Paralysie de Paris-Montparnasse : les tares d’une France ultra-centralisée, le danger du tout-électrique

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Une fois de plus, le trafic ferroviaire au départ de Paris-Montparnasse a été fortement perturbé par un incident technique. Cette fois, SNCF Réseau n’y est pour rien. L’incendie électrique qui s’est déclaré le 27 juillet dans le poste électrique Harcourt à Issy-les-Moulineaux, a frappé une installation de RTE, le gestionnaire du réseau électrique haute tension. Le sinistre a paralysé puis fortement handicapé quatre jours durant le trafic ferroviaire au départ de Paris-Montparnasse, en plein chassé-croisé estival. Il a entraîné des coupures dans les communes voisines. La gare Montparnasse voit passer chaque année 53,5 millions de voyageurs. Tête de ligne des TGV vers Bordeaux et la Bretagne et des TER vers le sud de la Normandie, elle avait déjà été lourdement touchée par la défaillance du poste de régulation SNCF de Vanves-Malakoff, du 29 juillet au 1er août 2017, toujours en plein chassé-croisé. Rappelons aussi que le 19 juillet 2016, un incendie électrique causé par un vol de câbles avait paralysé trafic à la gare du Nord à Paris, qui voit passer annuellement 260 millions de voyageurs. Ces incidents illustrent l’extrême précarité des agglomérations humaines démesurées et les dangers du tout-électrique. C’est particulièrement le cas en France, pays ultra-centralisé, qui parque 12,5 millions d’habitants dans l’aire urbaine de Paris, soit quelque 20 % de la population métropolitaine sur 2,17 % du territoire.
 

Une partie démesurée de la population de ce pays ultra-centralisé a été touchée

 
Vendredi, au poste électrique d’Issy-les-Moulineaux, le feu a pris dans une galerie souterraine parcourue par des câbles 63.000 volts. Deux transformateurs, de 225.000 et 63.000 volts, ont été touchés, le premier ayant rapidement été rétabli. Ces transformateurs fournissent, entre autres, SNCF Réseau en courant alternatif 25.000 V utilisé pour alimenter les moteurs des trains électriques. SNCF Réseau est le premier client industriel du réseau électrique français, consommant 1,5 % de la production. Deux TGV (capacité : 1.268 places pour une rame double Ouigo) se croisant à pleine vitesse exigent un pic de puissance de 50 mégawatts, soit la puissance consommée par une ville comme Sète (43.500 habitants). Cette fin de semaine, si quelques TGV ont pu être basculés de Montparnasse à Austerlitz ou, en banlieue sud, à Massy, l’incident a démontré une fois de plus que dans une organisation en étoile – contrairement aux organisations en réseaux – une paralysie du centre désintègre la totalité du système. Non seulement une partie démesurée de la population (francilienne) de ce pays ultra-centralisé a été touchée par un seul incendie, mais la suppression des circulations au départ de Paris-Montparnasse a paralysé le trafic de cabotage sur les axes concernés (Poitiers-Bordeaux, Rennes-Brest…), avec peu de solutions de substitution.
 

Un réseau en étoile autour de Paris, dans une France ultra-centralisée

 
La politique jacobine de centralisation humaine et économique en France s’est doublée, au plan ferroviaire, d’une réduction du réseau à « l’étoile de Legrand », du nom de cet ingénieur qui, sous la Restauration, traça un réseau de base centré sur Paris. Les grandes lignes, et aujourd’hui les lignes à grande vitesse, forment un ensemble monocéphale dont la rigidité est aggravée par la réduction du réseau régional et des itinéraires alternatifs qu’il permettait encore jadis. Il se dit qu’un haut cadre de la SNCF n’a appris que vendredi qu’il était possible de détourner quelques TGV de l’axe Paris-Bordeaux de Montparnasse sur Austerlitz. Il est difficile pour les hiérarques de la France ultra-centralisée de penser « réseau ». Cet incident, avec d’autres, devrait remettre en question leur égocentrisme parisien. Le poids quantitatif ne fait pas l’efficacité.
 

Les fragilités d’une société tout-électrique

 
Plus largement, l’incendie du poste d’Issy-les-Moulineaux démontre les fragilités d’une société tout-électrique. SNCF Mobilités ne dispose plus de locomotives diesel et de rames tractées en nombre suffisant – elle les ferraille à tout va – pour assurer des trains de substitution, fussent-ils à vitesse modérée par des itinéraires lents voire non-électrifiés. Le temps est révolu où l’entreprise mobilisait au dernier moment un train de « doublage » au départ de Lyon-Perrache pour Paris, quand le régulier était surchargé (on ne réservait pas, à l’époque). Ou quand le voyageur pouvait se rabattre sur une autre ligne, celle du Bourbonnais via Moulins, dans ce cas. Au moment où le monde pense systèmes multipolaires et réseaux, la France continue de raisonner par orgueil centralisateur, au prix de l’anéantissement de territoires entiers et de relégation de nombre de ses villes : la population de l’agglomération lyonnaise, deuxième dans le pays, pèse le dixième de celle de Paris.
 

L’incident interroge ce système tout-électrique, communication, commerce, monnaie…

 
Bien au-delà du chemin de fer, l’incident interroge le système tout-électrique et tout-électronique des communications immatérielles, sans parler du confort personnel. Imposée par la puissance publique, la numérisation des échanges épistolaires et administratifs les soumet aux défaillances des réseaux électriques outre, bien sûr, aux bogues informatiques. Même dépendance électrique pour l’information, qui bascule du papier vers l’internet. On sourit aussi devant les projets de caciques rêvant de supprimer le papier monnaie pour lui substituer le « tout-électronique », donc le tout électrique, ou d’anéantir le commerce physique au bénéfice des monstres mondiaux type Amazon, soumis à la même dépendance. Les ingénieurs français ne doivent plus sourire quand ils évoquent les black-out de New York de 1977 ou de 2003. L’artifice techniciste paraît libérer, il asservit. « La simplicité est la sophistication suprême », répondait Léonard de Vinci.
 

Matthieu Lenoir