Si on écoutait leur avis ? A 90 %, les enfants ne veulent pas du divorce de leurs parents

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La très grande majorité des enfants ne veulent pas du divorce de leurs parents, vient de déclarer un juge espagnol des affaires familiales qui a vu passer plus de 15.000 procédures devant sa juridiction. Pour José Luis Utrera, « la famille traditionnelle a explosé » – et c’est une réalité qui fait d’abord du tort aux enfants. Ils sont « toujours » les victimes du divorce, assure ce juge avec toute la force de son expérience de plus de vingt ans. Auteur d’un Guide du bon divorce il ne peut être soupçonné d’une opposition de principe à la rupture légale de l’alliance matrimoniale. Son objectif avoué est même que les divorces se passent bien. Son point de vue n’est pas moral, mais empirique.
 
Dans un entretien qu’il a donné au quotidien La Opinion de Malaga, le juge Utrera plaide pour la médiation, seule capable selon lui de ne pas se borner à un règlement purement juridique des situations où interviennent « des composantes psychologiques, émotionnelles et personnelles très importantes ». Si on ne les prend pas en compte, le règlement juridique est bien là mais les conflits subsistent, donnant lieu à de multiples oppositions et modifications ultérieures, « comme une blessure que l’on panserait sans d’abord soigner l’infection ».
 

Le divorce des parents fait du tort à tous les enfants

 
Ayant exposé tous les problèmes, voire toutes les mesquineries qui peuvent surgir à l’occasion d’un divorce et plus encore, à l’occasion de sa mise en œuvre dans le temps avec les décisions à prendre par rapport aux enfants par exemple, le juge reconnaît :
 
« La famille traditionnelle a explosé. Les codes éthiques, religieux et sociaux qui régissaient la famille traditionnelle ont explosé, et cela fait que dans de nombreux cas, le seul code qui s’applique est le Code civil, et c’est une grave erreur. Nous devrions parler davantage de familles que de famille. Il n’y a pas un seul type de famille, il y en a plusieurs. Dans les tribunaux nous continuons à nous trouver face à des problèmes importants… Nous autres juges, nous souhaitons que l’on publie un code de la personne et des familles, parce que l’être humain est d’abord une personne, ensuite il y a la famille, l’entrepreneur, le travailleur, etc., mais le plus fondamental, à savoir la famille, les incapacités, la quantité de problèmes qui se posent avec les personnes d’âge avancé, tout cela est régulé en Espagne par le Code civil d’une manière fragmentée et insuffisante. Le Nicaragua fait envie, qui dispose de son Code de la famille, où l’on règle spécifiquement tout ce qui est en relation avec les crises familiales. »
 
L’absence d’un tel code ou d’une telle manière de faire s’explique-t-elle ? Oui, répond le juge Utrera :
 
« C’est parce qu’il n’y a pas de conscience sociale du coût du divorce. Le voilà, le grand cheval de bataille. On continue de considérer le divorce comme une affaire privée et comme une question juridique, d’autant qu’il est réglé par le code et par les normes de procédure civile en quelques articles, et on pense que c’est suffisant. On n’a pas conscience du coût social d’un mauvais divorce. Celui-ci produit des enfants qui passent par le système sanitaire, parce qu’ils ont des problèmes de santé mentale, par le système éducatif où ils ont besoin de professeurs spécialisés, et par des systèmes de protection ; ce sont des enfants désemparés par la rupture de leurs parents et même des enfants qui entrent dans le système des infractions pénales des mineurs où, lorsqu’on creuse, la première chose que l’on trouve c’est une rupture des parents mal gérée. Les divorces traumatiques, mal gérés, sont à la racine de nombreux conflits sociaux qui donnent lieu à des dépenses extrêmement importantes. On ne recherche pas de solution parce que ceux d’entre nous qui voyons ces situations n’avons pas d’influence. »
 

L’avis d’un juge pro-divorce sur le divorce : un générateur de chaos

 
Loin d’être opposé à la garde alternée, le juge Utrera constate tout de même que « lorsqu’il n’y a pas une bonne relation entre les parents elle devient souvent un bouillon de culture pour les conflits d’après-rupture ». Alors que selon lui, l’enfant a avant tout besoin de la « coparentalité responsable », c’est-à-dire, quel que soit le mode de garde retenue, une implication égale du père et de la mère.
 
« Ecoute-t-on les enfants lors de la procédure ? », demande le journaliste de l’Opinion de Malaga.
 
« Conformément à la norme légale, on écoute ceux qui ont plus de 12 ans et tous ceux dont le jugement est suffisamment formé. Le problème, c’est que souvent on ne les entend pas, parce que s’il n’y a pas de conflit entre les parents par rapport aux mesures qui vont affecter les mineurs, entendre l’enfant ne manque jamais d’en faire une victime. Les enfants souffrent beaucoup lorsqu’ils sont obligés de venir au tribunal. Les audiences de mineurs, il ne faut les accorder que lorsqu’elles sont strictement nécessaires, parce que c’est cause de grand stress. »
 
Et quel est donc le message des enfants ?
 
« Dans 90 % des cas, ce qu’ils voudraient, c’est de voir leurs parents recommencer à vivre ensemble, et s’ils ne le peuvent pas, que de grâce, ils ne se battent pas. Nous rencontrons des enfants qui sont utilisés pour envoyer des messages de l’un à l’autre, sur lesquels on exerce une pression psychologique pour qu’ils prennent position en faveur de l’un ou de l’autre ; des enfants qui finissent par manipuler eux-mêmes les adultes, parce qu’ils savent que leur opinion est importante, des enfants qui assument toute la responsabilité en croyant que ce sont eux qui décident, et cela provoque des traumatismes qu’ils vont porter pendant toute la vie. C’est pourquoi nous essayons lors des audiences de les décharger de cette responsabilité, en faisant clairement comprendre qu’on les écoute, mais que ce ne sont pas eux qui décident. »
 

A Malaga, en Espagne, 90 % des enfants voudraient voir leurs parents en voie de divorcer se remettre ensemble

 
Si 40 % des divorces ne donnent pas lieu à des conflits ultérieurs entre les conjoints, selon le juge, celui-ci ne cache pas qu’il a vu des couples totalement désemparés, ou un des deux époux psychologiquement détruit, faisant face à des problèmes de travail, médicaux, psychologiques et psychiatriques : « Un vrai chaos. » « Un divorce mal mené finit par éclabousser toute la société », assure le juge Utrera, en reprenant à son compte le jugement des psychologues : « Un divorce est la deuxième situation la plus stressante après la mort d’un être cher. »
 
Bref, si même les partisans du divorce, ceux qui imaginent qu’il peut y avoir de « bons » divorces sont obligés de poser un tel constat d’échec, il serait peut-être temps de reconnaître que le mariage engage non seulement à titre privé, mais aussi devant la société et plus encore devant les enfants qui en naissent.
 
Dans de nombreux pays d’Europe, y compris en France, le divorce, après s’être imposé comme un droit, est aujourd’hui de plus en plus facilité ; dès 2017, il pourra se faire en France simplement devant l’officier d’état civil. Partout où le divorce est plus simple d’accès, il devient plus fréquent, au risque d’achever de faire exploser la société après avoir fait éclater la famille.
 

Anne Dolhein