Sur le papier, cela semble relativement inoffensif : bientôt, les soldats de Sa Majesté vont devoir se mesurer à des robots humanoïdes équipés d’IA et de plombs BB dans le but, nous dit-on, de mieux se préparer à des situations réelles. Le Telegraph de Londres a tôt fait de les appeler « Terminator » plutôt que leur nom officiel de « SimStriker », et non sans raison, car ces machines fonctionnant à l’intelligence artificielle pourraient demain être améliorés et tirer à balles réelles. Si leur utilisation par l’armée britannique dans des scénarios de combat y constitue une première pour l’entraînement militaire, il n’y a pas de raison de penser que les choses s’arrêteront là.
Ces robots ont été développés pour ressembler à un être humain et réagir comme lui : équipés d’une tête et d’un torse correspondant à ceux d’un homme de taille moyenne, ainsi que du logiciel d’IA ChatGPT, ils peuvent engager une conversation et réagir aux paroles, mais aussi aux gestes des soldats lors des séances d’entraînement. Ils sont équipés de capteurs capables d’enregistrer avec exactitude la précision et la cadence de tir des soldats. Une caméra située dans le front du robot détecte les mouvements et la lumière. Elle envoie ensuite un signal pour que le robot réagisse dès lors qu’il détecte l’entrée d’une personne dans la pièce où il se trouve.
L’entraînement militaire avec des robots humanoïdes qui s’énervent et qui rotent
Au repos, il peut même roter pour simuler un garde inattentif. En alerte, il prononce des phrases telles que « qui est là ? », et peut crier des ordres tels que « stop » à partir d’un haut-parleur situé sur sa clavicule.
Si l’être humain auquel il est confronté reste calme et parle d’une voix tranquille, il y a moyen de s’arranger avec cette machine potentiellement hostile. Un geste de travers, un coup de nerfs et tout peut déraper, puisqu’en ce cas SimStriker peut adopter une attitude de plus en plus hostile et envoyer des plombs de type airsoft depuis son « abdomen ». L’idée est claire : il s’agit d’entraîner les combattants face à des adversaires potentiels « pensants » dans le cadre de la guérilla urbaine.
Un exemple ? Dans un scénario, les soldats se trouvent face à face avec le robot alors qu’ils s’apprêtent à entrer dans un village dont les habitants ont besoin de nourriture, d’électricité et de fournitures médicales. L’humeur du robot se modifie au fur et à mesure, et il devient de plus en plus agressif si le soldat choisit de refuser de fournir l’aide demandée. Au cours de la « conversation », un instructeur qui suit l’échange depuis un lieu sûr peut lui-même modifier les réactions de SimStriker pour rendre la situation plus complexe.
C’est une sorte de Rolls du jeu de rôle… et comme dans le jeu de rôle, celui qui s’y prête risque sans doute de se croire dans un monde faux et parallèle où l’artefact est perçu comme doté d’intelligence et de volonté, même s’il s’agit de simulacres de celles-ci.
L’Armée britannique ouvre les bras aux robots et à l’IA
Il s’agirait dans le cas de SimStriker de la première fois où des soldats vont pouvoir se mesurer à un ennemi « pensant », selon le Telegraph ; le projet en a été lancé en 2020 pour le personnel de la 16e brigade d’assaut aérien de Colchester. Et c’est en tout cas la première fois où un tel projet est présenté au public comme étant opérationnel.
Le robot a été créé par 4GD, une entreprise fondée par deux anciens membres des Royal Marines et spécialisée dans la formation des soldats au combat par le biais de la réalité virtuelle et des effets spéciaux. L’entreprise prévoit de développer encore davantage le robot en simulant virtuellement des organes sur son torse afin d’illustrer de manière plus réaliste les blessures subies sur le champ de bataille.
James Crowley, directeur du développement commercial de 4GD, a ainsi déclaré : « Bien qu’il donne l’impression d’être un Terminator, à la différence du film, notre objectif n’est pas de subordonner les soldats à un robot. Au contraire, nous voulons utiliser de dernier pour aider le soldat à s’améliorer. Il s’agit de l’utiliser pour rapprocher le plus possible l’environnement d’entraînement de l’environnement opérationnel. C’est pourquoi il crie, parle et fait feu en retour. C’est un bond en avant dans la manière dont les militaires peuvent s’entraîner en milieu urbain. »
On est loin, de fait, des cibles statiques en bois encore très largement utilisées pour ce type d’entraînement au combat en zone urbaine : « Cette nouvelle génération d’adversaires intelligents a renforcé le réalisme et l’efficacité de l’entraînement des soldats », assure James Crowley qui espère voir le dispositif déployé dans l’ensemble de l’armée à l’avenir.
L’armée britannique ne recule pas devant l’utilisation de l’IA. Elle a ainsi confié ses opérations de recrutement à une société externe, Capita, qui a décidé au début de cette année d’utiliser l’intelligence artificielle pour accélérer l’embauche de nouveaux soldats, dans un contexte de crise des effectifs au sein des forces armées. Capita a développé un logiciel maison cet été, capable de scanner les dossiers médicaux des candidats et d’en présenter un résumé ; cela permettrait de réduire de près d’un tiers le temps nécessaire à leur traitement.
Les recrues potentielles sont-elles au courant de la manœuvre ? L’histoire ne le dit pas…
L’Armée de demain : des robots et du transhumanisme
Dès l’an dernier, le ministère de la défense britannique avait annoncé dans un rapport de commandement que la montée en puissance de l’IA entraînera non seulement une diminution des effectifs sur les lignes de front à l’avenir, tirant les leçons, disait-il, de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais aussi la façon dont le Royaume-Uni « pensera » la taille de ses forces armées.
Le document dressait déjà le portrait des futures capacités que l’armée entend mettre en œuvre sur le front : recours aux robots, augmentation des capacités humaines pour améliorer les performances des soldats, ou encore l’utilisation d’armes employant des lasers ou des radiofréquences pour viser discrètement les adversaires.
Entre-temps, un nouvel examen stratégique de la défense, annoncé au début de l’année lorsque le gouvernement travailliste a pris le pouvoir, a déclaré qu’il se concentrerait sur la nature changeante des conflits.
Robots, intelligence artificielle, transhumanisme : la guerre de demain sera-t-elle un jeu vidéo menée par des cyborgs ? Après l’armée, quid de la police ? Ce n’est pas l’humanité qui en sortira gagnante…