéologique destinée à redessiner les paysages – physique comme politique – de la Turquie. La construction de mosquées est par ailleurs considérée par l’opposition comme un élément du système permettant à Erdogan d’attribuer d’énormes financements à ses affidés du secteur du bâtiment. « Ces mosquées n’ont plus rien à voir avec la religion ; elles relèvent de l’autorité et du politique », dénonce un opposant.