Manifestation des Turcs pro Erdogan : soumission et impuissance de l’Allemagne de Merkel

Allemagne Turcs Manifestation Erdogan Soumission Impuissance Merkel
 
Dimanche à Cologne, une manifestation a rassemblé plusieurs milliers de Turcs en soutien à Recep Erdogan qui purge la société turque après le putsch raté de juillet. Après l’affaire Böhmermann et celle des visas, c’est un nouveau signe de la soumission d’Angela Merkel et de l’impuissance de l’Allemagne.
Les organisateurs de la manifestation de Cologne annonçaient cinquante mille participants, Libération en a compté 20.000 et la police allemande 40.000. Une forêt de drapeaux rouges frappés du croissant ont été agités par les sympathisants de l’Union des démocrates européens turcs, nom que se donne à l’étranger l’AKP, le parti islamiste d’Erdogan. Afin de soutenir le président turc « contre le coup d’Etat et pour la démocratie ». Les manifestants ont chanté l’hymne turc et l’allemand. Sur leurs banderoles, on pouvait lire notamment « Erdogan, combattant des libertés » ou « Erdogan, héros de la démocratie ». Tel quel.
 

Merkel a fait semblant de limiter la manifestation

 
Angela Merkel et son gouvernement n’avaient pas interdit la manifestation, ils s’étaient contentés de dépêcher sur les lieux 2.700 policiers pour empêcher des heurts éventuels. Une manifestation assez nette de soumission du pouvoir fédéral devant les exigences d’Ankara et d’impuissance à résoudre les problèmes nés de l’immigration turque. Cependant, pour la forme, pour calmer un peu la colère qui monte en Allemagne, quelques apparences avaient été maintenues. Par exemple, le seul membre du gouvernement turc autorisé à prendre part à la manifestation fut le ministre de la jeunesse et des sports, Akif Cagatay Kilic. A Berlin, cette restriction était présentée comme un acte de fermeté. Dans le même genre, la cour constitutionnelle de Karlsruhe avait refusé aux organisateurs de la manifestation l’autorisation de diffuser en direct un discours du président Erdogan.
 

L’Allemagne humiliée par Erdogan

 
Mais ces réactions timides furent l’occasion pour Recep Erdogan d’affirmer sa domination tranquille. Avant la manifestation, il s’est plaint des manquements à la démocratie en Allemagne et en Autriche, où les Turcs n’auraient « ni le droit de manifester ni celui d’afficher un drapeau turc sur leur maison » (ils l’ont pris à Cologne). Et pendant la manifestation, le président turc a fait distribuer le texte d’une allocution où il accusait les médias occidentaux d’un « parti pris anti-Erdogan » qui leur fait « rendre compte de manière honteuse » de la situation turque.
 
Depuis plusieurs mois, on assiste à un curieux pas de deux entre l’Allemagne et la Turquie, les Allemands humiliés tentant parfois de faire preuve d’un peu de fierté devant Ankara, tentative suivie d’une nouvelle soumission. Au mois d’avril par exemple, à la suite des protestations d’Erdogan contre un documentaire télévisé sur les atteintes aux droits de l’homme dont il est un familier, l’humoriste de gauche Jan Böhmermann, animateur de l’émission Néo Casino Royale sur la chaîne publique Neo ZDF, avait violemment attaqué le président turc dans un poème satirique. Offusqué, Erdogan avait entrepris de le poursuivre devant la justice allemande. Or, en Allemagne, c’est au gouvernement d’autoriser, ou non, le parquet à poursuivre : contre toute attente, Angela Merkel s’était couchée et avait donné le feu vert pour que l’humoriste soit traduit en justice. Celui-ci s’était plaint d’être « jeté en pâture » à l’autocrate d’Ankara, suivi par toute la gauche en Allemagne.
 

Erdogan exige la soumission de la justice et de la presse

 
Imaginons une demande semblable de la part des Britanniques après la chanson ordurière de Renaud sur Madame Thatcher ! Imaginons que le gouvernement français ait fait poursuivre ! C’aurait été un tollé mondial. Mais Angela Merkel, qui semble terrible dans le cadre de l’Union européenne, n’est pas une dame de fer, c’est une dame de chewing-gum, ou plus exactement ce que l’on nomme en Allemagne un « fahrräder », un cycliste. C’est une image empruntée à la course cycliste : elle a la tête inclinée devant le vent dominant, et les pieds qui écrasent ce qui est au-dessous d’elle. Terrible devant Hollande ou Tsipras, obséquieuse devant Erdogan.
 
C’est pourquoi elle ne s’est pas opposée à l’incroyable demande du président turc d’exporter en Allemagne le crime de lèse-majesté. Et ce n’est pas la seule exportation de Turquie qui menace l’équilibre social, la paix civile et la souveraineté de notre voisin, la manifestation de Cologne a permis de le constater.
 

Les Turcs exportent leur guerre civile en Allemagne

 
La Turquie exporte tout d’abord vers l’Allemagne des Turcs : officiellement plus d’un million et demie, plus autant d’Allemands d’origine turque, en vertu du nouveau code de la nationalité allemand. Près d’un million vivent dans la région de Cologne. Et ils votent. Quarante pour cent d’entre eux ont pris part aux législatives anticipées de 2015, 60 % de ces citoyens turcs civiques ont chois l’AKP, le parti du président Erdogan. Mais tous ne sont pas d’accord. En 2013, pour la première fois, des Turcs d’Allemagne ont pris l’avion pour participer aux manifestations de place Taksim à Istamboul. De sorte qu’ils exportent aussi leurs problèmes. Le ministre des affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, s’en est ému auprès de la Süddeutsche Zeitung : « Importer les tensions politiques intérieures de la Turquie chez nous (…), ça ne va pas. »
 
Les rédacteurs du grand quotidien allemand l’approuvent et vont plus loin : « Il est clair que le conflit intérieur en Turquie a atteint le terrain politique en Allemagne ». Autrement dit le putsch manqué et ses suites ont leurs répercussions en Allemagne. Par exemple, plusieurs écoles ou jardins d’enfants soupçonnés d’être financés ou d’avoir une relation quelconque avec le prédicateur Fehtullah Gülen (qu’Erdogan accuse d’avoir fomenté de putsch raté) ont été attaqués la semaine dernière. Et parmi les Turcs vivant en Allemagne, les opposants à l’AKP se disent victimes de menaces et harcèlement. Une demande d’extradition a été formée par Ankara contre des « membres du réseau de Fehtullah Gülen » résidant en Allemagne.
 
Plus généralement, la Turquie exporte sa guerre civile en Allemagne, on l’a vu jusque dans la manifestation de Cologne, puisque la police allemande a dû séparer quelques centaines de Turcs nationalistes et de Kurdes qui en venaient aux mains.
 

Face à la purge de l’armée turque l’impuissance complice

 
Cette réalité inextricable, ce sont l’Allemagne et les Etats-Unis qui l’ont créée ensemble dans les années soixante. L’Allemagne, pour avoir préféré l’immigration turque à une politique nataliste, dans un grand élan hédoniste et suicidaire. Les Etats-Unis pour avoir maintenu, contre vents et marées, la Turquie comme pilier de l’OTAN contre la Russie, sans tenir compte de sa fragilité et de l’islamisation croissante du Proche Orient. On voit les conséquences de cette politique. Aujourd’hui, les points stratégiques de la Méditerranée sont aux mains de pays menacés par l’islamisme : le détroit de Gibraltar avec le Maroc, le canal de Suez avec l’Egypte, que seule la dictature de Sissi a pu arracher aux frères musulmans, et le Bosphore aux mains des islamistes d’Erdogan.
 
La communauté internationale comptait sur l’armée et sur la maçonnerie, dont la secte « modérée » Gülen est une créature, pour freiner Erdogan. Le putsch avorté permet à celui-ci une purge énorme qui réduit à néant cette illusion politique. 19.000 turcs ont été placés en garde à vue, plus de 10.000 inculpés et incarcérés en préventive. Cela touche à tous les secteurs, les médias, l’enseignement, en particulier universitaire, la justice. Tout le monde est soupçonné d’appartenir à la « secte Gülen ». Concernant l’armée, 1.400 militaires de tout grade ont été limogés, dont 149 généraux (la moitié des effectifs). Les écoles militaires sont fermées et remplacée par une université, des ministres civils ont été nommés au Conseil militaire suprême, et une révision constitutionnelle est en préparation pour que le président puisse avoir l’œil et la haute main sur les services de renseignement et l’état-major.
 

La soumission de Merkel résulte d’une impuissance volontaire

 
Bref c’est l’échec total de la politique de l’Allemagne et des Etats-Unis vis-à-vis de la Turquie, et la manifestation de Cologne est l’aveu de leur impuissance. D’autant qu’Erdogan, par un revirement total de sa politique étrangère en Syrie, a renoué avec la Russie de Poutine et laisse Washington en plan.
 
La soumission dont fait preuve Angela Merkel est le produit de ces facteurs : l’Allemagne se trouve envahie par des Turcs qui exportent leurs querelles chez elle, la Turquie, partenaire militaire primordial, n’a plus de politique étrangère lisible, et, brochant sur le tout, c’est Erdogan qui tient le robinet des migrants. Refusant d’exercer son devoir militaire en Méditerranée, l’Union européenne lui a concédé le pouvoir d’arrêter le flux des envahisseurs venus du tiers monde. Elle a signé avec lui un accord par lequel il s’est engagé à restreindre l’exportation des « réfugiés » vers l’Europe en échange d’une forte somme. Cependant, l’Allemagne tente parfois de retrouver un peu de souveraineté : alors Erdogan tire sur le mors et tient les rennes plus serrées. Par exemple, Bundestag ayant reconnu le génocide arménien au mois de juin, le ministre turc des affaires étrangères menace dans une interview parue aujourd’hui dans la presse allemande de dénoncer l’accord UE-Turquie sur les migrants si l’Union n’ouvre pas ses frontières sans visa aux ressortissants turcs au plus tard au mois d’octobre. En d’autres termes on lui propose d’échanger une submersion pour une autre.
 

Les Turcs, l’islam et l’autre manifestation en Allemagne

 
Face au chantage du sultan Erdogan et à la manifestation de puissance que vient de constituer le rassemblement de Cologne, la marge de manœuvre d’Angela Merkel est petite, puisque elle reste fidèle, par idéologie, par construction, aux frontières ouvertes, à l’Union européenne. Elle ne veut pas admettre que le problème, c’est l’invasion, aggravée par l’islam, c’est le vivre ensemble qu’on impose aux peuples d’Europe et dont ils ne veulent pas parce qu’ils savent confusément qu’il prépare leur mort. Face à quelque 250 contre manifestants allemands qui venaient clamer leur inquiétude et leur indignation, la foule musulmane a hurlé « Allahou Akbar ». La presse française a condamné avec mépris « un groupe islamophobe local ».
 
Samedi à Berlin, sans aucun soutien politique, ni médiatique, plusieurs dizaines de milliers de personnes venues de toute l’Europe se sont réunies, sans aucune annonce dans la presse. Ce fut une insurrection contre l’immigration de masse et l’islam en Europe. Le slogan « Merkel muss weg » (Merkel doit partir) y fleurissait. La foule a scandé le nom d’Orban, le premier ministre hongrois. Le drapeau russe était souvent agité avec le drapeau allemand. Doit-on attendre quelque chose de tels mouvements contre l’impuissance et la soumission des gouvernants européens ? Sans doute, un début d’insurrection européenne fait-il toujours plaisir, mais il n’est pas probable qu’il freine vraiment le processus mondialiste : car Victor Orban, il l’a dit, veut une armée européenne, et la bénédiction de Vladimir Poutine aux résistants d’Allemagne et d’Europe de l’Est pourrait bien se terminer par une nouvelle mouture de la « maison commune » dont rêvait Mikhaïl Gorbatchev.
 

Pauline Mille