Arménie : les réfugiés du Haut-Karabakh pointent les vrais intérêts de l’Europe

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Septembre 2023 a vu l’assaut final de l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh. Au bout de dix mois de blocus pendant lequel les vivres, les médicaments se sont peu à peu raréfiés, l’armée azerbaïdjanaise s’est avancée pour nettoyer la zone et s’emparer, enfin, de la totalité de ce petit pays sur lequel elle faisait pression depuis trois ans. La population arménienne qui le composait achève un exode quasi total, poussée à fuir par l’assurance d’une dhimmitude voire d’une disparition plus que probables. Mais l’impact médiatique est bien faible. Grande leçon de l’histoire, certains nettoyages ethniques font moins de bruit que d’autres…

Parce que le Haut-Karabakh n’intéresse plus personne. L’annexion de cette pauvre petite enclave montagneuse de 4.400 km2, peu susceptible d’attiser d’autres convoitises que les désirs expansionnistes du pays qui l’enserre, n’est finalement ni une menace, ni une gêne : ses soutiens historiques, comme l’Arménie ou la Russie, ont baissé les bras. Et le fait qu’elle soit un berceau de la chrétienté et qu’un conquérant musulman veuille en détruire les pierres et en expulser les hommes n’a pas ému davantage. On sacrifie volontiers à l’opportunisme les convictions – pour le peu qu’il en reste. Et le gaz azéri vaut toutes les lâchetés.

Les plus de 100.000 réfugiés que l’agression de l’Azerbaïdjan a fait fuir vers l’Arménie, jusqu’à représenter 3,5 % de la population de cette dernière, peinent à se loger et à se nourrir dans ce pays où un quart de la population vit déjà en dessous du seuil de pauvreté. Mais, là encore, la communauté internationale ne s’en soucie guère. Tellement que la Grande-Bretagne a osé, à la mi-avril, contacter l’Arménie au sujet d’un accord de type rwandais visant à héberger les demandeurs d’asile expulsés de Grande-Bretagne…

 

Autant de chrétiens du Haut-Karabakh, autant de réfugiés

Car c’est bien de « nettoyage ethnique » dont il a été question le 22 avril dernier, devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye. Depuis septembre 2023, plus de 115.257 réfugiés sont arrivés en Arménie en provenance de la région du Karabakh. Comme ce nombre représente près de 100 % des Arméniens et la quasi-totalité des chrétiens d’Azerbaïdjan, la situation a été qualifiée de nettoyage ethnique.

Le représentant de l’Arménie pour les questions juridiques internationales a été très clair : « Après avoir menacé de le faire pendant des années, l’Azerbaïdjan a achevé le nettoyage ethnique de la région en effaçant systématiquement toutes les traces de la présence des Arméniens de souche, y compris le patrimoine culturel et religieux arménien. » Le christianisme disparaît du Haut-Karabakh, où il régnait depuis plus de 1500 ans.

La Cour internationale de Justice des Nations unies a pourtant bien statué que l’Azerbaïdjan devait autoriser le retour des réfugiés s’ils le souhaitent. Mais 80 % des réfugiés arméniens ne croient pas que cela se produira un jour. Et qui le veut vraiment ? D’aucuns se souviennent des nombreuses exactions commises par les forces azéries dans la partie de l’enclave récupérée en 2020, des meurtres aux pillages en passant par les profanations d’églises. Et puis, ils ont surtout en tête ces mots du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev : « J’avais dit qu’on chasserait [les Arméniens] de nos terres comme des chiens, et nous l’avons fait. »

Ils ont été contraints d’abandonner maison, entreprise, communauté. Une fois parvenus en Arménie, après un voyage éprouvant, ils ont reçu 250 dollars pour commencer leur nouvelle vie, suivis d’une aide mensuelle d’un an qui équivaut au salaire minimum arménien, bien inférieur au revenu moyen qui n’est que de 668 dollars par mois. Et la vie est chère et le chômage règne : difficile de subvenir à ses besoins, d’autant plus que ces réfugiés sont de vrais réfugiés… c’est-à-dire des femmes, des hommes, des enfants (30 %), des personnes âgées (18 %) et des handicapés…

L’UE, l’ONU et des ONG ont envoyé de l’aide pour épauler le gouvernement arménien (un appel de fonds de 100 millions d’euros avait été fait en octobre dernier), mais les sommes récupérées ne suffisent pas.

 

De la survie de l’Arménie dans ses frontières

Le Haut-Karabakh fait-il déjà partie du passé ? Le Premier ministre arménien lui-même, Nikol Pashinyan, a rapidement reconnu que la région appartenait à l’Azerbaïdjan : rien ne lui plairait davantage que de voir ce conflit résolu, et qu’un traité de paix soit signé. Une des raisons est qu’il souhaite adhérer à l’UE, ce dont cette dernière se félicite, et un conflit en cours n’est pas un argument très vendeur. Il ne veut plus entendre parler de gouvernement séparatiste exilé. Une position qui lui a valu tout ce mois de mai de nombreuses manifestations dans le pays, emmenées notamment par l’archevêque de l’Eglise apostolique arménienne, Mgr Bagrat Galstanyan.

L’Arménie et l’Azerbaïdjan se sont donc mis d’accord sur la démarcation d’une partie de leur frontière internationale : une première depuis l’indépendance de ces deux ex-républiques soviétiques, en 1991. Et l’Arménie a rendu, le 24 mai, à l’Azerbaïdjan quatre villages frontaliers qu’elle avait pris dans les années 1990, dans un secteur considéré comme stratégique car il contrôle les tronçons d’une route vitale vers la Géorgie.

Pendant ce temps, tombent les monuments – on parle d’ethnocide. En décembre 2023, déjà, selon le collectif Caucasus Heritage Watch, composé de chercheurs et d’archéologues arméniens, 44 sites, en très grande majorité des églises et cimetières chrétiens, étaient « menacés, détruits ou endommagés ». De nouvelles images satellitaires diffusées en mai par le directeur de la Fondation pour l’Etude de l’architecture arménienne montrent de nouvelles églises entièrement rasées.

Il ne fait pas bon plier devant l’ennemi musulman qui ne comprend que la force. Car l’Arménie devra fatalement faire face aux autres envies du vainqueur azerbaïdjanais dans le Caucase. Le dictateur Ilham Aliev lorgne en effet, à présent, sur le sud de l’Arménie, le Syunik, petit territoire limitrophe de l’Iran, qui permettrait la réalisation d’un corridor reliant la Turquie à l’Azerbaïdjan… et agrandirait potentiellement l’empire néo-ottoman du sultan Erdogan.

De la négation de l’empreinte chrétienne jusqu’à l’expansionnisme musulman en passant par l’opportunisme couard de l’Occident, le Haut-Karabakh est vraiment tout un symbole.

 

Clémentine Jallais