Election du président grec : l’Europe, du rêve à la réalité

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Il n’y a pas de président grec. L’échec à l’élection présidentielle de Stavros Dimas, ancien commissaire européen, candidat poussé par le premier ministre Samaras, oblige le pays à de nouvelles élections générales. Il montre que l’exaspération de la population gagne une majorité d’élus, ce qui place le pays en tête de la révolte de l’Europe des peuples. Le rêve de paix et de prospérité caressé après la seconde guerre mondiale débouche sur une réalité désespérante. Pourquoi ? Parce qu’une majorité d’Européens donnent au mot Europe un autre sens que celui que portent depuis l’origine les initiateurs des institutions de Bruxelles.
 
La bourse d’Athènes est tombée de plus de dix pour cent et les caciques de l’Europe bruxelloise sont « préoccupés ». La presse note que la Grèce « renoue avec l’instabilité ». En d’autres termes, le peuple grec, suivi par la force des choses par une majorité de ses élus, ne veut plus de la politique d’austérité menée par Samaras, ni du diktat de ses créanciers, Europe, FMI ou banques. Il le dit de la manière la plus nette, au risque de casser la baraque. Et cela inquiète les bienpensants. Syriza, le parti d’extrême-gauche en tête des sondages, pourrait remporter les prochaines élections, et s’affranchir de la tutelle de l’euro et de l’Europe. En prime, le parti d’extrême-droite Aube dorée pourrait bien lui aussi tirer son épingle du jeu. Le château de cartes de l’Europe de Bruxelles pourrait s’en trouver gravement ébranlé.
 

Aux racines du marasme grec : le socialisme et l’euro

 
Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas ici de faire la louange de l’extrême-gauche ni de l’extrême-droite grecques. Encore moins de nier la responsabilité du peuple et des élites grecques dans le chaos économique et financier où se trouve la Grèce. Des décennies de socialisme ont mis le pays dans le désordre et la faillite. Les pires habitudes ont été prises. Un seul exemple, on se rappelle que les chemins de fer grecs avaient une masse salariale supérieure à leur chiffre d’affaires. Mais il est tout aussi clair que l’inclusion brutale de la Grèce à la zone euro, qui découle d’une décision purement idéologique, a ruiné l’économie locale. Au socialisme se sont ajouté la corruption, d’effroyables gaspillages, des projets pharaoniques qui alimentent une dette faramineuse, avec en même temps l’abandon d’activités traditionnelles comme l’agriculture et la fuite vers la spéculation immobilière et le tout tourisme. Brochent sur l’ensemble une submersion par des migrants venus principalement d’Albanie et du Proche Orient, et une crise des valeurs, Bruxelles s’en prenant régulièrement à l’église orthodoxe. Mélina Mercouri et Jack Lang pensaient naguère que l’Europe serait une chance pour les Grecs et la Grèce une chance pour l’Europe : les faits démentent ces prévisions inconsidérées, la Grèce plombe l’Europe et l’Europe écrase la Grèce.
 
Le peuple grec, qui a apporté tant de choses au monde, se trouve ici encore à l’avant-garde de l’Europe : il préfigure le blocage tragique des institutions bruxelloises. La réalité décevante qu’il affronte incarne l’échec du rêve iréniste des années cinquante. Tout indique que d’autres nations le suivent de près. La déflation croît en Espagne, qui ne parvient pas à juguler son chômage. La France barbotte dans un marasme dont les coups de menton de son président et de son premier ministre ne la tirent pas. La Grande Bretagne ne songe qu’à quitter un navire dont elle a copieusement pillé les cales. Qu’elles sont loin les années soixante où le PIB de la seule Europe des six dépassait celui des Etats-Unis, loin les trente glorieuses où la France, loin devant la Chine et la Grande Bretagne, s’apprêtait à passer deuxième exportateur mondial. Aujourd’hui notre pays se trouve désindustrialisé et notre agriculture, malgré d’immenses gains de productivité, est à la fois subventionnée et au bord du gouffre. Qu’il est loin aussi le traité de Rome, qui promettait la paix et la prospérité à une Europe puissance relativement homogène (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas) protégée par des frontières extérieures solides et un tarif douanier extérieur commun.
 

La réalité sordide de l’Europe du libre-échange

 
Aujourd’hui, selon le vœu des Anglo-saxons dont la Grande Bretagne fut le cheval de Troie, l’Europe est devenue une association de libre-échange ouverte non seulement à ses membres, mais, par le biais d’accords internationaux dont le prochain, le traité transatlantique sera le plus terrible, au monde entier. Sans défense sérieuse possible, malgré les prétentions de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce. Le pire étant que l’Europe est l’une des zones qui respecte le plus les principes de libre-échange affichés, quand la plupart des puissances les transgressent allègrement par le jeu de toutes sortes d’obstacles non tarifaires, dont nous n’usons pas avec la même adresse et le même cynisme. L’élargissement indéfini de cet ensemble sans cohérence étouffe toujours plus le patriotisme européen minimal des débuts. La Roumanie dans ses investissements ferroviaires ou nucléaires applique la préférence chinoise, la Pologne achète des avions américains. Et il en va de même en politique étrangère. La France a perdu à la fois son indépendance et le rêve d’amener ses partenaires à se détacher de la tutelle américaine. On la voit, de la Libye à l’Ukraine, soutenir sans nuance une politique aventureuse, aventurière, et sans respect ni pour ses intérêts ni pour ses alliances traditionnels.
 
Chaque nouveau pas de l’Europe de Bruxelles détache un peu plus les peuples d’Europe de leur histoire. Cela est devenu patent depuis que les idéologues qui nous gouvernent ont hautement refusé d’inscrire les racines chrétiennes de l’Europe dans la constitution européenne. Ici, l’invasion par les migrants préconisée par l’ONU dans les années quatre-vingt-dix et agencée sur le terrain par Bruxelles n’a pas seulement une fonction économique : il s’agit aussi, en modifiant les équilibres de populations, de bouleverser les us, coutumes et croyances, en somme de briser l’identités des peuples d’Europe. C’est aujourd’hui clairement revendiqué tant par les textes communautaires que dans le discours officiel de François Hollande, notamment lors de son appel au droit de vote des immigrés extra européens aux élections locales. Or, ce que la politique migratoire rend possible, la politique dite « sociétale » l’accentue. Descendant de l’ONU à travers le conseil de l’Europe et l’union européenne, l’assouvissement des revendications LGBT, dont le mariage gay, le droit à l’avortement, à l’euthanasie, la théorie du gender, le droit des animaux, etc., sont poussés, bientôt imposés à travers le continent à tous les peuples, par des gouvernements dits de gauche ou dits de droite. Il n’y a pas l’épaisseur d’un papier à cigarette entre Hollande et Cameron à ce sujet. Même le gouvernement de Mariano Rajoy, qui avait fait campagne sur la restriction de l’avortement et qui avait préparé une loi à ce sujet, a finalement calé. L’Europe de Bruxelles, préfet de la gouvernance globale, veille à ce qu’aucun de ses sous-préfets ne permette qu’une loi « sociétale » ne soit abrogée ou substantiellement modifiée. Le sociétal est par nature irréversible, puisque les réformes sont l’incarnation du progrès.
 

La non-élection d’un président sonne la fin d’un rêve et d’une imposture

 
Au sortir d’une guerre épouvantable, des populations affamées, épuisées, apeurées, ont acquiescé volens nolens à un projet dont on les assurait qu’il apporterait la paix et la prospérité à un morceau de continent qui avait été le phare du monde mais que ses dissensions avaient ruiné. On leur disait aussi que l’union fait la force et que mettre en commun leurs immenses talents et leur bonne volonté leur permettrait de retrouver, avec une taille comparable à ceux qu’on nommait alors les « deux grands », USA et URSS, leur puissance. Soixante-trois ans après le premier traité CECA, l’Europe se frotte les yeux, son rêve a tourné au cauchemar : elle est plus petite, plus faible, plus pauvre, plus divisée que jamais. L’absence de président grec fait paraître de manière éclatante que les contradictions de la construction bruxelloise mènent au blocage. Mais elle révèle surtout qu’un malentendu fondateur vicie depuis l’origine cette construction, et que ce malentendu repose sur une tromperie volontaire. Depuis le début, les idéologues du mondialisme ont manipulé les idiots utiles de l’Europe puissance et les peuples qui ont travaillé sérieusement à relever le continent dans l’espoir d’y créer une entité politique conforme à son histoire.
 
Cette tromperie se manifeste à la fois dans les processus utilisés par Bruxelles et par ses contradictions. On s’est amusé longtemps que de graves institutions internationales dissertent à longueur de dossier sur la courbure des poires conférence ou le taux de gélifiant dans la mayonnaise industrielle. En fait, ça n’avait rien de drôle, c’était pour habituer les esprits à l’imposition arbitraire de règles tatillonnes : quand le pli fut pris de la servilité, alors on passa de la mayonnaise au mariage gay et à l’euthanasie. A l’inverse, on s’est inquiété que les règles de concurrence imposées par la Commission européenne s’appliquent, notamment en matière d’aéronautique, en faveur d’entreprises étrangères à l’union, ce qui semblait contraire aux objectifs originels. Mais tout s’explique si l’on renonce à la fable de l’Europe puissance pour entrer dans la réalité de l’Europe proie, soumise à des règles du jeu idéales pour ceux qui entendent la dépecer, en même temps qu’à une dictature totalitaire de tous les instants pour ceux qui espèrent encore y travailler et y vivre comme le faisaient leurs pères. Ainsi trouvent leur place aussi les diverses cours de justice européennes, qui ligotent les juridictions nationales, et le monstre institutionnel de la Commission européenne, qui ligote les parlements nationaux. L’Europe d’aujourd’hui est une immense prison ouverte à tous les prédateurs et envahisseurs extérieurs, qui n’en finissent pas de racketter et d’humilier les autochtones recroquevillés sur leur décadence bavarde.