Vidéo de l’homme empalé : la société du spectacle s’emmêle

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Trois vidéos d’un homme tombé d’un immeuble parisien qui s’est empalé sur un poteau anti-stationnement circulent sur internet. Polémique, enquête : qui les a diffusées ? On touche les limites d’une société où tout est spectacle et qui finit par s’emmêler les pinceaux.
 
Les images sont choquantes. Forcément. Première vidéo : nn homme tombe de plusieurs étages pour s’empaler sur un poteau. Une deuxième ne montre pas grand-chose. Troisième vidéo : l’homme est nu, des gens en blouse retirent le potelet. La bande son est à l’unisson : « Oh la vache ! Oh putain ! Ah! Mais quelle horreur! ». L’homme est mort peu après, à l’hôpital Beaujon où la deuxième séquence a été prise. Ça se passait le 27 septembre dans le 17ème arrondissement de Paris et cela circule sur les réseaux sociaux depuis le premier octobre.
 

La société du spectacle s’avise que cette vidéo est obscène

 
Je vous ferai grâce d’autres détails. C’est triste et répugnant comme l’accident et la mort. Proprement obscène. On ne doit pas le montrer. En plus, les mourants ont bien droit à un peu de paix, non ? Imaginez un parent dans cette situation. Pour une fois, notre société semble s’en soucier. Comme la première vidéo vient d’une caméra de vidéosurveillance, on soupçonne des policiers de l’avoir diffusée. L’IGPN enquête. Et comme la seconde a été tournée à Beaujon, l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) enquête de son côté, pour « lever les doutes sur une éventuelle implication de (ses) agents ».
 

L’homme empalé était mourant, il avait droit à la paix

 
Très bien. La société du spectacle devient prude. Ne nous en plaignons pas. Même si c’est probablement pour de mauvaises raisons (peur de montrer la mort, constamment occultée, phobie de la souffrance), le résultat est positif : pour une fois, le voyeurisme maladif de notre société sera réprimé, le droit des citoyens à la décence respecté. Mais ladite société s’emmêle ici dans ses contradictions. Une fois puni le malheureux flic qui a voulu épater ses copains en leur montrant quelque chose de pas ordinaire, ou les carabins qui se reposent de l’horreur quotidienne en la partageant, il faudra bien que l’on se demande pourquoi et comment tout est devenu objet de spectacle.
 

Une société sous vidéo-voyeurisme

 
Qui a libéré la parole et l’image ? Qui a fait sauter les barrières naturelles de la pudeur ? Qui a encouragé, par toutes sortes de stimulations, dont l’éventail va de la pornographie à la télé-réalité, le public à se transformer en assemblée de voyeurs ? Qui a fait de nos villes une scène sous vidéo-surveillance (l’insécurité s’associant dialectiquement à l’espionnage) ? Qui a fait des peuples, en leur donnant des portables, une armée constamment en campagne de matons-mateurs ? Qui les a surtout habitués à penser que le bien et le mal sont relatifs et qu’on ne saurait donc rien exclure du spectacle, sauf à manquer à la liberté et à la raison ?
 

Face à l’obscène qu’elle a provoqué, la société du spectacle s’emmêle

 
Voilà quelques semaines on s’était déjà ému que circule sur la toile la vidéo d’un viol. Mais ceux qui l’avaient tourné trouvaient ça très bien, de même que ceux qui montrent le lynchage de policiers, ou l’incendie d’une voiture, ou tel Malien grimpant la façade d’un immeuble pour y attraper un enfant. Pour le spectacle, tout est beau, et bon, et juste, n’importe quel gamin le sait, Hollywood le prouve.
 
On doit espérer que la société du spectacle s’emmêle mortellement les pinceaux. Le sentiment naturel qui demeure au cœur des hommes, s’il est assez fort, suffit à la détruire. A condition de ne pas chercher de faux coupables. Les responsables, ce ne sont pas trois ilotes rigolards ou malheureux, ce sont les maîtres. 
 

Pauline Mille