Il a plu à Konstantin Malofeev et Alexandre Douguine : Li Xiguang, universitaire chinois, vante le développement communiste

Li Xiguang communiste Douguine
 

Est-il conscient d’avoir contribué au site russe katehon.com de l’Institut Tsargrad ? La publication par ce dernier d’une réflexion de l’universitaire chinois Li Xiguang sur la multipolarité ne répond pas à cette question ; peut-être s’agit-il d’une simple reprise, mais celle-ci en dit long sur l’idéologie promue par l’oligarque Konstantin Malofeev et le philosophe gnostique et guénonien Alexandre Douguine. Li Xiguang est universitaire, ancien journaliste et professeur de journalisme dans un pays qui tient les médias et les réseaux sociaux avec une main de fer ; il enseigne à l’université Tsinghua et s’est notamment distingué comme conseiller du pouvoir central (autrement dit, du Parti communiste chinois) en matière de crises sanitaires. Sa tribune est une violente charge contre l’Occident, contre lequel le communisme chinois aurait apporté une réponse salutaire.

Avec cela, Li Xiguang a été directeur d’un organe de l’UNESCO sur les médias et l’information, et il est spécialiste du « soft power » : la manière d’influencer l’opinion publique.

 

Li Xiguang, forcément un communiste approuvé par le PCC

Son texte mérite d’être lu par ceux qui imaginent la Russie de Poutine, bien alignée idéologiquement sur les idées de Douguine et Malofeev ainsi que le laissent comprendre les lexiques communs, les idées partagées, les idées promues par Poutine et ses proches et Malofeev et ses proches. Au centre, la fameuse « multipolarité » qui revient en boucle dans les discours des uns et des autres. Li Xiguang l’explique et l’éclaire. Elle est aux antipodes de la vérité, récusant avant tout l’idée d’un quelconque universalisme, surtout chrétien.

Nous vous proposons la traduction intégrale de cet article de Li Xiguang. Il faut le lire avec en toile de fond, ce que nous savons de la Chine communiste totalitaire, persécutrice des chrétiens, « colonisatrice » du catholicisme d’Etat dont la foi et la pratique sont sous la coupe du Parti, adepte d’une surveillance qui dépasse tout ce que nous avons pu connaître. Il faut le lire avec le souvenir des Laogaï, des souffrances du peuple chinois, des millions et des millions de morts, de Mao et de sa tyrannie. Il faut le lire en rappelant les abominations de la politique de l’enfant unique et ses avortements forcés. La révolution communiste est un tout.

Il faut le lire encore avec la conscience de ce qui a permis l’essor industriel de la Chine : son intégration dans le concert des nations commerçantes décidée par les mondialistes qu’on peut appeler occidentaux (mais cela va bien plus loin, et contre les intérêts et la vraie culture de l’Occident), ses avantages concurrentiels, l’idée d’en faire « l’atelier du monde » en profitant de ses bas salaires.

 

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Après le 20e congrès national du parti communiste chinois, la « modernité chinoise », la « nouvelle forme de civilisation humaine », la « diversité des civilisations », la « coexistence des civilisations surpassant la supériorité des civilisations » ont été inscrites dans le rapport du congrès ou dans la constitution du parti nouvellement révisée. Il s’agit d’une toute nouvelle façon de penser des intellectuels depuis que la modernité européenne a été copiée au début du siècle dernier.

À une époque où l’idéologie et le capitalisme occidentaux infiltrent totalement nos vies, la modernité chinoise et la nouvelle forme de civilisation constituent une étape importante dans la production de la connaissance d’une nouvelle modernité.

Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, les États-Unis et l’Occident affirment que la Chine ne pourra devenir membre de la société moderne en acceptant pleinement les paradigmes idéologiques occidentaux.

Ces dernières années en particulier, les médias et les hommes politiques occidentaux ont uni leurs efforts pour utiliser un langage médiatique raciste afin de renforcer une image totalement négative de la Chine. En manipulant l’ordre du jour de la communauté internationale, l’Occident accélère l’internalisation de son idéologie dans les sociétés non occidentales. Tout pays qui s’écarte du système de valeurs occidental et adopte un système indépendant de l’Occident sera qualifié de « nation voyou » ou de « paria ».

Au cours du siècle dernier, le parti communiste chinois a rempli sa mission, en unissant le peuple chinois pour dessiner une magnifique image du développement humain sur le vaste territoire de la Chine, et en faisant en sorte que les peuples qui ont été asservis physiquement et mentalement par les colonialistes occidentaux pendant plus de 100 ans se lèvent, porteurs d’une modernité flambant neuve.

La modernité chinoise se définit par le maintien de liens étroits avec le peuple et la mise en pratique d’une philosophie de développement centrée sur le peuple. Mais ce message clef n’est pas dans l’esprit des personnes qui brandissent la bannière de la modernité occidentale depuis le siècle des Lumières en Europe.

Après plus de 40 ans de réformes et d’ouverture, lorsque nous parlons de modernisation à la chinoise, il ne s’agit plus seulement des quatre modernisations de l’industrie, de l’agriculture, de la défense nationale et de la science et de la technologie initiées par le premier ministre Zhou Enlai lors du 10e congrès national du PCC en 1974. Lors du 18e congrès national du Parti communiste chinois en 2012, le président Xi a formulé, sur la base d’une synthèse de l’expérience et d’une analyse approfondie de la situation réelle de la Chine, un plan pour la promotion globale de la nouvelle modernisation à partir des cinq aspects de la civilisation que sont l’économie, la politique, la culture, la société et l’écologie. L’objectif stratégique du plan « cinq en un » est une nouvelle version de la modernité.

La Chine a été contrainte de commencer son occidentalisation depuis 1840. Mais la modernité chinoise proposée par le 20e Congrès du Parti n’est pas seulement définie en termes d’économie et de société, mais aussi de politique, de culture et même d’écologie. Et les normes de la nouvelle modernité sont localisées en Chine.

Dans son rapport au 20e congrès du parti, le président Xi a proposé une toute nouvelle définition du socialisme aux caractéristiques chinoises, qui est une combinaison des conditions nationales réelles de la Chine avec la tradition et le système de valeurs millénaires de la Chine.

L’Occident, héritant de sa tradition colonialiste, continue d’utiliser sa mentalité coloniale pour asservir les pays en développement sur le plan économique, mais aussi idéologique, en « orientalisant » et en « diabolisant » les pays du Sud.

L’ancien secrétaire d’État américain Pompeo a averti la Chine qu’elle devait rester à sa place. On dirait un propriétaire d’esclaves qui s’adresse à ses esclaves.

Au XVIIIe siècle, les Européens ont été profondément impressionnés par la richesse et le style de gouvernance de la Chine. Entre-temps, les idées des économistes classiques britanniques comme Adam Smith ont été intégrées dans l’histoire de la montée de l’Occident : le concept de l’industrie capitaliste est le « progrès », tandis que l’Asie serait « arriérée » et « autoritaire ».

Le sociologue allemand Max Weber a suggéré à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle que l’Inde et la Chine ne possédaient pas les valeurs culturelles nécessaires au capitalisme. Malgré cela, elles peuvent être « modernisées », mais seulement à travers un processus douloureux de transformation culturelle, en éliminant leurs « barrières » culturelles au développement capitaliste.

Aux yeux de certains historiens, l’Europe possède des caractéristiques inégalées qui lui permettent d’être la première à se moderniser. L’Europe aurait ainsi obtenu la légitimité morale et le pouvoir de répandre la « modernité » dans le monde entier, alors que les pays extra-européens n’auraient pas pu produire la « modernité » de manière indépendante en raison d’« obstacles » culturels, politiques ou économiques.

De nombreuses personnes pensent que ces concepts, en particulier le capitalisme de marché et la démocratie, ne peuvent provenir que de la civilisation occidentale. En raison de leur « perfection », la civilisation européenne est universelle, non seulement pour l’Occident, mais pour tout le monde.

Cette façon d’envisager l’essor du monde moderne repose sur une supériorité culturelle imaginaire de l’Occident. La pensée eurocentrique représente la « soft power » des États-Unis et de l’Occident, et croit que toutes les nouvelles idées et pratiques avancées et excellentes ne peuvent provenir que de l’Occident.

En 2020, les 6 derniers millions de pauvres en Chine étaient sortis de la pauvreté, et la Chine, le pays le plus peuplé du monde, est devenue une société libérée de la pauvreté.

Cependant, l’Occident ne considère jamais la réduction de la pauvreté comme l’objectif des droits de l’homme, mais utilise les droits de l’homme comme une arme politique pour maintenir son hégémonie idéologique et politique dans le monde, et diabolise les pays dont les intérêts peuvent aller à l’encontre de ceux de l’Occident.

En brandissant le gros bâton des « droits de l’homme », les États-Unis tentent de maintenir les alliances politiques et militaires de l’Occident, tout en s’engageant dans une occidentalisation à grande échelle de l’idéologie et des valeurs dans le monde. Mais la modernité occidentale et le néo-libéralisme ne se développent plus. Nous assistons à une expansion du pouvoir spirituel chinois. Il s’agit d’une modernité chinoise et d’une nouvelle forme de civilisation humaine.

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La Chine, championne de la multipolarité façon Douguine

Vous l’aurez compris, cette « multipolarité » a malgré tout des prétentions universalistes, puisqu’il s’agit, sur le modèle chinois, d’arriver à une « nouvelle forme de civilisation humaine », s’appuyant sur une « expansion du pouvoir spirituel chinois », non défini mais aux antipodes de la vérité et marquée notamment par la conception de la culture et de l’écologie portée par le Parti communiste chinois et son pouvoir hégémonique.

Car s’il est légitime de critiquer les Lumières, leur rationalisme et leur haine de la foi catholique, ce qui est rejeté ici est en réalité l’Occident dans son ensemble, le « colonialisme » occidental dans son ensemble, qui est très loin de se limiter à l’exportation et à l’imposition du capitalisme libéral.

Présenter le communisme maoïste comme le facteur majeur qui a fait le bonheur et la prospérité (tout relatifs) des Chinois ne manque pas de toupet. La Russie rêvée par Katehon se tourne vers cela avec admiration. C’est la proclamation de ce socialisme, fût-il « aux caractéristiques chinoises », qui est donnée en exemple. Autant le savoir.

 

Jeanne Smits