La déchéance de nationalité figurera dans le projet de loi constitutionnelle

Déchéance nationalité loi constitutionnelle
Manuel Valls s’exprime sur le projet de révision de la Constitution devant la presse au palais de l’Elysée, le 23 décembre. Christiane Taubira répondra également aux questions.

 
Contrairement à ce qu’avait cru pouvoir annoncer le gouvernement français, contrairement à ce que le ministre de la Justice, Christiane Taubira, avait annoncé à Alger, la déchéance de nationalité figurera bien dans le « projet de loi constitutionnelle sur la protection de la Nation », au même titre que l’état d’urgence. Ainsi en a finalement décidé le président de la République. Malgré les nombreuses critiques à gauche, François Hollande n’a donc pas cru devoir revenir sur les annonces faites au Congrès au lendemain des attentats du 13 novembre.
 
A l’issue du conseil des ministres, le premier ministre a donc déclaré que ces deux mesures, solennellement annoncées par le président de la République devant le Congrès le 16 novembre dernier, figureraient bien dans le « projet de loi constitutionnelle sur la protection de la Nation ».
 

La déchéance de nationalité proposée au Congrès

 
Pour être adoptée, cette réforme constitutionnelle doit être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, puis soumise à l’approbation de la Nation. Compte tenu des critiques importantes qui ont commencé à marquer ce débat, tout spécialement à gauche, la voie référendaire semble exclue, car trop risquée. On devrait donc avoir de nouveau recours à un vote du Parlement réuni en Congrès à Versailles, ce qui nécessite d’obtenir la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés pour valider la réforme.
 
« Je suis convaincu que nous aurons une large majorité à l’Assemblée et au Sénat », a déclaré Manuel Valls mercredi soir sur le plateau de TF1. Mais avec quelles voix ?
 
Le chemin de la réforme constitutionnelle ne sera pas facile pour le premier ministre. En l’état actuel, il ne peut espérer l’obtenir que grâce aux voix de la droite, majoritairement favorable à la mesure d’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux. A rebours, un nombre relativement élevé des voix de gauche devrait lui faire défaut.
 
Face à la confusion dont son gouvernement a fait preuve sur ce sujet, le premier ministre s’est retranché derrière la parole « première » et « dernière » du président de la République – avouant de ce fait que François Hollande avait, en l’occurrence, contredit la réflexion de son gouvernement. Curieusement, en défendant cette dernière position, Manuel Valls a déclaré que « l’efficacité n’est pas l’enjeu premier » de cette « mesure symbolique » – propos qu’il tenait déjà il y a quelques jours quand il semblait pencher en faveur du retrait de la mesure sur la double nationalité.
 

Le cas Taubira

 
Il a en outre annoncé que Christiane Taubira défendrait avec lui le texte devant le Parlement.
 
On touche là au point qui a sans doute fait le plus de bruit autour de ce débat ces dernières heures. D’abord, parce que Christiane Taubira est fondamentalement opposée à cette question de l’extension de la déchéance de nationalité, dont elle affirmait, à Alger, qu’elle lui posait « un problème de fond sur un problème fondamental qui est le droit du sol auquel je suis profondément attachée ».
 
On peut supposer que la redondance n’était là que pour mieux affirmer la profondeur de son attachement !
 
Quoi qu’il en soit, la décision présidentielle est manifestement une claque pour le ministre de la Justice, d’autant plus que Christiane Taubira est désormais dans la situation de défendre devant le Parlement une décision dont elle a dit tout le mal qu’elle pensait !
 

Appel à la démission du ministre de la Justice

 
Devant une telle contradiction, l’opposition de droite a demandé la démission de Christiane Taubira, dont on peut effectivement se demander qu’elle avocat elle pourra être d’une mesure qu’elle dénonce.
 
Comme le souligne de son côté Bernard Antony, « il n’est que temps pour Christiane Taubira de débarrasser… le parquet en particulier et la justice en général de sa pitoyable gouvernance idéologique ».
 
On pourrait multiplier à l’envi les critiques qui ont été faites sur le sujet tant au gouvernement qu’à Christiane Taubira en son particulier. Retenons celle de Marine Le Pen, qui doit particulièrement faire bouillir Manuel Valls : « Déchéance de nationalité : premier effet des 6,8 millions de voix pour le Front National aux élections régionales. »
 
Certes, le premier ministre démentira que cela ait rien à voir avec la décision présidentielle. On peut néanmoins se poser la question…
 
On peut, pour finir, se demander si la révision constitutionnelle paraitra si évidente que cela au Congrès. En effet, si la question de la déchéance de la nationalité devrait, nous venons de le souligner, recueillir sans trop de difficultés, et malgré les critiques, une majorité de voix, l’autre mesure-phare du projet, à savoir l’inscription dans la Constitution de l’état d’urgence, qui semble pourtant plus consensuelle, connaît elle aussi ses farouches opposants. Mais pas les mêmes…
 

Le projet de loi constitutionnelle et l’état d’urgence

 
Ainsi, de nombreux députés, et pas seulement de droite, observent-ils que le Conseil constitutionnel ayant validé mardi les assignations à résidence prévues dans le cadre de l’état d’urgence, sa constitutionnalisation est inutile.
 
La question qui se pose donc est de savoir si la révision constitutionnelle peut être adoptée avec des majorités différentes pour chacune des deux mesures en cause. Dans le principe, oui : le vote est acquis dès que, sur une question, le nombre de voix est suffisant – en l’occurrence donc les trois cinquièmes. Mais certains députés, étant favorables à l’une des mesures et hostiles à l’autre, se poseront peut-être la question de savoir s’il ne vaut pas mieux ne rien voter, plutôt que de voir adoptée une mesure dont ils ne veulent pas. C’est un peu la question du verre à moitié vide ou à moitié plein…
 
Manuel Valls, qui décidément n’en rate pas une, aura sans doute réussi à braquer les députés de droite qui se pose cette question, parce qu’ils étaient prêts à voter la mesure sur la déchéance de nationalité. N’a-t-il pas déclaré que la constitutionnalisation de l’état d’urgence permettrait de le mettre « à l’abri de toute dérive partisane » lors d’un changement de majorité ?
 
Il y a deux explications possibles à cette déclaration qui pourrait être suicidaire. Soit le premier ministre veut faire capoter le projet présidentiel avec lequel il n’était pas fondamentalement d’accord, en songeant peut-être se réapproprier la sympathie d’une partie de la gauche.
 
Soit Manuel Valls a parlé, une nouvelle fois, en idéologue, et en spécialiste éminent de la « dérive partisane ».
 
Je laisse aux lecteurs le soin de choisir…
 

François le Luc