Alors que la Russie la dit otage des services britanniques et nie toute responsabilité dans son empoisonnement au moyen de l’agent innervant Novitchok aux côtés de son père Sergueï le 4 mars dernier à Salisbury, en Angleterre, Ioulia Skripal a fait une première apparition télévisée sous forme de message vidéo qu’elle a lu en langue russe. La vidéo est sous-titrée en anglais et accompagnée d’une version manuscrite également rédigée en anglais. Le lieu de l’enregistrement est tenu secret car la fille de l’ancien agent double russe est toujours sous protection policière. Elle est en convalescence depuis sa sortie de l’hôpital annoncée dès le 10 avril tandis que son père a pu quitter l’hôpital le 18 mai. La précédente déclaration de Ioulia Skripal au début du mois d’avril n’avait pas été lue directement par l’intéressée mais avait été publiée par la police londonienne.
Ioulia Skripal et son père sous haute protection policière selon les Britanniques, otages selon les Russes
Estimant avoir de la chance d’être encore en vie, Ioulia Skripal, qui est restée 20 jours dans le coma, explique dans l’enregistrement vidéo publié ce jeudi avoir vécu avec son père un épisode extrêmement pénible et douloureux, mais a dit espérer, « à plus long terme », retourner chez elle dans son pays. Parlant de leur empoisonnement, la fille de l’ancien espion a déclaré : « Le fait qu’un agent innervant ait été utilisé pour faire ça est choquant. Ma vie en a été bouleversée. » Elle a remercié le personnel de l’hôpital de Salisbury et a demandé que l’on respecte sa vie privée. Elle s’est dite reconnaissante des offres d’assistance de la part de l’ambassade de Russie mais a déclaré ne pas vouloir recourir aux services de son ambassade pour le moment.
D’après les enquêteurs britanniques, le Novitchok utilisé pour empoisonner Sergueï Skripal avait été appliqué sur la poignée de la porte d’entrée de son domicile, car c’est là que les plus fortes concentrations ont été retrouvées. Du fait du type de l’agent innervant utilisé – le Novitchok a été développé par l’Union soviétique puis par la Russie après la fin de l’URSS – le Kremlin a rapidement été accusé par Londres et les autres capitales occidentales d’être derrière l’empoisonnement, ce qui a donné lieu à l’expulsion de nombreux diplomates à titre de rétorsion.
La nature de l’agent chimique utilisé a été confirmée le 12 avril par les experts de l’organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Contrairement à ce qui a été dit par certains médias, le rapport rendu public ne précise toutefois pas l’origine de ce Novitchok. Selon les déclarations du représentant britannique auprès de l’OIAC, qui a eu accès à la partie confidentielle du rapport de l’organisation, ni le laboratoire britannique de Porton Down ni les analystes de l’OIAC n’ont identifié le pays ou le laboratoire d’origine de l’agent innervant utilisé dans l’empoisonnement des Skripal.
C’était bien du Novitchok, mais avait-il été fabriqué en Russie ?
Un des chimistes russes qui a participé à la mise au point du Novitchok à l’époque soviétique, Vil Mirzayanov, estimait début avril que la culpabilité de la Russie ne faisait aucun doute mais il affirmait aussi que les Skripal n’avaient absolument aucune chance de survie. La suite des événements lui a apporté un démenti sur ce deuxième point, ce qui semble conforter la défense du président russe Vladimir Poutine : celui-ci a redit le week-end dernier que Sergueï Skripal et sa fille auraient certainement été tués si du Novitchok russe de qualité militaire avait été utilisé. Mais Mirzayanov a aussi précisé que le Novitchok a été utilisé contre les Skripal dans une atmosphère humide qui, ayant dissous le poison, a nui à son efficacité.
De son côté, le Telegraph britannique explique dans un article très complet sur le message vidéo de Ioulia Skripal comment il est possible de soigner les gens en cas d’attaque au moyen d’un agent innervant, y compris si c’est du Novitchok. Du reste, l’OIAC a confirmé qu’il s’agissait bien de Novitchok avec une pureté élevée, et si le Royaume-Uni a accusé aussi rapidement la Russie, c’est aussi parce que ce ne serait probablement pas la première fois que la Russie assassine de la sorte ses ressortissants en territoire britannique.