Un événement lourd de conséquences s’est déroulé le jeudi 17 mars dernier. Après deux jours de discussions qui se sont tenues dans la ville de Rmeilan (province de Hassaké, nord-est de la Syrie), le Parti de l’union démocratique (PYD) – branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) contre lequel la Turquie mène une guerre “sans images” notamment au sud-est de son territoire –, a déclaré enclencher un processus d’autonomie de toutes les zones qu’il contrôle ou qu’il s’est appropriées, soit un territoire de 400 km d’Est en Ouest le long de la frontière entre la Turquie et la Syrie et jusqu’à la frontière irakienne, un territoire qui recouvre peu ou prou les provinces syriennes d’Alep, d’Al-Raqqah et d’Hassaké. Même si le PYD affirme que cette zone autonome ne s’appellera pas « région autonome kurde » mais « région fédérale de la Syrie septentrionale », le résultat serait le même : un premier pas vers un redécoupage fédéral et ethnique de la Syrie. Ce n’est pas une bonne idée et pour plusieurs raisons que développe une intéressante étude de Global Independent Analytics du 6 avril.
Une minorité kurde qui veut s’imposer à la mosaïque syrienne
Premièrement. Les Kurdes ne sont pas ethniquement majoritaires dans les zones qu’ils prétendent contrôler. L’exemple de la province d’Hassaké est révélateur : à peine 40 % de la population (1,5 million) est ethniquement kurde et encore tous ces Kurdes ne sont pas Syriens ! Turkmènes, Bédouins arabes, Arméniens et Assyriens chrétiens constituent d’importantes minorités. Déclarer qu’un territoire constituant une telle mosaïque de population appartiendrait à un groupe ethnique spécifique, en l’occurrence kurde, c’est s’engager dans un processus qui aboutirait vite à l’oppression des minorités par une majorité relative.
Deuxièmement. Une minorité ne peut pas imposer à une majorité, et de manière unilatérale, un fédéralisme : les Kurdes ne représentent que 7 à 10 % de la population syrienne. C’est à l’ensemble de la population syrienne de s’exprimer sur un fédéralisme que ne prévoit pas la Constitution en vigueur. Il faudrait donc changer la charte fondamentale du pays. La situation qu’il connaît présentement ne s’y prête pas vraiment…
Le nettoyage ethnique et religieux des Assyriens chrétiens a déjà commencé
Troisièmement. Une « région fédérale » kurde amènerait nécessairement un nettoyage ethnico-religieux des minorités, notamment de la minorité assyrienne chrétienne. Cette dernière en sait quelque chose car dans les régions contrôlées par les Kurdes le nettoyage des Assyriens chrétiens a déjà commencé : spoliation des maisons et des terrains des chrétiens ayant fui l’État Islamique, assassinats de responsables militaires assyriens, tentatives de mise sous tutelle des groupes armés de protection assyriens… On en a constaté de nombreux exemples dans la vallée de la Khabour, à Al-Hassaké et à Al-Qamishli. Les Assyriens ont la mémoire longue et ils n’ont pas oublié le rôle joué par les Kurdes dans le génocide dont ils ont souffert de la part des Turcs entre 1914 et 1921.
Quatrièmement. Les ressources de la Syrie doivent appartenir à tous les Syriens. Alors que les Kurdes ne représentent qu’environ 10 % de la population, ils exigent 20 % du territoire syrien ! La province d’Hassaké, que les Kurdes veulent pour eux, produit, en temps de paix, 34 % du blé syrien… L’essentiel des ressources pétrolières syriennes se trouvent également dans cette province, notamment dans la région de Rmeilan : elles sont pillées par les Kurdes (et par l’État Islamique…) et revendues pour financer leurs opérations militaires, alors que les autres Syriens en sont privés.
Une initiative unilatérale grosse de nouvelles tensions dans la région
Cinquièmement. Ce n’est évidemment pas par des moyens légaux que le PYD arrivera à ses fins. Les Syriens et leur gouvernement sont opposés à un tel fédéralisme. Reste donc la force. Elle est conséquente puisque le PYD dispose des 40.000 combattants des Unités de protection du peuple (YPG), entraînées et armées par les Occidentaux, notamment les États-Unis qui espèrent, en échange de leur soutien, disposer d’un sérieux point d’appui en Syrie pouvant même aller jusqu’à l’obtention d’une base militaire dans ce “Kurdistan” syrien : les YPG en ont déjà formellement envisagé la possibilité. Un “Kurdistan” syrien qui semble avoir aussi, et depuis longtemps, les faveurs d’Israël. Les Russes ne voient évidemment pas la chose d’un bon œil et les Turcs pas davantage : ils y voient le danger d’un renforcement du PKK et donc des velléités séparatistes des Kurdes de Turquie qui représentent 21 % de la population…
De nouvelles tensions sont donc à craindre dans cette région du Moyen-Orient déjà bien éprouvée.