Victoires du nihiliste Di Maio (M5S) et de l’eurosceptique Salvini (Ligue) : les législatives en Italie, séisme pour l’euro

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Le bouleversement politique issu des dernières élections législatives fait passer l’Italie d’une situation pré-insurrectionnelle à la révolte ouverte. L’effondrement du centre-gauche de Matteo Renzi, parti qu’incarne en France le pseudo-philosophe verbeux Emmanuel Macron, devrait être un signe inquiétant pour la finance. Certes les taux des emprunts à dix ans de l’Etat italien restent au même niveau une semaine après que les partis « antisystème » de droite (la Ligue eurosceptique de Matteo Salvini) et de gauche (le Movimento Cinq Stelle, M5S) ont balayé l’establishment issu de l’après-guerre. L’euro a complètement ignoré l’événement, gagnant même 2 % sur le dollar depuis ce séisme. « Une forme de délire », commente Ambrose Evans-Pritchard dans le Daily Telegraph de Londres.
 

Au M5S, Luigi Di Maio est inspiré par le néo-marxiste Thomas Piketty

 
Pourtant, le mois dernier, le syndicat patronal Cofindustria dépeignait encore le mouvement néo-anarchiste du M5S comme un ramassis de dangereux extrémistes, terrifié par son projet de revenir sur la réforme des retraites, sur la réforme du droit du travail (le Job Act), et de lancer un revenu universel qui ferait exploser le budget d’un Etat affichant déjà une dette publique équivalant à 132 % du PIB, le taux le plus élevé de l’UE après celui de la Grèce. Aujourd’hui, le même syndicat tente de limiter les dégâts, félicite l’élégant chef d’orchestre du M5S assis sur ses 33 % de voix : « Le Cinque Stelle ? On a connu pire. » Or Luigi Di Maio ne ressemble en rien à la marionnette Macron, plus proche du travailliste « rouge » Jeremy Corbyn et du néo-marxiste Thomas Piketty.
 
Ancien économiste en chef du Trésor Italien, Lorenzo Codogno décrit ainsi les cadres du M5S : « J’ai siégé avec eux au comité du Budget et je peux vous assurer qu’ils sont incompétents. Leur programme entasse les propositions de 40.000 militants envoyées par internet, totalement incohérentes. Ils ne possèdent aucune personnalité apte à la réflexion économique. S’ils annulent la réforme du marché du travail, les entreprises iront à l’étranger. »
 

M5S et Ligue projettent de changer les règles de l’euro depuis l’intérieur

 
Les marchés financiers semblent exclure une menace sur l’euro et un « italexit », mais ignorent que les programmes, du M5S (gauche) et de la Ligue (droite) sont incompatibles avec l’Union monétaire. Tous projettent de changer les règles de l’euro depuis l’intérieur, processus plus lent mais bien plus menaçant pour Berlin et Bruxelles.
 
Marco Tronchetti Provera, patron de Pirelli, parle de calme avant la tempête : « Les différentiels de taux vont exploser dans les minutes qui suivront l’entrée de ces partis au gouvernement, avec leurs projets de renversement des lois fiscales et d’interventionnisme utopique. » Il met en garde contre une procédure de défaut de paiement façon Grèce, avec son lot d’économies drastiques. Mais, objecte Ambrose Evans-Pritchard, « Si les élites européenne essaient d’étouffer ce printemps italien comme ils l’ont fait pour le printemps grec, ils feront exploser l’ensemble du projet européen ». A l’heure actuelle la BCE garantit la dette italienne par les rachats massifs de dette de son programme d’assouplissement quantitatif. Ce programme doit prendre fin en septembre, privant l’Italie sans acquéreurs en dernier ressort. Or la BCE a couvert la totalité des déficits budgétaire du pays depuis au moins deux ans, accumulant 320 milliards d’euros de titres italiens.
 

L’Italie, minée par une longue dépression, ne dispose d’aucune marge

 
La BCE peut difficilement prolonger ses achats car elle atteindra la limite au-delà de laquelle elle financerait illégalement les Etats-membres. La Bundesbank se battra becs et ongles contre une telle dérive, surtout s’il s’agit de renflouer un gouvernement frontalement opposé aux règles européennes. Or l’Italie ne dispose d’aucune marge. Elle a manqué le retour global de la croissance en raison des politiques restrictives délirantes de la BCE de 2010 à 2012, de l’austérité obsessionnelle imposée par l’Allemagne de 2010 à 2014, puis des politiques européennes de renflouement des banques qui ont écrasé la reprise. La longue dépression a atrophié la base économique italienne, faisant encore augmenter la dette. La mini-reprise de la zone euro permise par l’assouplissement quantitatif de la BCE commence déjà à s’essouffler alors que la banque centrale réduit ses achats. Les prévisions de masse monétaire plongent à leurs plus bas niveaux depuis la grande récession. On peut imaginer un ralentissement en 2019, avant que l’Europe ait construit de nouveaux pare-chocs monétaires et fiscaux. Si tel est le cas, le pire est à prévoir pour l’Italie.
 

Salvini et les eurosceptiques de la Ligue veulent lancer une monnaie parallèle

 
Salvini et les eurosceptiques de la Ligue savent que la prochaine étape sera la crise de solvabilité italienne. Ils ont inséré un projet de monnaie parallèle dans le programme du bloc conservateur (Ligue et Forza Italia, principalement), en tête aux législatives avec 37 % des voix. Cette monnaie serait appuyée sur un emprunt perpétuel du Trésor destiné à rembourser des arriérés de l’Etat à hauteur de 70 milliards d’euros. Silvio Berlusconi a depuis longtemps caressé cette idée afin de prévenir un effondrement du crédit.
 
Claudio Borghi, économiste de la Ligue, admet que ce plan amènerait la création d’une monnaie italienne sous contrôle souverain : « Nous ne sommes pas la Grèce, nous sommes un pays bien plus important et nous sommes contributeurs nets au budget européen, alors comme Bruxelles pourrait-il nous arrêter ? », confie-t-il à Ambrose Evans-Pritchard. Qui conclut : « Un tel plan défierait le contrôle de la BCE sur la création monétaire et anéantirait le consensus allemand et néerlandais sur l’euro ». Les Etats du Nord feraient un parallèle avec l’Union latine, lancée en 1865 entre France, Belgique, Italie, Suisse et Grèce, et qui capota suite à un excès d’émission de papier par l’Italie. Les économistes italiens favorables à ce plan visent ainsi clairement à pousser l’Allemagne à quitter l’euro.
 

Matthieu Lenoir