“Coco” : Disney-Pixar met à l’honneur les superstitions précolombiennes sur la mort

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Le dernier dessin animé des studios Disney-Pixar innove avec un film « sérieux » et des personnages « ethniques » réunis autour d’une arrière arrière-grand-mère qui est le pivot du film, Coco. Petit tour par le Mexique au moment de la fête des morts, El Dia de los Muertos, Coco est une réflexion sur les liens familiaux et l’au-delà. Terrain miné. Sans rêver d’un spectacle sur les fins dernières – après tout, c’est un film de divertissement pour un monde sécularisé – on se serait bien passé de cette propagande pour une vision païenne de la vie après la mort, débouchant sur un néant inéluctable. Sous la direction de John Lasseter, Pixar nous sert une mise à l’honneur des superstitions précolombiennes sur la mort, à peine mâtinées de christianisme. Vis-à-vis des enfants, première cible de cette superproduction, c’est une mauvaise action délibérée.
 
Disons-le d’emblée, comme à leur habitude, les studios Pixar – et le réalisateur Lee Unkrich (Toy Story, Le Monde de Nemo) ont réalisé un travail d’animation superbe, bien rythmé, talentueux – mais manquant singulièrement de la dose d’humour à laquelle il nous avait habitués. Miguel, petit gamin vivant avec ses parents, ses oncles, ses tantes, ses cousins, sa redoutable mais très aimante grand-mère et l’aïeule, Coco, est un héros grave, dévoré par une passion pour la musique latino dont sa famille ne veut pas entendre parler, et qui par un concours de circonstances va se trouver dans la cité des morts, peuplé de squelettes animés. Mis à part quelques blagues récurrentes sur les ossements et leur usage, il n’y a guère de légèreté dans ce film. Sa quête – « initiatique », pour reprendre le mot du “Point” – vise à retrouver un ancêtre musicien et revenir chez les vivants muni d’une indispensable « bénédiction » d’un membre défunt de sa famille, sous peine de se transformer lui-même en squelette au lever du jour.
 

“Coco” célèbre les croyances précolombiennes au Mexique

 
Ce monde de l’au-delà, celui des cultures préhispaniques au Mexique, n’a rien d’un enfer, d’un purgatoire, et encore moins d’un paradis. Les morts y attendent el Dia de los Muertos qui chaque année, leur permet de se rendre invisiblement auprès des leurs, dans les lieux où ils ont vécu, pour retrouver un peu de cette chaleur humaine et familiale qui est censée faire la trame de Coco. Sur terre, leurs descendants vivants leur auront préparé des autels votifs et des offrandes de nourriture, tout ce qu’ils aimaient et qu’ils pourront humer, avec force crânes en sucrerie. La fleur des morts des Aztèques, le cempoalxúchitl, est omniprésente, ses pétales orange servant à tracer des chemins pour indiquer la route aux défunts qui rejoignent les vivants. On a pu remarquer que les autels votifs ont la forme des pyramides de la religion aztèque, au sommet desquelles on sacrifiait des êtres humains – à la grande horreur des Conquistadors espagnols. Précisément, les divinités précolombiennes, Mictlantecuhtli, « Seigneur de la terre des morts » (son épouse était Mictecacíhuatl, la « Dame de la mort »), disparus aujourd’hui des festivités, étaient jadis honorés ou plutôt apaisés par des sacrifices humains – des personnes à qui on arrachait la peau. C’était aussi le moment d’exposer les crânes des ennemis vaincus. Dans le Mexique contemporain, on peut dire que ces sacrifices ont été remplacés par les « offrandes » elles aussi au cœur du film Coco : bougies, pain des morts, tequila dans un macabre décor très coloré de crânes ricanants.
 
Ces rituels anciens – élevés au grade de « patrimoine de l’humanité » par l’Unesco en 2003 – ont été plus ou moins conservés par les indigènes lors de l’arrivée des évangélisateurs espagnols et en quelque sorte intégrés dans le calendrier chrétien à travers la fête de la Toussaint et la commémoraison des fidèles défunts. Christianisation pour le moins imparfaite ; il s’agit plutôt d’un syncrétisme, ce que le film Coco rend assez bien en limitant l’imagerie et les références chrétiennes à la vision furtive d’un crucifix ou d’un petit tableau qui semble représenter notre Dame de Guadalupe dans une chambre, ou de croix sur des tombes. Une « moquerie », dénonce avec justesse Steven D. Greydanus dans le New Catholic Register, car cela ne signifie rien dans un environnement où l’on attend la « mort finale ».
 

Des superstitions indigénistes à la « mort finale »

 
Des responsables catholiques au Mexique, comme les Pères salésiens, s’efforcent de donner un sens chrétien à ses festivités, tentant de montrer qu’il s’agit d’une « semence de vérité » telle qu’on en trouve chez les païens, et qu’il faut considérer le Jour des morts comme un bon moment pour honorer les saints et pour prier pour les âmes du purgatoire. Soit – mais c’est au mieux naïf. Car il n’y a rien de tel dans l’imagerie, la symbolique, les rituels de la Fête des morts. Au contraire : de plus en plus à l’honneur avec le processus de la reconnaissance des mouvements indigénistes, la fête de la mort a facilité l’expansion du culte de la « Sainte Mort », qui aujourd’hui s’installe de plus en plus visiblement dans la société mexicaine au point que le gouvernement de Mexico a financé et organisé fin octobre un défilé que nous évoquions ici en rappelant que le caractère sataniste de ces célébrations était dénoncé par certains prêtres.
 
Le film Coco va au-delà des superstitions et des croyances propres à la fête des morts en mettant en scène la vie d’après la mort comme une sorte de vie parallèle à celle d’ici-bas, avec ses bons, ses méchants, ses bonnes actions, ses trahisons, ses mensonges, bref, un monde parallèle où l’on n’est finalement pas jugé. La dimension politique n’est pas absente puisque John Lasseter, de Pixar, a bien expliqué qu’il voulait faire un film de la « diversité » pour mettre à l’honneur des ethnies généralement oubliées dans les films d’animation, en rompant avec les contes européens. D’aucuns y ont vu aussi une dénonciation du mur entre les Etats-Unis et le Mexique, vu que les squelettes vivants du pays des morts sont obligés de passer à une sorte de douane bien gardée pour rejoindre les vivants, la vérification portant sur le fait de savoir si quelqu’un sur terre a bien mis leur photos sur la fameuse « ofrenda », l’autel votif. Etant donné que le film est en préparation depuis plus de six ans, il ne s’agit certes pas d’une petite pique anti-Trump mais l’idée des clandestins est bien présente. Ce n’est pas l’essentiel pourtant.
 
Coco diffuse essentiellement l’idée selon laquelle les morts ne vivent véritablement que dans la pensée des vivants. Une fois oubliés, ils disparaissent dans un néant que le film symbolise par la désintégration (après une agonie misérable) de ces pauvres défunts auxquels personne ne pense en poussière dorée : un moment redouté plus que la mort, c’est la « mort finale » qui, telle qu’elle est montrée dans le film, est empreinte d’une désespérance tragique. C’est peut-être là la perversion la plus grande de l’esprit de ce dessin animé pour enfants, car si les spectateurs un peu avertis peuvent faire la part des choses, les plus jeunes peuvent se laisser prendre à cette eschatologie païenne et ce d’autant plus facilement que la mort, et plus encore l’au-delà, sont aujourd’hui des sujets tabous dans la société qui nous entoure.
 
En l’occurrence, l’oubli est celui de Coco, abandonnée par son père parti faire de la musique en quittant le foyer conjugal, celui-là même que Miguel part chercher dans l’au-delà : oubli de vieillard dément en somme, qui fait mourir le souvenir même de la lignée.
 

Les studios Disney Pixar apportent leur écot au paganisme environnant

 
Dans la littérature et la cinématographie enfantines contemporaines, la mort destructrice pour toujours est un thème récurrent. Cette disparition dans le néant, la réduction en poussière dans le tout cosmique qui fait penser aussi aux religions orientales, est par exemple celle qui constitue la fin et le but ultime dans la trilogie A la croisée des mondes (His Dark Materials) de Philip Pullman, où Dieu le Père est un tyran sénile, les anges déchus des exemples d’intelligence et de sagesse, et le sort attendu par les âmes du monde des ombres la désintégration qui les libérera de tout.
 
Autre constante empruntée à cette imagerie à la fois moderne et fort ancienne dans ses références gnostiques : chaque personne, avant comme après la mort, est accompagnée d’un esprit animal qui l’aide et le guide et se laisse voir parfois dans une débauche de couleurs psychédéliques (toutes autres considérations mises à part, leurs apparitions dans Coco « jurent » désagréablement par rapport aux tonalités des décors et renforcent l’impression de kitsch). Ces esprits, qui ne sont certes pas de bons anges si l’on en juge d’après leur apparence (dragons ailés, grands félins) sont notamment chargés de montrer les chemins aux enfers.
 
Dans Harry Potter, ce sont les « Patronus » qui sont comme l’émanation des personnages, invisible la plupart du temps. Dans la trilogie de Pullman, leurs noms sont plus évocateurs : ce sont les Daemons.
 
Les réalisateurs de Coco ont donc repris le concept mais en utilisant une imagerie d’animaux fantastiques très colorés, les « alebrijes » nés de l’imagination d’un artiste mexicain des années 1930, Pedro Linares qui les avait vus dans ses cauchemars lors d’une maladie qui l’avait plongé dans des périodes de sommeil agité. Il s’était mis à sculpter ces chimères horribles mais ce n’est que lorsqu’il y a ajouté de la couleur pour les rendre moins repoussantes que l’idée de les fabriquer en série avait pris dans la province d’Oaxaca grâce à l’attention d’artistes locaux comme Diego Rivera (le nom de la famille de Miguel dans Coco, soit dit en passant) et Frida Kahlo qui fait l’objet d’un clin d’œil dans le scénario. L’idée allait être reprise par des artisans réalisant des sculptures d’alebrijes en papier mâché mais à l’origine, Linares les fabriquait à partir d’un bois local appelé copal, réputé magique, utilisé à la manière de l’encens lors des cérémonies religieuses des Mayas et des Aztèques, brûlé au milieu des ofrendas du jours des morts, et utilisé comme symbole de la jeunesse et de l’amour à des fins de méditation, ou encore de culte idolâtre comme le font encore les Chiapas.
 
Comme le dit Patrick Polk, conservateur du musée de l’Art latino-américain et des Caraïbes à Los Angeles, ces animaux sont des expressions de la culture indigène : « Il y a de ces impulsions dans les formes de l’art traditionnel mexicain où les gens fabriquent des animaux sauvages et des créatures merveilleuses. Il y a des connexions qui remontent à une forme d’esthétique précolombienne et aux idées du surnaturel.Ca des racines très, très profondes. »
 

Pixar signe un film quelconque, acclamé par la critique

 
Voilà qui accentue encore le caractère païen de Coco, dont les références souriantes et amènes à une culture particulièrement violente et sanguinaire sont sans doute plus nombreuses qu’on ne le croit.
 
Aux antipodes de la vision chrétienne de l’au-delà, le film véhicule une idéologie très caractéristique liée au culte des ancêtres et à celui des morts, sous des apparences vertueuses. Car pour mieux faire avaler cette vie d’après la mort ou le mal est toujours mêlé au bien et où l’on attend, avec effroi, la disparition finale, identique pour les bons et les méchants, les bons sentiments abondent. Ainsi, le petit héros, Miguel, achève-t-il son passage aux enfers en affirmant, après être entré en rébellion contre sa famille, qu’elle est plus importante que tout, au point d’être prêt à renoncer à son rêve personnel pour lui exprimer son amour. Un esprit de sacrifice donc, qui fait penser au sacrifice à la fin de la série des Harry Potter où celui-ci est disposé à donner sa vie pour ceux qu’il aime. Mais comme tout cela est tordu et finalement dépourvu de vérité, puisque cela entraîne ceux qui s’identifient à eux et les admirent vers la sorcellerie ou vers les croyances infernales !
 
Ce n’est pas un hasard non plus si le chien des rues qui guide Miguel – le xoloitzcuintle ou chien sans poils présent au Mexique depuis les temps précolombiens – s’appelle Dante. Car c’est bien d’une descente aux enfers qu’il s’agit. Pas mal pour un dessin animé de la saison de Noël…
 
Coco, réussi sur le plan technique, plus discutable en tant que divertissement, et marqué par le sentimentalisme sirupeux d’une musique de seconde catégorie, doit certainement à son parti-pris indigéniste et non-chrétien une critique dans l’ensemble dithyrambique. Il y a des religions qui passent la barre, d’autres non. On n’imagine pas qu’un exercice similaire décrivant les croyances des catholiques en chrétienté puisse rencontrer la même approbation…
 
Coco a déjà brisé tous les records de fréquentation et de recettes au Mexique ; au 3 décembre, le box-office atteignait déjà les 280 millions de dollars, grâce notamment à un succès totalement inattendu en Chine où les recettes dépassent déjà les 80 millions de dollars, sans doute à cause des résonances avec les croyances traditionnelles chinoises très marquées par le culte des ancêtres. Certains lui prédisent un succès comparable à celui du méga-navet écolo, “Avatar” qui détient le record mondial actuel.
 
Comme quoi la religiosité peut faire recette au cinéma – pourvu qu’elle soit servie à la sauce païenne.
 

Jeanne Smits