Il suffit de s’être promené à l’occasion dans un salon de l’éducation pour comprendre à quel point on fait la promotion des technologies de l’information auprès des professeurs. Les fameux « TICE » sont à la mode et on les présente comme la panacée – outre que les enfants sont supposés les adorer, tant ils apprécient les écrans de toutes sortes. Mais il s’avère que l’apprentissage est encore et toujours plus efficace dans les livres : la lecture sur papier laisse des traces plus profondes. Plaidoyer pour les manuels scolaires…
Pas tous, bien sûr. Un manuel ne vaut que ce que vaut son contenu. Mais le principe est bien celui-ci, validé par une nouvelle étude : il y bel et bien une différence entre l’écran et la page imprimée, même lorsque les élèves ont accès au texte intégral de leur manuel en ligne. C’est ce qu’expliquent Patricia A. Alexander et Lauren M. Singer dans un article paru il y a quelques mois déjà sur uk.businessinsider.com, important à connaître pour quiconque se soucie de la bonne formation des jeunes.
L’apprentissage et la lecture dans les manuels scolaires valent mieux que sur écran
C’est une analyse à contre-courant qui a en outre l’inconvénient de prendre les enfants et les jeunes à rebrousse-poil, eux qui vivent quasiment avec leur smartphone ou leur tablette incrustée dans la main. Mais il y va aussi de leur réussite à l’école et de leur bonheur d’apprendre, ce qui est encore plus important. Et tant pis si les tablettes et autres liseuses sont plus faciles à transporter, et si les élèves marquent une préférence pour les produits high-tech : la lourdeur du cartable n’est pas un soi un frein au développement de l’intelligence !
Les auteurs évoquent plusieurs études réalisées par d’autres depuis 1992 et qui, toutes, contredisent le sentiment des jeunes qui estiment mieux travailler sur écran : dans les faits, on constate par exemple qu’ils sont mieux à même de comprendre un texte de plus d’une page sur papier que lorsqu’ils le lisent sur écran. Le simple fait de faire défiler le texte perturbe notablement la compréhension. Mais les dites enquêtes n’allaient pas plus loin : elles n’évaluaient pas le niveau de compréhension ni la rapidité de lecture.
A partir de là, Alexander et Singer ont réalisé une série de trois études au cours desquelles les élèves étaient invités à faire part de leur préférence personnelle avant de lire deux passages, l’un en ligne, l’autre imprimé, avant d’en rappeler l’idée principale et les éléments saillants puis d’en donner autant de détails que possible. On leur demandait également d’évaluer leur propre niveau de compréhension des textes.
TICE à l’école : une mode qui se justifie au nom de l’écologie
A travers des expériences très diverses – longueur et nature des textes, relevé des temps de lecture… – les auteurs ont constaté que les élèves préfèrent massivement lire sur écran, leur temps de lecture y étant significativement plus rapide. Les élèves jugeaient également que leur compréhension était meilleure dans ce cadre. Mais dans la réalité, la compréhension globale s’est révélée meilleure sur le papier. Si l’idée générale était bien saisie à travers les deux manières de lire, dès qu’il était question des détails ou de questions plus spécifiques, les résultats se sont révélés nettement meilleurs après une lecture sur papier.
Les auteurs estiment qu’il est important d’en tirer quelques conclusions. La première, c’est qu’il faut savoir pourquoi, et surtout pour quoi on lit : pour chercher une réponse à une question précise, pour lire les titres de l’actualité, pour s’instruire… Et choisir alors le « support » le plus adapté.
S’il ne s’agit que de découvrir et de retenir les grandes lignes d’un texte, la lecture sur écran suffit, estiment Patricia Alexander et Lauren Singer. Mais s’il s’agit véritablement de connaître et de comprendre un sujet ou la pensée d’un auteur, le texte imprimé prime.
La lecture est plus efficace quand elle n’est pas rapide
Autre point intéressant, parmi les élèves testés au cours des trois études il s’en est trouvé une minorité qui comprenaient mieux en lisant sur écran – mais ils avaient en commun de lire plus lentement les textes numériques que les textes imprimés. Le rythme de lecture est donc primordial – un fait dont les lecteurs sur écran pourrait s’imprégner pour s’obliger à ne pas survoler les textes.
Alors que l’Etat de Californie a pris en 2009 une mesure « écologique » obligeant les écoles à n’avoir plus recours aux manuels imprimés avant 2020, alors que de nombreuses écoles équipent dès le primaire les enfants de tablettes, il y a là sans aucun doute un nouvel épisode du décervelage par l’enseignement.
Celui-ci est notamment mis en œuvre par l’apprentissage précoce de la lecture rapide et silencieuse, comme l’a constaté Elisabeth Nuyts : les méfaits de cette lecture trop superficielle sont de mieux en mieux documentés.